The Offence
7.3
The Offence

Film de Sidney Lumet (1973)

Arrêtez tout ! On recommence depuis le début.. (Et Méchant Spoiler à la clé)

Quand THE OFFENCE sortit sur les écrans en 1972, la France était pompidolienne, donc toujours gaulliste. La censure existait, et elle exerça son petit pouvoir mesquin et incompréhensible. Pourquoi avoir interdit la diffusion de ce film en France? Parce qu'il montrait un flic abusant de son pouvoir? Parce qu'il mettait en scène la violence légale et l'impuissance d'un citoyen lambda face à l'intuition maladive d'une brute fatiguée? Et quand bien même, était-ce une raison suffisante pour le laisser croupir aux oubliettes pendant 35 ans?
En 1975, la censure fut officiellement abrogée ; on fêta la liberté nouvellement acquise et l'érotisme devint tendance. En réalité, insidieusement, la censure était peu à peu remplacée par un comité de surveillance, qui exerçait les mêmes petits pouvoirs mesquins, et les exerce toujours. Sans le distributeur Swashbuckler films (qui fait vivre des classiques, tels que The Molly Maguires, entre autres, et plusieurs Sidney Lumet), The Offence n'aurait jamais été diffusé en France.
Et nous n'aurions jamais vu (sur grand écran, du moins) Sean Connery dans son rôle le plus sombre, le plus torturé, le plus contraire à l'éthique hollywoodienne des acteurs. Aujourd'hui que les flics ripoux, ambivalents, hors-la-loi sont devenus la mode (au point qu'on les croit "normaux"), il ne faudrait pas oublier que le Sergent Johnson est leur ancêtre ; mais lui, au moins, ne finissait pas adulé par ses collègues ou porté aux nues par une foule en délire. Lui payait le prix de sa faute ; il restait humain, moins qu'humain, au lieu d'être transformé en héros par un public si névrosé qu'il ne fait même plus l'effort de distinguer le bien du mal. (On en est bien arrivé à aduler les psychopathes, pas vrai ? L'étape suivante : Hannibal Lecter président des USA !)
Un film-phare, donc, que l'on a failli ne jamais repérer dans le brouillard de la production bien-pensante, dans le brouhaha savamment entretenu des médias serviles, dans l'insignifiance disneyenne d'une culture qui sait récupérer toutes les formes de subversion pour en tirer du pognon ou du prestige.
Un film parfait...


Post-Scriptum d'octobre 2018:
J'ai revu le film. Pour la troisième fois. Et cette fois, j'ai compris une chose qui m'avait échappé jusque-là. Une chose importante. Primordiale. Monstrueuse. Qui fait de The Offence un film plus-que-parfait. Alors, voilà:


En le voyant la première fois (passé le choc des confrontations entre le flic et le suspect, entre le flic et son supérieur, entre le flic et sa femme), je m'étais demandé s'il n'était pas possible que le violeur-assassin soit Johnson lui-même. Puis, comme tout le monde, j'avais écarté l'idée; trop monstrueux; trop inacceptable; voire déraisonnable.
Mais justement, n'est-ce pas le sujet du film? La déraison?
Eh bien, cette fois, je n'en doute plus un instant. Tous les éléments qui le prouvent sont dans le film, il n'y a que la conclusion qui ne s'y trouve pas.
1: lors de la battue, Johnson s'écarte des autres flics, s'enfoncent dans les taillis, et c'est lui qui trouve la fillette blessée;
2: lorsqu'elle le voit, elle prend peur; lui a une réaction d'abord violente, qu'il réprime avant de se décider à la calmer;
3: il dit à sa femme qu'il a des absences, peut-être même des trous de mémoire, et qu'il voudrait oublier certaines choses mais n'y parvient pas;
4: à la fin du premier montage de la scène où il tabasse Baxter (Ian Bannen), avant de dire "Oh my god", il est clair qu'il prend seulement conscience de ce qu'il vient de faire; il était possédé, absent de lui-même, autre;
5: lorsqu'il saisit Baxter au collet, il lui demande brièvement de l'aider, parce que les souvenirs de ses enquêtes sordides le hantent; Baxter, dégoûté, refuse d'abord; puis il comprend ce que cela implique: que Johnson a déjà eu des comportements violents, peut-être même qu'il est le tueur;
6: après le flashback où l'on apprend l'intégralité de sa confrontation avec Baxter, Johnson est mis aux arrêts; il se met alors à pérorer tout seul, pour se convaincre qu'il a eu raison de faire ce qu'il a fait. "I had to kill him", dit-il pour se rassurer. Pourquoi devait-il tuer Baxter? Parce que celui-ci avait compris que Johnson était le tueur de fillettes; qu'il n'avait donc aucune chance de se sortir de ses griffes. Il a vu le monstre et le monstre devait le tuer.


Je n'ai pas lu toutes les critiques du film; je ne sais donc pas si quelqu'un d'autre pense de même. En général, j'ai plutôt l'impression que cette hypothèse est exclue; qu'on l'envisage mais qu'onpréfère l'écarter. Or, c'est précisément ce que ferait quelqu'un qui aurait basculé dans la violence mais étoufferait sa conscience par peur de la culpabilité; ce que ferait un flic devenu meurtrier parce que son cerveau a craqué.
Que cette hypothèse soit la "bonne" ou pas, le scénario ne pouvait pas le dire. Mais -et j'insiste- c'est la seule explication rationnelle au fait que Johnson trouve la fillette dans les taillis.


Il serait intéressant de demander à Sean Connery (Ian Bannen, le scénariste John Hopkins et Sidney Lumet étant décédés) s'il avait pour instruction de croire qu'il pouvait être l'assassin, ou s'il a été laissé dans l'ignorance. Dans tous les cas, sa prestation dépasse -et de loin- tout ce qui a été fait depuis dans le registre du personnage "mauvais". Les grimaces de pseudo-souffrance morale des tueurs en série et autres modèles d'artistes modernes en font foi.


(Ajout du 1er novembre 2020: eh bien, voilà, c'est trop tard pour poser la question à Sean Connery. Nous ne le saurons jamais. A moins qu'un autre indice se cache dans le film. Bon sang, j'y retourne une quatrième fois).


Et c'est ainsi, chers cinéphiles, que The Offence entre au panthéon de mes dix films préférés.

alfredboudry
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les films qui mettent mal à l'aise et Réquisitoires implacables

Créée

le 28 juin 2014

Critique lue 752 fois

2 j'aime

2 commentaires

Alfred Boudry

Écrit par

Critique lue 752 fois

2
2

D'autres avis sur The Offence

The Offence
DjeeVanCleef
9

Un volcan

En vérité, Lumet est un cinéaste que je redécouvre. Et « The Offence » m'a séché comme un uppercut à la pointe du menton, alors que je ne m'y attendais pas, que j'avançais, jovial. J'ai les yeux...

le 21 mai 2014

65 j'aime

9

The Offence
Sergent_Pepper
8

Welcome to my nightmare

S’il fallait – encore – démontrer l’intérêt de ne rien connaitre d’un film avant de le voir, de ne pas lire jusqu’à sa jaquette ou son pitch, la séquence d’ouverture de The Offense constituerait un...

le 28 mai 2014

47 j'aime

6

The Offence
guyness
8

Libre comme Sean Connery

En 71, Sean Connery accepte de ré-endosser la costume de 007 (après l'échec commercial de la tentative de George Lazenby en 69, pourtant excellent épisode de la saga) à une condition: il a carte...

le 23 janv. 2011

37 j'aime

7

Du même critique

Le Cercle
alfredboudry
6

Le sourire de mon requin est plus radieux que ton avenir

A mes yeux, Dave Eggers est un peu le Quentin Tarantino de la littérature anglo-saxonne. Il a surgi un jour de l'anonymat avec une œuvre réputée d'emblée géniale (et qui l'était assez) après quoi il...

le 3 juil. 2014

16 j'aime

4

Tout peut changer
alfredboudry
9

La révolution a commencé... sans nous ?

(Commençons par un détail technique : il est absurde de devoir noter certains livres pour avoir le "droit" de les critiquer ici. Va noter la Bible ou le Capital ou l'Odyssée ! Cela ne rime évidemment...

le 17 nov. 2014

13 j'aime

8

Au commencement était...
alfredboudry
10

Monumentale pulvérisation de paradigmes (garantie et approuvée)

Avant d'entrer dans le détail, je dois raconter une anecdote personnelle. Il se trouve qu'une bonne partie de ma famille est archéologue. J'aurais d'ailleurs pu en être un, moi aussi, si j'avais...

le 10 déc. 2021

11 j'aime

2