Difficile de noter un tel OVNI cinématographique. C'est presque miraculeux que le film ait connu un certain succès et ait pu bénéficier d'une belle promotion médiatique. Scarlett Johansson y est probablement pour quelque chose.


Le film est une rencontre du troisième type. C'est la rencontre entre un alien, déguisée en femme, et des hommes mais d'un point de vue extra-terrestre. Une alien déguisé en femme capture des hommes seuls pour avoir leur peau et permettre à d'autres extraterrestres de venir à leur tour sur Terre telle une mante religieuse de l'espace. Pour cela il faut observer et imiter les hommes. Le troisième type, dès lors, est davantage l'homme, observé, décortiqué, dans son environnement et d'un point de vue exogène que l'alien lui-même.


Ce renversement de perspective est extrêmement troublant. Le film prend à plusieurs moments des airs de reportage animalier. On filme des rues, des terrasses, des magasins, des files de voitures. L'expérience se passe de mots. Elle est sensorielle. On entends des bruits. On voit des visages, des attitudes. C'est la jungle humaine. Cette bestialité, on la ressent aussi dans le comportement des hommes : instinct grégaire ou loups solitaires, gouvernés par les pulsions sexuelles voire la violence brute.


On s'identifie à Scarlett, dans cette tentative d'appréhension sensorielle du monde. Le film nous invite à suivre son regard, nous met en porte-à-faux, nous dégoute parfois de nous-même ou nous touche. Lorsqu'elle laisse un bébé mourir sur une plage alors que ses deux parents sont morts noyés, on ne comprends pas, la scène est odieuse. Puis, lentement, elle devient plus humaine. Plus elle rencontre de gens, de gens seuls, perdus, rejetés, des gens comme elles en somme, plus elle ressent le désir et le besoin de parler et de vivre. Alors qu'elle amène un jeune homme - le troisième et lui-même différent de tous les autres - dont le visage est sclérosé par la maladie, elle décide, au dernier moment de le relâcher. Elle se met à pleurer devant le miroir, regardant ce corps étranger à elle-même qu'elle habite, alien perdu dans un monde trop complexe. Elle est touchée par la gentillesse et par le malheur de ces êtres qui lui rappelle sa propre condition et sa propre solitude.


Cette expérience sensorielle atteint son paroxysme lorsqu'elle décide de partir loin de la ville pour se rapprocher de la nature. Perdue, esseulée, elle s'essaye aux nourritures terrestres. Elle observe longuement sa part de gâteau qu'elle vient de commander dans un restaurant et essaye de la manger. Impossible. L'échec de cette expérience primaire et toute terrestre la ramène à sa propre condition d'étrangère. Un homme va alors s'occuper d'elle : la loger, lui montrer ses plaisirs et ses petites habitudes. C'est la première fois qu'on l'invite. Et surtout qu'on l'aime. Une expérience à laquelle elle ne résiste pas. Un soir, elle se regarde nue dans le miroir, touche son corps. Ce corps qui n'est pas elle. Le suivant, c'est l'homme qui la touche, qui la déshabille, qui la caresse. Déçue parce qu'elle ne peut ressentir ce qu'au fond d'elle-même elle désire, elle part se réfugier dans la foret où elle rencontre le mal avant de finir immolée dans la neige, seule à jamais.


L'essentiel du film reste opaque. Impossible de tout comprendre. La narration est simple mais laconique. Les dialogues sont réduits au maximum. A vrai dire, le scénario et l'intrigue ne sont en rien essentiels. Le film est avant tout une succession de rencontres, hasardeuses, entre un extra-terrestre - ayant l'apparence d'une femme - et des hommes. Il n'y a pas de but. C'est une sorte d'errance dans une Écosse froide, pluvieuse et magnifique.


L'esthétique est somptueuse. Entre cette ouverture sur des planètes qui s'entrecoupent formant une éclipse puis devenant la rétine d'un oeil, les lumières dans la nuit, les landes arides et sauvages de l'Écosse, on baigne dans une atmosphère extraordinaire.


Un film comme on en voit peu : métaphysique, philosophique, volontiers obscur, laconique - oh que c'est devenu rare ça -, agrémenté d'une esthétique sonore et visuelle exceptionnelle, interrogeant la nature humaine, le sens de l'existence, la nature, la solitude, la mort, le désir et les rapports sociaux avec humour noir, dédain, flegme et poésie. Un véritable portrait de notre misérable existence.

Créée

le 6 oct. 2014

Modifiée

le 6 oct. 2014

Critique lue 368 fois

9 j'aime

8 commentaires

Tom_Ab

Écrit par

Critique lue 368 fois

9
8

D'autres avis sur Under the Skin

Under the Skin
Rawi
8

Poème érotique

Le film s'ouvre sur un oeil, un regard qui se forme, une langue qui se prononce maladroitement. Fond noir ! L'intérêt majeur de cette adaptation est son ACTRICE principale. A la fois très connue,...

Par

le 4 juil. 2014

129 j'aime

33

Under the Skin
Marthe_S
5

Une eau peu profonde

"C'est une eau peu profonde", dit un personnage de Claudel à propos d'un autre personnage, qui manifestement lui semble idiot. J'aurais voulu trouver une formule aussi mordante pour donner mon avis...

le 1 juil. 2014

120 j'aime

19

Under the Skin
Velvetman
10

L'habit ne fait pas l'humain

Under the skin est un film indéfinissable, parfois indéchiffrable. Un point lumineux s’agite autour de formes obscures. La musique se fait assourdissante, se pose alors devant nous, une sorte de...

le 2 févr. 2015

94 j'aime

9

Du même critique

La Passion du Christ
Tom_Ab
8

Le temporel et le spirituel

Le film se veut réaliste. Mais pour un film sur le mysticisme, sur un personnage aussi mythique, mystérieux et divin que Jésus, il y a rapidement un problème. Le réel se heurte à l'indicible. Pour...

le 26 déc. 2013

60 j'aime

4

The Woman King
Tom_Ab
5

Les amazones priment

Le film augurait une promesse, celle de parler enfin de l’histoire africaine, pas celle rêvée du Wakanda, pas celle difficile de sa diaspora, l’histoire avec un grand H où des stars afro-américaines...

le 7 juil. 2023

50 j'aime

3

Silvio et les autres
Tom_Ab
7

Vanité des vanités

Paolo Sorrentino est influencé par deux philosophies artistiques en apparence contradictoires : la comedia dell'arte d'une part, avec des personnages clownesques, bouffons, des situations loufoques,...

le 31 oct. 2018

29 j'aime

4