Trenque Lauquen est difficile à résumer et définir. Il faut déjà dire que c’est le film d’un collectif de cinéastes, El Pampero Cine, qui s’était déjà illustré avec La Flor (le seul de leurs films qui soit sorti chez nous jusqu’alors) et qui ambitionne de faire des films autrement, en s’échangeant les rôles (réalisateur, acteur, technicien…) et en tournant sur une longue durée, sans calendrier, quand c’est possible, sans subventions de l’Etat. C’est du no limit donc le produit fini ici pèse 4h22. C’est toujours bon de prévenir.


Trenque Lauquen raconte l’histoire de deux hommes qui partent à la recherche d’une femme, Laura. Qui partait elle en quête d’une autre disparition, celle de Carmen Zuna, qui l’a conduit vers un secret : ses correspondances amoureuses et érotiques (en 1960) cachées dans les pages d’un livre sur l’émancipation sexuelle féminine écrit par Alexandra Kollontaï en 1926. Puis le film nous emmènera vers un autre secret, celui d’une apparition. En deux parties et douze chapitres.


C’est un film vertigineux à la structure mutante, dans lequel des mystères ouvrent sur d’autres mystères ; Les temporalités s’enchevêtrent ; Les histoires s’entremêlent. Mutant jusque dans sa conception : l’idée est de faire d’une disparition la trajectoire d’une naissance, d’une ouverture et d’un amour, voire plusieurs, aussi impossibles fussent-ils. Le film est jalonné d’objets, de lettres, de livres. Une scène fait écho à une autre. Les voix se multiplient, les pistes aussi. C’est comme une plante qui de déploie et qui semble ne jamais cesser de grandir et s’épanouir. C’est un vrai film tentaculaire.


Tout ce qu’on verra dans Trenque Lauquen tient de ce que les personnages voient et se racontent, au gré d’une circulation de la parole toujours plus mystérieuse. Car s’il y a parole il y a point de vue donc un mystère, une vérité. On peut très bien mettre en corrélation Trenque Lauquen avec l’autre grand film de l’année sur la parole, à savoir Anatomie d’une chute.


C’est un vrai film de femme. D’une femme sur une femme fasciné par une autre femme. En creux il y a d’ailleurs un film sur le poids de la maternité, aussi discret soit-il. Trenque Lauquen a été tourné sur six ans, au gré notamment de la pandémie et de la vie : la grossesse de Laura Citarella. Et c’est aussi le récit d’un lieu, qui est celui de l’enfance de la cinéaste. C’est un peu le jeu de l’amour et du hasard de la fiction et du mystère, Trenque Lauquen.


C’est un film libre, qui parvient à échapper à tout. Il échappe à la normalité du récit, de la durée, de la résolution, déjà. C’est d’ailleurs une femme qui échappe aux hommes. Une histoire qui échappe au récit. Car l’histoire de Carmen Zuna finit par s’évaporer, au même titre que Laura s’évapore aussi ainsi que le désir des hommes (ici Ezequiel et Rafael) de retrouver Laura, s’évapore. C’est fragile comme procédé, bien sûr, puisque le film nous échappe en permanence, mais c’est aussi une façon de raconter, de vivre avec et dans un film, de faire l’expérience d’une évaporation en somme, après l’exaltation de l’enquête, aussi nébuleuse soit-elle. C’est à la fois très stimulant et très doux.


On y verra à raison du Antonioni, du Rivette. Car c’est à la fois une errance et un jeu de piste. Mais j’y ai vu du Weerasethakul, du Trueba, du Mendonca Filho, du Hamaguchi pour ma part. Oui ce film c’est un peu comme si Aquarius et La bande des quatre avaient croisé Memoria et L’Avventura. C’est très beau. Et c’était pile pour moi.

JanosValuska
8
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le 27 janv. 2024

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JanosValuska

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