Nécroludique

Bon, je vais devoir arrêter de me mentir à moi-même. Moi qui voulais m'éloigner des jeux « génériques », voilà que je lance L'Ombre de la guerre, ou plutôt Shadow of War dans la langue de Joe Biden, la suite d'un titre considéré comme un immense pot-pourri avec une surcouche Seigneur des Anneaux par-dessus. Je pourrais trouver mille excuses qui expliqueraient pourquoi j'ai décidé de lancer cette suite : je pourrais dire que j'ai acheté le titre fin 2021 et qu'il trainait donc depuis plus d'un an dans ma ludothèque Steam ; que j'apprécie beaucoup son développeur, Monolith Productions, responsable de l'excellent F.E.A.R. ou encore du très sympathique Condemned: Criminal Origins… mais je vais devoir être honnête quelques secondes : si j'ai lancé ce Shadow of War c'est parce que j'ai beaucoup apprécié son prédécesseur, Shadow of Mordor, et que j'en revoulais. Ni plus ni moins.

Pot pourri bien pourri, mais pas trop pourri quand même

Parce que bon, le Shadow of Mordor tout de même, il apportait avec lui un petit système particulièrement réussi : le système Nemesis. Une fonctionnalité très sympa qui permettait d'établir des « liens » avec les capitaines orques ennemis. Ainsi, un capitaine ennemi qui fuyait le combat pouvait être affronté plus tard ; plus rare, il pouvait revenir d'entre les morts ; et dans le cas où si c'était lui qui nous tuait, alors il montait dans la hiérarchie et devenait encore plus fort lors de notre prochain affrontement. Si ce système fonctionnait si bien, c'était aussi grâce aux nombreuses lignes de dialogues écrites pour l'occasion, qu'elles soient drôles, menaçantes ou faisant écho à un événement antérieur. Dommage cependant que le système Nemesis ait été breveté aux États-Unis… pour une licence n'hésitant pas à reprendre un tas d'idées issues d'autres jeux, ça la fout un peu mal, je trouve.

M'enfin bref : autant le révéler de suite, le système Nemesis fonctionne toujours autant dans Shadow of War. En fait, il fonctionne même mieux que dans Mordor puisqu'on retrouve des orques aux capacités plus variés, encore plus de dialogues (sans mentir, j'ai joué au jeu plus de 35 heures et j'ai peut-être dû réentendre une fois ou deux un dialogue que j'avais déjà écouté) ainsi que de nouvelles interactions avec eux. Ce qui fait que ce système fonctionne encore mieux en fait, c'est le fait de pouvoir prendre les forteresses orques ennemis. J'en parlerais plus en détail dans quelques instants, mais là où dans le premier épisode ce système finissait très vite par perdre en intérêt, car tuer des orques ne servaient pas à grand-chose. Ici, aller à la rencontre des capitaines ennemis nous permet d'affaiblir les défenses de la forteresse de la zone, de looter de l'équipement épique ou légendaire (petit bémol cependant, il y a tellement de loot que j'ai très vite fini par ne plus regarder ce que je ramassais) ou encore de les soumettre afin de les faire intégrer notre armée.

Ce système possède néanmoins quelques failles. Les capitaines orques possédant des forces et des faiblesses différentes, on peut être amené à combattre des ennemis juste chiant à battre, pour lesquels il faut faire de l'antijeu afin de gagner. Je me suis par exemple retrouvé à plusieurs reprises face à des capitaines impossibles à vaincre au corps-à-corps et donc pour lesquels je n'avais qu'à fuir, leur tirer dessus avec mon arc, puis fuir de nouveau, puis leur retirer dessus avec mon arc… bref, si le système fonctionne en règle générale, il peut aussi devenir synonyme de « la mort du fun » lors de quelques occasions bien précises.

Concernant les combats, je ne vais pas tergiverser dessus : c'est du Batman Arkham… mais en beaucoup moins bien malheureusement. Le truc, c'est qu'il y a beaucoup de problèmes de précisions. C'était déjà le cas dans le premier opus, mais dans cette suite, je me suis encore plus souvent vu attaquer un ennemi autre que celui que je souhaitais affrontement initialement. C'en devient particulièrement frustrant quand on tombe face à un orque d'un niveau supérieur au nôtre ou qui se révèle déjà chiant à battre comme indiqué plus haut : disons que j'ai autre chose à faire que d'utiliser ma compétence qui occasionne un max de dégât contre un orque à la con alors que son capitaine se trouve à côté. Dans le même registre, je ne vois pas pourquoi j'irai attaquer un orque ayant la capacité de riposter automatiquement, si ce n'est pour perdre bêtement de la vie et ruiner ma série de combos. Encore pire, je me suis retrouvé, seulement quelques rares fois heureusement, face à des commandes qui ne répondaient tout simplement pas : n'ayant plus la capacité de soumettre les ennemis ou de dégainer mon arc par exemple. Plus rare encore (vu que ça ne m'est arrivé qu'une seule fois), je me suis fait tuer durant la cinématique de présentation du capitaine ennemi. Bref, si le gameplay fonctionne, on reste tout de même au-dessus des Assassin's Creed en plaisir de jeu (Shadow of War lui pique d'ailleurs ses fameuses tours à escalader afin de découvrir les événements de la carte environnants), force est de constater qu'il souffre de problèmes de précisions et de quelques autres défauts qui n'existent pourtant pas dans les Batman Arkham.

Je noterai tout de même quelques qualités qui viennent un peu redorer le blason du jeu. Premièrement, les développeurs ne nous ont pas fait le coup de nous faire perdre l'intégralité de compétences d'entrée de jeu. Certes, on en perd quelques-unes tout de même, mais les compétences perdues sont très vites réintroduites durant l'acte 1. La seconde qualité, toujours au niveau des compétences, c'est le fait de devoir choisir entre chaque amélioration, de ne pas pouvoir avoir activé tout en même temps. Autrement dit, chaque compétence possède deux ou trois améliorations et, bien qu'il soit possible de sélectionner une nouvelle amélioration de compétence à la volée, chaque compétence ne peut avoir qu'une amélioration activée à la fois. Une manière simple et efficace de nous faire changer notre manière de jouer. Enfin, il est à noter que nous obtiendrons de nouvelles capacités jusque dans le endgame du titre : le titre arrivant plutôt bien à se renouveler.

Comme indiqué plus haut, l'un des ajouts de cette suite de Shadow of Mordor est la possibilité de capturer les forteresses orques ennemies. Bien que peu nombreux (sur les cinq forteresses du jeu en version vanilla, seules quatre sont vraiment prenables), chacun des assauts menés se révèlera vraiment épique, avec sa tonne de PNJ affichées à l'écran, ou encore la possibilité d'être accompagné de nos orques alliés pour la bataille. Pour le coup, ça m'a beaucoup fait penser à du Mount & Blade, mais en bien… en pas trop cheap en tous cas.

Il me semble cependant important de noter que, bien que le nombre de forteresses à capturer se révèle plutôt faible, qu'il est possible de mener l'assaut contre des forteresses d'autres joueurs via les « Conquêtes en ligne »… pas forcément une mécanique que j'ai trouvée très pertinente, vu que les assauts finissent très vite par se ressembler, mais ça reste une feature tout de même sympa pour ceux qui seraient particulièrement amateurs de ce système.

Si chacune des forteresses se trouve sur une carte différente, avec un biome distinct, j'ai cependant trouvé les cartes bien trop classiques dans l'ensemble : lesdits biomes n'apportant rien d'intéressant concrètement. La seule carte que j'ai vraiment appréciée parcourir est la première, Minas Ithil, notamment parce qu'elle ressemble à un vrai champ de bataille avec orques et soldats gondoriens qui se battent en continu dans ses ruelles (tout du moins durant le premier acte). En somme, il manque une ou deux spécificités qui rendraient chaque map unique du genre un affrontement entre deux factions orques ou encore la possibilité de jouer avec le biome de la carte afin d'arriver à nos fins (profiter du froid, d'un manque de visibilité, user de la lave…). En l'état, chaque carte possède sa forteresse, ses capitaines qui la défende, ses quelques missions principales inintéressantes à effectuer ainsi que ses objets à la con à ramasser (je ne vais pas épiloguer là-dessus, mais c'est du classique « Vous avez ramassé une tabouret du Rohan, voici un court passage audio pour vous la présenter », le tout ne pouvant pas être lu hors des menus).

Le titre se pare cependant d'un endgame plutôt « audacieux », puisqu'il faudra défendre plusieurs de nos forteresses à la suite afin de débloquer la vraie fin du jeu. Forcément, les défenses de forteresses sont moins intéressantes que les assauts puisqu'il est logiquement moins gratifiant de s'en sortir avec un statu quo plutôt qu'en ayant acquis de nouveaux territoires, mais ça n'en devient pas non plus chiant.

Bref, dans l'ensemble, Shadow of War s'en tire très bien au niveau du gameplay. En plus, outre un mode photo très complet, accessible à la volée et qui permettra à tout un chacun de voir à quel point vous être un médiocre photographe, il est à noter que le titre possède cinq modes de difficultés variés, modifiables, eux aussi, à la volée. Dernière petite précision, le titre était autrefois réputé pour être un gros Pay2Win. Atteindre le bout du endgame était, semble-t-il, quasiment impossible sans passer à la caisse, et l'attaque ou la défense des forteresses était aussi compromis. Je vous rassure, ce n'est plus le cas, toutes traces de microtransactions ayant disparu après un patch publié au cours de l'année 2018.

C'est Tolkien qu'on assassine !

Si vous êtes arrivé jusqu'ici (déjà bravo, vous devez bien être le seul), vous devez certainement vous demander pourquoi j'ai attribué une telle note à un titre qui semble ne pas avoir tant de défauts que ça. La réponse est très simple : je n'ai pas encore évoqué la manière dont est traité l'univers de Tolkien, et encore moins le scénario calamiteux.

Je n'ai jamais lu Le Seigneur des Anneaux, c'est sur ma longue liste de livres à lire, pour le moment, je m'en tiens encore aux films… pourtant, j'ai beau ne rien connaître de l'univers de Tolkien, je sais que ça se torche bien le cul avec.

Je suis sûr que si les développeurs ont repris cet univers (ou que Warner le leur ait imposé), c'était pour surfer sur le succès de la franchise… en tous cas, ça ne m'a pas du tout donné envie de m'y intéresser. Franchement, je ne sais pas par quoi commencer tant rien ne va. Les personnages sont inintéressants, creux, ridicules. Celebrimbor est un Sauron en bleu sans nuance, Talion ne possède aucun charisme et finit par se transformer en un émo à la con à la fin du jeu. Les nouveaux personnages sont génériques au possible, n'ont aucune profondeur : on sent que les développeurs ont voulu inclure plus de diversités dans l'univers de Tolkien, mais ils auraient mieux fait d'avoir comme priorité d'écrire des personnages intéressants. À la limite, seul Baranor s'en tire moins mal que les autres… et encore. Eltariel est un personnage raté, Idril disparaît en plein milieu de l'aventure pour une raison à la con, son père, Castamir, est un traître qu'on voit arriver à des kilomètres. Pour faire plaisir au plus de monde possible, les développeurs ont inclus Isildur et bien forcément Gollum au sein de leur jeu… m'enfin bon franchement, vu ce qu'ils en font, merci, mais non merci. Le pire reste tout de même Arachne, l'araignée que l'on peut voir dans Le Retour du Roi, qui prend ici l'aspect d'une femme peu vêtue parce que bon pourquoi pas (on nous donne une explication à la con au bout d'un moment, mais je crois qu'on aurait pu s'en passer).

Forcément, si les personnages sont nuls, vous vous doutez que le scénario l'est aussi. Pour le coup, on pourrait croire que ç'a été écrit par un fan tant ça pue la fanfic nulle. Franchement, jouez à Shadow of War et vous saurez ce qui m'exaspère le plus dans les scénarios de jeux vidéo aujourd'hui : c'est prévisible au possible (on perd l'anneau forgé à la fin de Shadow of Mordor dès la cinématique d'introduction à cause d'une raison à la con) ; les blagues sont nulles, dignes d'un Marvel ; la fin est bourrée de retournement de situation tous plus cons les uns que les autres. Le seul truc positif, c'est qu'on est à peu près sûr qu'on n'aura pas droit à une suite vu la cinématique finale (et encore, je dis ça, mais je suis certain qu'ils seraient capables de nous faire une suite quand même).

Le but des scénaristes était de combler un trou entre les événements relatés dans Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux, justifier certains événements (à la manière d'un Star Wars Rogue One) comme Minas Ithil qui devient Minas Morgul… mais franchement, je me pose davantage de question sur l'univers et le fonctionnement du Seigneur des Anneaux depuis que j'ai joué à Shadow of War. Le pire, c'est qu'ils ont engagés pas mal de monde pour l'écriture, y compris des personnalités ayant travaillé sur des jeux bien mieux écrits (pas bien dur en même temps) tels qu'Alan Wake.

J'ai évoqué plus haut le fait que les missions principales sont inintéressantes. Si elles le sont, c'est parce qu'elles n'ont justement rien à raconter d'intéressant pour la plupart, que les objectifs qui nous sont confiés sont banals, qu'une bonne partie d'entre elles sont plus des didacticiels déguisés qu'autre chose. Enfin, même les combats de boss, principalement contre des nazgûl, sont nuls (vous voyez ça rime en plus) : en plus de revenir plein de fois durant l'aventure, ils se battent tous de la même façon super chiante. Encore une fois, ce n'est pas comme si les Batman Arkham nous avaient prouvés qu'on pouvait réaliser des combats de boss pas trop mal avec ce type de gameplay.

De mémoire, Shadow of Mordor avait un scénario tout aussi ridicule. D'ailleurs, la cinématique d'introduction nous récapitule les événements de ce dernier… m'enfin bon pour le coup, je crois qu'on aurait pu tout autant se passer de cette cinématique d'introduction que de scénario tout court.

Reste une optimisation plutôt réussie, le titre tournant constamment à 60 fps avec ma vieille GTX 970 qui tousse, et avec pas mal de paramétrages graphiques. Par contre, c'est un peu moche, heureusement que la direction artistique, calquée sur celle des films de Peter Jackson, sauve un peu le tout. On a cependant droit à quelques cinématiques en CGI bien plus jolies, ainsi qu'une VF globalement convaincante. Les musiques ne s'en sortent pas trop mal, elles non plus, on a droit à quelques thèmes réussis, notamment celui des menus, mais rien de bien mémorable cependant. J'ai été surpris de voir qu'en plus de Nathan Grigg, le compositeur rattaché au studio de développement, que Garry Schyman (compositeur sur la trilogie des BioShock) s'était occupé de la partie musicale du titre. Même si la BO reste réussie dans l'ensemble, je pense qu'on est tous d'accord pour dire qu'il était quand même capable de mieux.

R.I.P. Monolith ?

Est-ce que je recommande L'Ombre de la guerre ? Difficile à dire, d'un certain côté, je trouve que le premier se suffisait déjà à lui-même. De l'autre, si on n'y a pas joué, et qu'on n'a toujours pas eu droit à notre overdose de combat à la Batman Arkham, ça peut être intéressant de se plonger dans cette suite rien que pour découvrir le système Nemesis. Surtout que, pour rappel, le scénario de Shadow of Mordor était déjà tellement mauvais qu'il n'est pas nécessaire d'y avoir joué pour prendre du plaisir sur cette suite.

Reste à voir ce que développera Monolith Productions à l'avenir. À l'heure où j'écris ces lignes, une adaptation de Wonder Woman, reprenant une fois de plus le système Nemesis, serait en chantier… mouai. Pour le coup, même si je suis intrigué, et que je suis certains qu'il y a encore pas mal de trucs à faire avec cette fonctionnalité, j'aurais préféré les voir bosser sur une toute nouvelle licence conçue par leur soin… ou sur un nouveau F.E.A.R. (mais là je rêve un peu je crois).

Quoi qu'il en soit, le jeu est aujourd'hui trouvable dans les alentours dès 5€ en version GotY. Reste à voir si vous aurez envie de passer plusieurs dizaines d'heures sur un titre générique, mais en somme toute réussi.