Depuis quelques années, le secteur de la restauration est en pénurie de personnel et ne fait plus rêver personne. Comment en vouloir aux gens ? Flexibilité, sacrifice, polyvalence exacerbé, discrétion, soumission à l’autorité hiérarchique, rapidité d’exécution sous la pression, diplômes et expériences nécessaire, la liste du savoir faire et savoir être ne manque jamais de s’allonger pour des salaires de misère qui réclament de cumuler plusieurs casquettes et de souffrir sans aucune forme de reconnaissance derrière si ce n’est des tirs de lance pierre. Faute de cette mauvaise publicité, les caméras télévisés ont tentés de vendre une autre réalité du monde culinaire par l’intermédiaire d’émissions mettant l’accent sur l’art et la convivialité, même les divertissements type « Cauchemar en Cuisine » finissent par des sourires béats et des fourmilles ouvrières productive et heureuse de donner enfin un sens à leur vie. Si j’en parle si bien, c’est que je suis très familier de ce milieu, j’ai connu l’enfer des fourneaux et pire encore, celui de la salle, des 70 couverts gastro par tête de pipe où il ne faut pas oublier de servir l’eau, le vin, le pain, l’accompagnement, faire un flambage et une découpe devant client. Et oui, ce n’est pas juste retenir des commandes et porter des assiettes comme je l’entends souvent, croyez-en le premier élève d’une classe de promo qui a vécu des semaines de 7 jours sur 7 sur une amplitude de 90 heures et même des journées à 17h de temps de travail effectif pour moins de 700 euros par mois.


The Chef est un petit tour d’horizon en temps réel de tout ce qui peut mal tourner dans ce milieu réputé pour ses dérives qui se règlent le plus souvent par des démissions forcés, des cris, des invectives et noms d’oiseaux, et plus rarement par une bataille juridique bien incertaine au conseil des prud’hommes. Comme souvent dans cette industrie, le chef n’est qu’un roquet alcoolique qui brasse beaucoup d’air et passe son temps à passer ses nerfs sur le petit personnel qu’il estime responsable de ses échecs. Pour l’anecdote, j’en ai connu un qui avait la belle vie, il passait ses soirées à limiter les services à 15 couverts (pour une capacité de 60) sous prétexte que le personnel de salle n’était pas capable de suivre la cadence. Cet individu volait dans les stocks avant de faire la chasse aux sorcières et de faire porter le chapeau à ses employés. Son petit manège a duré pendant des années, 4 équipes de cuisine et de salle y sont passés, tout ça sous l’appuie d’une direction qui refusait de voir la vérité pour une histoire de sombre intérêt lié à du copinage et des relations francs maçonnique. Résultat, le restaurant de l’hôtel finira par fermer définitivement ses portes au public et ce despote finira par rejeter la faute de sa déchéance sur les autres comme il l’avait fait tout au long de sa vie. D’ailleurs le directeur général mégalomaniaque (le 7ème en date) finira par se défenestrer du dernier étage de l’hôtel des suites d’un cancer. C’est justement tout ce remue ménage, mes compétences en linguistique et ma logorrhée qui m’ont permis de basculer définitivement du côté de la réception pour échapper à cet enfer et pour rien au monde je ne referai ce métier.


Pour en revenir au film, celui-ci trouve dans son sujet les moyens de sa mise en scène, soit un plan séquence de 90 minutes sans jamais avoir recours au numérique ou à des coupes de montage. Au delà de la prouesse technique qu’implique une telle entreprise dont la caméra parcours l’entièreté du lieu dans un ballet entre serveurs, clients et cuisiniers, se noue une volonté de restituer l’effervescence d’un service bouillonnant ponctué par des tumultes faisant chanceler l’unité. Le chef Andy est à deux doigt de friser le burn-out, entre l’éclatement de son cercle familiale, une mauvaise notation émise par l’AFSCA pour des négligences évitable de son fait, un contentieux avec un partenaire financier, des querelles internes entre cuistot et responsable de salle pour un agneau trop rosé avant une chute provoqué par une simple erreur d’assaisonnement et la prise d’adjuvants censé l’aider à endurer la soirée. Philip Barantini qui a longtemps côtoyé le milieu délivre une liste non exhaustive des problèmes trop souvent rencontrés dans l’industrie, d’un plongeur tir au flanc toujours en retard, qui prend le soin de s’éclipser durant le coup de bourre pour aller s’en griller une dans l’arrière cour, des clients fortunés et arrogant qui rabaissent le personnel pour se donner des airs supérieurs, des critiques médisant cherchant la moindre erreur sur laquelle faire leur beurre, des influenceurs médiatique qui souhaite faire l’impasse sur le règlement pour imposer un plat ne figurant sur aucun menu, et enfin d’un chef manquant manifestement de clairvoyance, de lucidité et de retenu. « Faites ce que dis, mais pas ce que je fais » voilà en somme l’idée du management traditionnel d’un supérieur qui fustige sa nouvelle employé pour s’être lavé les mains dans le bac dédié aux fruits et légumes alors qu’il ne lavera les siennes en tout et pour tout qu’une seule et unique fois après s’être brûlé les mains durant le dressage de ses quelques assiettes et après s’être baladé à travers chaque service pour tenter d’affirmer son autorité et mener un semblant de cohésion parmi des équipes qui n’avait finalement pas besoin de lui pour réussir leur service. Après quoi, il pourra toujours faire des grands discours, sniffer un rail de coke et passait son temps à s’excuser de ses erreurs de jugement et d’appréciation.


Pour qui n’est pas familier de ce milieu, sachez que le sujet ne manque pas d’universalité, entre le mépris et le racisme déguisé balancé à la gueule d’une pauvre serveuse qui ne fait que son boulot, des minorités qui ne seront jamais voués à réaliser que des tâches subalternes sans jamais être augmenté ou gratifier d’une promotion dans la hiérarchie. L’évolution promise est biaisé puisque la responsable de salle n’est autre qu’une nanti privilégié, et si le grade de sous-chef vous faisiez rêver, sachez cependant qu’il s’agit d’un siège éjectable réservé à une guerrieros qui connaît son métier sur le bout des doigts. Pourtant, elle pourrait se voir remercier du jour au lendemain pour couvrir les agissements de son employeur. La restauration est finalement à l’image de notre société, régie par des incompétents qui dépendent entièrement du sacrifice des petites gens. « 20 ans pour construire une réputation et 5 minutes pour le détruire », voilà une citation de Warren Buffet qui pourrait résumer allègrement l'exigence de ce métier qui ne pardonne aucun écart, séance tenante, soyez-en vaccinés. Désolé, j’avais encore de vieux compte à régler.

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le 1 janv. 2024

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