On trouve dans les Mass Effect, en 2023, trois types d'éléments : ceux qui étaient déjà mauvais à l'époque de la sortie des jeux, ceux qui sont devenus mauvais avec le temps, et ceux qui étaient bons et le sont restés. Et on pourrait résoudre une équation mathématique assez simple pour arriver à un résultat aujourd'hui peu flatteur pour la trilogie complète, expliquer sans même se fouler pourquoi cette série d'action-RPG a pris un gros coup de vieux et ne représente plus le Graal qu'elle incarna peut-être un temps pour les rôlistes de la génération PS360. Je suis moi-même resté longtemps hermétique aux Mass Effect malgré la confiance éperdue que j'avais dans le Bioware de l'époque, malgré mon envie furieuse de donner à manger à ma Xbox 360, et malgré la belle boîte en métal de l'édition collector accompagnée de son codex papier que je lisais dans les transports en commun au lendemain de son achat...


Parce que Mass Effect, à la base, n'est pas franchement selon moi un jeu Bioware : c'est surtout un jeu Microsoft. Un bon gros jeu ricain bien gras et vulgos, un Normandy qui s'arrêterait au Drive In du McDo du coin toutes les cinq minutes pour s'enfourner un triple burger option gros guns en hurlant "America, fuck yeah !". Je ne m'y connaissais pas beaucoup en RPG à l'époque, mais je savais quand même qu'a priori, un bon jeu de rôle n'impliquait probablement pas de contrôler un bidasse énervé de la gâchette qui résout tous ses problèmes à coups de pompe et sauve la galaxie en choisissant la réplique bleue ou rouge. Pour moi, n'en déplaise aux artisans de Bioware qui ont sans doute fait leur maximum pour rester conformes à leurs propres exigences, Mass Effect est avant tout un jeu de son époque, l'un de ces innombrables pan-pan grisâtres comme la Xbox 360 en chiait chaque quinzaine, plus proches du gun porn pour Américain moyen que de la véritable expérience de RPG comme le développeur nous y avait jusqu'ici habitué.


La liste des choses qui ont affreusement mal vieilli dans Mass Effect est longue comme le bras. Sans surprise, c'est d'ailleurs sur cet épisode que se concentre surtout le travail de remaster de cette Legendary Edition. Les cadres d'EA eux-mêmes ont dû rejouer à la version d'origine, et en arriver à la conclusion que ce n'était juste pas possible de sortir un truc pareil quinze ans après. Et je les comprends. Mass Effect 1 est quand même le jeu qui a réussi à faire passer pour un space opera une succession de hangars vides et d'horribles planètes générées procéduralement dont même une version pré-alpha de No Man's Sky n'aurait pas voulu. Le jeu est vide, au sens propre du terme : les villes sont vides, les niveaux sont vides, l'espace est vide (bon, là, d'accord), le level design est dans 80% des cas d'une dégueulasserie si inouïe qu'elle a failli me faire rendre plusieurs fois le Big Mac que j'avais pourtant soigneusement choisi pour me mettre dans l'ambiance. Et la conception des niveaux, qui aligne (et duplique !) les lieux les plus quelconques, n'est même pas toujours le pire ratage du jeu. La plupart des quêtes secondaires de Mass Effect 1 ne sont en effet rien de plus que de répugnants restes diarrhéiques laissés par un développeur en sortie de gastro interstellaire, et je pèse mes mots. Vous cherchez les quêtes secondaires les plus nulles de la galaxie ? Vous les trouverez dans Mass Effect 1. A côté, les derniers Fallout ou Elder Scrolls passent sans peine pour de véritables bijoux d'orfèvrerie. On a droit aux pires paresses du genre : des vieux pop-up de texte pour résoudre un affrontement (je mets au défi quiconque de les lire même s'ils font 3 lignes), une communication radio alakon au fond d'un hangar vide en guise de point d'orgue d'un nettoyage de base moche... et, bien sûr, des kilomètres de vide, des planètes à se farcir en bagnole en mitraillant de pauvres ennemis impotents qui évoquent un Terminator sur Atari ST, flanquées de structures dupliquées et disgracieuses dont la seule évocation continue de me faire un pincement au coeur.


La meilleure façon de détester la trilogie Mass Effect est de commencer par le premier épisode. Même remastérisé, même indéniablement plus beau que la version d'origine (il a été refait sous le moteur de ses successeurs) et revitalisé de quelques améliorations de qualité de vie, le jeu original se traîne en 2023 plus que jamais d'invraisemblables paresses qui donneraient presque envie de refaire Andromeda. Bien sûr, les fans intégristes répondront qu'il reste un chouette codex très complet (c'est vrai), un gameplay de fusillades tactiques assez fendard (c'est vrai), la possibilité d'explorer toute une galaxie (c'est vrai, à condition de considérer galaxie et PNG de planètes comme synonymes). Ils rétorqueront qu'il y a plein de races avec lesquelles discuter (c'est vrai, mais elles sont toutes visuellement et culturellement parfaitement anthropomorphes), plein de choix à faire (c'est vrai), plein de quêtes principales (c'est FAUX). Désolé, mais il ne faut pas se laisser enfumer. Mass Effect n'est pas vraiment un space opera : c'est un jeu d'action qui met une fausse moustache aux USA et transforme les Texans en Krogans. L'imagination des développeurs pour dessiner les races de la galaxie, leurs rapports sociopolitiques, n'est traduit en jeu que par une succession d'instants hollywoodiens très typiques de ce que les jeux américains de la génération Xbox 360 ont presque tous tenté de faire, c'est-à-dire de la pub interactive pour le second amendement. Et c'est triste.


C'est triste, parce que s'arrêter à ce brouillon de culture qu'est Mass Effect 1, qui, mauvais linguiste, confond "univers" et "hangar désaffecté", "politique" et "pain dans la gueule", "aventure" et "fusil à pompe à mod brise-armure Roxxor VIII", "romance" et "rentre-dedans", apporte à peu près la garantie d'abandonner la saga. Il y a toujours eu pour moi quelque chose de très énigmatique dans le succès du premier épisode, et je soupçonne les développeurs de chez Bioware d'en être eux-mêmes conscients. Car c'est à partir du second Mass Effect qu'on commence à avoir l'impression qu'il y a réellement des scénaristes, des level designers et des concepteurs aux commandes. Mass Effect 2 accepte son héritage hollywoodien, mais plutôt que de s'en contenter en appliquant une nouvelle fois la même recette, il refait tous les dosages. Ce jeu est pour moi un bel exemple d'une créativité s'épanouissant sous la contrainte : on sent que, face à un héritage à la fois lourd (le succès commercial du jeu) et inconnu (on est à des années-lumière de la formule RPG classique dont le studio avait jusqu'ici fait sa spécialité), Bioware s'est retrouvé dans une situation inédite et a préféré se retrousser les manches pour explorer plus avant son concept et ce qu'il impliquait en termes d'écriture. Les planètes moches et vides ? Dégagées. Les quêtes secondaires affligeantes ? Refondues. Les compagnons sympa mais lisses ? Enrichis et associés à des arcs narratifs. La galaxie dans son ensemble ? Elle n'est pas foncièrement plus aboutie ; elle est pourtant "meilleure", plus en adéquation avec des principes de game design cohérents, et aussi avec les limitations techniques de l'époque sans chercher à en mettre plein la vue.


Mass Effect 2 amorce une révision du design du premier jeu, et, peut-être plus important, de son écriture. Là où l'original ne racontait qu'un pan-pan boum-boum avec une skin spatiale, le deuxième essaye de dire quelque chose de plus fort, de plus en adéquation avec l'intention initiale de space opera. Et à partir de cet épisode, ça commence à sérieusement fonctionner. Les enjeux sont à la fois plus évidents et plus profonds : il y a moins de dissonnance entre la simplicité excessive des situations et la complexité trop contrastante du codex écrit qui minait le premier épisode. L'urgence est plus palpable, le sentiment de participer à une quête plus grande que soi commence à se dessiner. Avec les éléments essentiels de l'original en place voire remaniés (roue des dialogues, combat tactique en mode TPS), les scénaristes et designers améliorent sensiblement la formule pour la rendre plus riche, plus digeste, plus intelligente et définitivement plus proche de l'idée de RPG en général, même si certaines simplifications apparentes peuvent laisser croire le contraire. Il y a bien eu le célèbre popotin de Miranda (censuré pour l'occasion de cette Legendary Edition, pour le pire ou le meilleur, je ne saurais dire), mais au final Mass Effect 2 est un peu la Baldurisation de Mass Effect : en changeant les ingrédients, en équilibrant les doses, et surtout en dégageant les horribles fainéantises du premier jeu, il atteint son objectif, soit être un jeu de rôles et d'action, à la fois fun, riche, profond, et agréable. Et beau aussi, tant qu'on y est, grâce à un moteur de jeu revu de zéro.


Et, derrière lui, Mass Effect 3. Le dernier épisode, celui qui a fait couler beaucoup d'encre. Ce jeu a pour moi un statut particulier. Je me rappelle d'un petit scandale lié à sa fin : vexés de ne pas avoir eu de dénouement à la hauteur de leurs attentes, les joueurs avaient réclamé une réécriture complète de la fin, qu'ils ont fini pour obtenir sous forme de patch. J'avais fait le jeu avec sa fin originale avant le patch et je l'avais trouvée très bien. J'avais à chaque fois importé mon personnage de l'épisode précédent. J'avais fait tous les épisodes avec mon commandant Shepard commencé sur Mass Effect 1. Je l'avais progressivement modelé, j'avais guidé ses rencontres, j'avais façonné par ses choix le visage de l'univers, qui se marquait progressivement des décisions passées de façon plutôt cohérente et surprenante. Le troisième épisode est à ce titre la concrétisation de toutes les ambitions de Bioware : le jeu back-tracke vos choix depuis le tout premier jeu, affine ses systèmes, réduit ses imperfections, consolide sa mise en scène et son écriture qui semblent très naturellement guidées vers un assombrissement général. La technique est largement connue à Hollywood de rendre progressivement "adultes" les sagas au long cours ; je pense qu'à ce niveau, Mass Effect suit un peu la même évolution qu'un saga cinématographique de son époque comme les Harry Potter, avec une teinte de plus en plus sérieuse censée accompagner la croissance de son propre public. C'est un peu idiot, mais ça fonctionne assez bien. Dans le cas d'une série de jeux vidéo qu'on parcourt avec un unique personnage dont les choix sont gardés en mémoire, ça a même un parfum assez particulier : on se sent comme un acteur sur la durée, et on est de plus en plus concerné. C'est peut-être pour ça que la fin originale de Mass Effect 3, qui est clairement définitive et n'appelle aucune suite, m'avait autant plu, qu'elle avait réussi à me laisser sur un tel sentiment de contentement et de finitude : les scénaristes avaient conclu une saga de la manière la plus pudique et la plus évidente possible. Je n'y voyais rien à redire, et j'ai même été profondément ému.


Du coup, c'est embêtant. Comment faut-il considérer cette compilation nommée Legendary Edition ? Mass Effect 1, même remastérisé, même plus beau, n'est toujours pas un grand jeu ; il est même parfois extrêmement gênant. C'est pour cela qu'il vaut sans doute mieux raisonner en termes d'investissement global. La trilogie Mass Effect, même si elle commence mal, reste un tout indissociable. Souffrir son premier épisode permet paradoxalement de mieux apprécier les évolutions de ses successeurs, qui offrent par ailleurs un temps de jeu largement supérieur. En comptant les nombreux et toujours excellents DLC des suites (contrairement à ceux du premier, qui, surprise, sont merdiques), je pense même que Mass Effect 1 ne représentera pas plus de 20% du temps de jeu total. On en revient à notre équation : Mass Effect Legendary Edition est donc à 80% réussi. Et si on veut aller plus loin, on peut noter le plaisir très singulier qu'apporte cette compilation pour les complétionnistes. Je voudrais ici adresser un simple remerciement aux concepteurs des succès de cette édition, qui se sont arrangés pour encourager les joueurs à faire tous les jeux dans leur mode de difficulté maximal, à la suite, avec le même perso, pour déverrouiller des achievements uniques. C'est tout bête, mais ça permet de se rappeler que c'est comme cela que doit se jouer la trilogie. Pour ce petit, ce minuscule détail de conception adressé en forme de coeur aux anciens, j'attribue donc un petit point supplémentaire à cette compilation. En 2023, Mass Effect, malgré son cadre, n'est pas tant Star Wars qu'un drôle de croisement entre Harry Potter et un RPG. Une boîte de souvenirs magiques dont beaucoup n'ont pas si mal vieilli, et qui réservent, au milieu de moments nostalgiques plus ou moins agréables, d'étonnants instants de plaisir rôliste valant bien d'y engloutir l'équivalent de sept jours de jeux sans dormir ni manger. Enfin si ; mais des burgers, du coup.

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le 15 janv. 2023

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Seb C.

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