Un goût singulier



Senua's Sacrifice s'ouvre dans la brume et une voix délicate murmure à votre oreille, une voix de femme. Quelques secondes plus tard c'est un lien presque intime qui s'est tissé, cette voix est aussi dans votre tête. Elle va vous accompagner pour ce qui semble être une épopée avant d'être une aventure.
Senua accoste sur les rivages d'une forêt, mais aux commentaires que vous percevez et à certains autres détails, cette forêt n'appartient pas à la terre, plutôt aux enfers, à un continent où le rationnel n'a pas sa place. Elle n'en reviendra pas, d'ailleurs elle ne veut pas en revenir, vous incarnez quelqu'un de résolu.



L'attrait initial



Hellblade: Senua's Sacrifice à un petit quelque chose de spécial, le titre attire plus l'attention qu'un autre, il possède des qualités spéciales. Son personnage principal - vous, en vue subjective. Elle a une présence à l'écran singulière, exceptionnelle. Ce que l'on nomme le "body awareness" est flamboyant, elle respire et vous pourriez presque sentir l'air dans vos poumons. Elle fixe, elle doute, cherche des réponses du regard dans un lieu où le rationnel n'a pas sa place. L'animation est sûre, sonne juste, des expressions faciales jusqu'aux esquives des combats. Si vous êtes attentifs, vous verrez bientôt que les développeurs ont été jusqu'à se permettre de faire reposer des scènes sur les expressions du regard de la protagoniste et ça marche, des yeux qui en disent plus que la voix off.



Où, quoi, comment



Senua offre un grand espace, une unicité de lieux, les côtés mythiques et embrumés d'un continent hors du monde, vous cheminerez sur un tracé plutôt étroit. Je voulais voir en ce jeu une expérience visuelle, le genre d'expérience toujours en disgrâce après cette si longue bataille entre ceux qui voulait se laisser séduire par les prouesses visuelles et les autres qui y voyaient de la poudre aux yeux, un masque sur l'absence de gameplay. Ici je prends du plaisir à simplement observer, je l'assume. Mais le jeu ne s'arrête pas là, il offre des combats à l'épée, ils sont basés sur un ciblage fort, la camera se fixe d'elle-même sur le bon assaillant et vous invite à vous concentrer sur le timing de vos coups et parades. C'est abordable du point de vue difficulté, un peu trop peut-être. Comme déjà précisé, l'immersion, l'animation et au final la "sensation" est de haute volée, quelle que soit l'échelle de comparaison. L'intensité est forte et très naturelle.



Elle, Senua



Pour revenir sur votre personnage, il faut que je le dise haut et clair, je l'admire, sa présence est forte, mais au-delà de ça, elle possède cette chose si rare, elle a du chien. Là où certains auraient mis une beauté évidente, qu'on apprécie instantanément, Ninja Theory se pare de boue, de crasse et de sang. La grâce plutôt que le charme . Rien n'est joli de prime abord, mais en m'attardant un peu je peux y voir un caractère fort; j'ai tant (trop) déploré ça dans Witcher 3, Geralt ou Ciri et leur une beauté convenue, rangée, une dégaine polie et toujours si prévisible. Senua a des marques, des cicatrices, elle vit.


Si c'est le personnage de Senua sur lequel repose une grande partie jeu, une autre part importante découle de la mise en scène. Elle est travaillée, on peut noter un effort superbe sur les cutscene, elle s'intègre naturellement au fil de l'histoire au point que je ne réalise pas toujours que je n'ai plus la main sur le contrôle des mouvements. La caméra s'éloigne un peu, et revient, proche d'un plan séquence unique, une sobriété certaine dans ce que la caméra s'autorise à montrer.



Technique contre artistique



Si vous ouvrez l'œil vous constaterez rapidement que le décor, techniquement parlant, a un train de retard, au sens strict il n'est pas au niveau. La physique de l'eau est quasi absente. Les arbres sont peu fournis et les textures ne résistent pas très longtemps à un Zoom quelconque... Ceci c'est au sens strict, car au final ça n'a pas ou peu d'impacte, l'impression, le goût que laisse ce qui est donné à voir est ahurissant. Les images, toutes les images et où que l'on soit, sonnent si juste, si équilibrées. Les créateurs de jeux s'attachent toujours à faire des compositions visuelles de sorte qu'où que l'on regarde, la bonne sensation, le bon sentiment se dégage, mais ici c'est on est au-delà de ça (cela dit l'imaginaire et la mythologique Nordique c'est toujours très payant et parlant, "simple" à mettre en place). À quoi bon avoir des textures Super Ultra Definition lorsqu'on à un tel sens de l'image. La lumière, ou pour être plus précis, ce que l'on nomme "la photographie" est aussi pour beaucoup dans la force de Senua's Sacrifice, très subtile je ne m’m’étendrai pas dessus.



Plus de mécaniques



En plus des combats, le jeu comme Vanishing of Ethan Carter fait appel aux concordances visuelles (moins poussées), observez, isolez des objets ou des formes en vous 'focalisant' dessus pour déverrouiller une scène et progresser, il fonctionne également avec un système de mort permanente, si vous échouez, une marque s'étend sur votre corps, si elle atteint votre visage vous recommencez le jeu depuis le départ (le défi est moins rude qu'il n'y parait). Je dois également dire que pour profiter totalement du jeu, comprendre l'anglais parlé peut être utile, tout au long de la progression des voix résonnent et vous assaillent, elles sont cruelles, aiment à vous faire douter de vous et parfois donnent de l'information intéressante ou utile, rien de décisif cela dit. Pour poursuivre sur les voix, le doublage anglais original (pas de vf audio) et le son en général sont extrêmement soignés et réussis, l'identité sonore et le jeu des acteurs contribuent à rendre Senua encore plus unique.


C’est un titre fort, spécial, il semble débarqué dans le segment des titres narratifs à courte durée de vie, mais donne plus que ça, il est marquant, éclatant et unique. Si vous aimez le cinéma, il m'évoque énormément "valhalla rising/Le Guerrier Silencieux" (en nettement plus accessible cela dit).



Si l'environnement est passable, Senua est ce qui se fait de mieux sur le plan visuel. Voici une capture d'écran très haute résolution (13MPixels) au format photographique 3:2 (Portait), comme les règles de la capture l'exigent, elle n'est pas retouchée: Flickr - Seizing Fire




Mon épilogue



J'ai une certaine collection de jeux sur Steam ou ailleurs, un certain nombres d'évaluations, de captures, d'heures de jeu. Comme vous, j'ai mon panthéon personnel, mes favoris, d'autres que j'aime moins mais que je respecte; alors je pourrais dire que Senua's Sacrifice est le meilleur jeu auquel j'ai jamais pu jouer. Mais au lieu de ça je dirais plutôt ceci : Il n'est pas impossible que Senua's Sacrifice soit le meilleur jeu auquel je vais jamais jouer.

smithfield01
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le 8 août 2017

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smithfield01

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