Titus Andronicus
Titus Andronicus

Téléfilm de Jane Howell (1985)

Première tragédie de Shakespeare, alors âgé de 28 ans, il est de notoriété publique que Titus Andronicus est sa pièce la plus sanguinolente, accumulant meurtres, torture, viol, mutilations diverses et cannibalisme... A boire et à manger pour tout le monde ! Célèbre pour la version "non gore" de 1954 par Peter Brook, alors légèrement coupée (dans le texte, non pas pour censurer mais pour éviter toute redondance avec ce qui est montré sur scène), elle reste encore aujourd'hui, à tort ou a raison, dans l'ombre des pièces à venir.

Cette version de Jane Howell reste très théâtrale dans sa gestion de l'espace : si la caméra se permet quelques panoramiques et autres zooms, sans compter quelques surimpressions un peu vieillottes, on ne casse jamais le 4ème mur.
Les acteurs sont excellents, Trevor Peacock et Hugh Quarshie en tête, respectivement Titus Andronicus et le Maure Aaron. Un bémol peut-être pour Eileen Atkins, qui joue Tamora, la reine des Goths, mais je n'arrive pas à mettre le doigt sur ce qui ne va pas.

La pièce est brutale, c'est un euphémisme. Ça s'ouvre sur un écartèlement (hors-scène, dieu merci) suivie de l'immolation des abats de la pauvre victime, et ça se termine sur une série hallucinante de meurtres sur scène. Viol, meurtres, infanticides et amputations diverses complètent le tableau, et c'est sans compter la violence morale, trahisons et enlèvements, duperies et griefs en tout genres.
De ce maëlstrom horrible et tragique, il jaillit un vrai plaisir à travers la logorrhée poétique qui l'enrobe dans un semblant de raffinement, cyniquement cultivé. C'est là que se joue l'enjeu majeur de la pièce, ce constat d'une perte généralisée des valeurs d'un empire qui sombre peu à peu dans la barbarie.

La décadence de l'empire romain a fait le pain de pas mal de créateurs, je pense à Racine et son Britannicus, avec son Néron "monstre naissant", mais aussi au démesuré Satyricon de Fellini jusqu'à Gladiator et autre Rome (série que je n'ai pas vu, mais j'imagine). Titus Andronicus ajoute sa pierre rouge sang à l'édifice. S'inspirant directement de Sénèque et d'un épisode (légendaire ?) important pour la constitution de la future République romaine (le viol de Lucrèce), Shakespeare offre sa vision de la tragédie à l'antique.
Pour ce qui est de l'originalité, il créé surtout un personnage démentiel avec Aaron, le Maure qui tire les ficelles dans l'ombre. Le dotant d'une éloquence à nul autre pareille, à la fois terrible et savoureuse, ses scènes ressortent comme les plus virulentes d'une pièce qui ne manque pourtant pas d'agressions en tous genres. A ce titre, le dialogue qui l'intronise, et où il convainc les deux fils de Tamora d'enlever Lavinia dans les bois pour s'en satisfaire de force est un sommet d’infamie. Aaron, c'est le salaud absolu, le Mal qui sous-tend toutes les actions de la pièces, rendu humain grâce à la soudaine apparition d'un fils nouveau-né sur la fin de la pièce. Certes aucun des autres personnages n'est vraiment blanc, il n'en reste pas moins le grand personnage de Méchant, rayonnant par le verbe qui semble l'exclure de la barbarie ambiante dont il est pourtant l'instigateur et le jouisseur décomplexé :

"If one good deed in all my life I did, I do repent it from my very soul." A5 S3
(si jamais il m'arriva dans le cours de ma vie de faire une seule bonne action, je m'en repens de toute mon âme.)

Peut-être pas la meilleure pièce pour initier mamie, mais un incroyable déchainement de passions, assurément. Reste à voir ce qu'en font nos metteurs en scène d'aujourd'hui !
Tom_A
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le 1 févr. 2014

Modifiée

le 1 févr. 2014

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Tom_A

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