Dual Spirit of Justice for All

Je suis un très grand fan de la série Ace Attorney, où l'on incarne un avocat qui va défendre des innocents lors de procès délirants. Les 3 premiers épisodes ont bercé mon adolescence sur DS, j'en étais fanatique. Je me suis marré devant ces joutes verbales improbables, j'ai transpiré lors de procès désespérés, je me suis retrouvé sur les fesses à plus d'une reprise alors qu'un twist sauvage surgissait, j'ai même été ému par Phoenix lorsqu'il se retrouvait acculé dans ses dernières limites, ou qu'il réglait un problème qui le poursuivait depuis son enfance. La série savait titiller notre envie de défendre ceux qui se faisaient injustement cracher dessus de toutes parts, comme une revanche du gosse qui se faisait bizuter à l'école. C'était prenant, acharné, et surtout gratifiant. Les fins des épisodes 2 et 3 accompagneront pour toujours mes souvenirs vidéoludiques. J'ai un attachement total envers la série, l'une de mes préférées. Je devrais donc adorer sans condition ce nouvel opus qui collectionne les éloges. Malheureusement, je pense que la série se trouve dans une impasse.

Le problème de Spirit of Justice ne réside pas dans un manque d'innovations, au contraire (j'y reviendrai). Il ne réside pas non dans des affaires qui seraient moins intéressantes que d'habitude. Je pense que si j'avais commencé la série avec cet épisode je l'aurai bien plus apprécié. Car c'est là le problème : avant lui on a eu 5 épisodes canoniques, 3 spin-off (dont 2 jamais sorti hors du Japon) et un cross-over avec le professeur qui aime les énigmes. Et Spirit of Justice sonne pour moi comme l'épisode de trop alors que Dual Destinies remonte à 3 ans. La série a des ingrédients qui se sont souvent répétés, par exemple les twists ont des similarités dans la série qui les rendent de moins en moins surprenants, voire prévisibles. Il y a surtout un énorme problème d'enjeux.

Vous connaissez tous ces séries où le héros est régulièrement défié par son rival ? On nous livre un combat de titans, le héros menace de faiblir à chaque instant, le rival se moque de lui, puis le héros gagne in extremis. C'est hyper prenant la 1ère fois. La 2e et 3e aussi. Mais à la 10e tentative du rival qui rabaisse le héros alors que ce dernier l'a toujours battu, la victoire est déjà moins gratifiante et le rival n'est plus très crédible avec son arrogance mal placée. Pour la série Ace Attorney ça se ressent enfin pour moi, d'autant plus que les procès suivent les étapes habituelles. Lorsque l'avocat perd espoir, on se souvient que c'est là qu'un coup de pouce va apparaître parce qu'on reconnait un schéma vu trop souvent. Lorsque le nouveau procureur (assez fade d'ailleurs) insulte l'intelligence de nos héros qui lui ont déjà donné tort on se moque de lui. C'est vrai qu'on sait toujours que le film d'action familial va se terminer sur la réussite du gentil, mais là le processus pour sauver le héros devient trop visible à force d'avoir été exploité dans cette masse d'affaires.

Ce qui est embarrassant, c'est surtout que le jeu donne l'impression de présenter des problèmes que l'on a déjà résolus dans les épisodes précédents et répète des messages que l'on connaît par cœur. "Je me bats parce que j'ai confiance en mon client, je ne baisse pas les bras car je veux faire éclater la vérité !" : oui, j'ai adoré cet esprit combatif, mais là on commence à connaître cette motivation et on aimerait bien passer à autre chose (je ne compte pas le nombre de fois où cet épisode nous rappelle que "A dragon never yields"). La première trilogie se concluait en beauté avec un Phoenix qui s'émancipe : ce n'était plus un débutant, on pouvait le laisser voler de ses propres ailes. Mais avec la seconde trilogie on a tout recommencé avec 2 nouveaux avocats, tout ce qu'on avait résolu doit être refait d'une façon assez similaire (on se défonce au tribunal pour mûrir). Et il est assez pénible d'avoir l'impression de refaire ce qu'on avait déjà accompli dans la 1ère trilogie. De refaire comprendre aux procureurs que non on ne va pas abandonner nos clients, que la justice doit triompher, que nous sommes capables de nous défendre même si on paraît faible, que ceux qui nous ont humiliés ne vont pas tarder à comprendre leur erreur. Ce nouvel épisode va d'ailleurs allègrement nous refaire le coup des gens à convaincre que les avocats ne sont pas des méchants. En plus j'ai un curieux sentiment à propos d'Apollo Justice, qui est mis en valeur dans cet épisode : on aurait remplacé son modèle 3D par celui de Phoenix que je n'aurai pas vu la différence, il réagit de façon très similaire à ce dernier mais avec un background différent. D'ailleurs Phoenix paraît ne pas savoir sur quel pied danser : c'est un mentor quand il est en présence de ses protégés, voire une figure de sagesse, mais il redevient aussi maladroit qu'à ses débuts dès que c'est lui qu'on incarne.

J'ai eu une impression de lassitude avec Spirit of Justice que je n'avais pas encore ressentie dans la série et ça me fait peur. J'ai l'impression que les Ace Attorney auraient dû s'arrêter avec la trilogie qui offrait une superbe conclusion. Pourtant Spirit of Justice fait de gros efforts pour apporter du nouveau. D'abord par son contexte : une bonne partie du jeu se déroulera dans la contrée fictive de Khura'in, manifestement inspirée par le Tibet pour ses décors, ses costumes et l'importance accordée à la religion. Ce pays est traversé par des troubles révolutionnaires auxquels on sera fatalement mêlé (une vision de la révolution d'ailleurs assez naïve qui servira surtout à grossir un peu plus les enjeux). La religion y est tellement forte qu'elle influe sur les procès, certaines preuves ne pouvant être contredites sous peine de passer pour un hérétique. C'est mine de rien un sujet très sensible et actuel qui est traité là, et c'est une excellente chose. On se bloquera souvent face aux croyances locales, la princesse Rayfa faisant une bonne représentation du fanatisme (on est quand même dans un Ace Attorney, la caricature reste dans l'ADN de la série). La grosse erreur aurait été de plonger dans l'athéisme en tournant cette religion fictive au ridicule, le jeu évite ça habilement en n'attaquant jamais cette foi mais seulement l'interdiction de réinterpréter les faits, ménageant les croyances de chacun.

L'autre nouveauté intéressante, c'est l'apparition des séances divinatoires : grâce à des pouvoirs magiques (la série a toujours versé dans le fantastique), la princesse nous montre les derniers instants des morts et affiche en toutes lettres ce que ses 4 autres sens perçoivent ("bruit de pas", "douleur", "BRUIT DE PAS" etc). Ces séquences semblent accabler l'accusé, il faudra donc trouver quel élément entre en contradiction avec l'interprétation que la princesse en fait. C'est une nouvelle façon de faire travailler ses méninges dans la série et c'est fort bienvenu, ce fut agréable de réfléchir là-dessus. C'est bien exploité et vient rejoindre le Mood Matrix de l'épisode précédent dans le cercle des bonnes nouveautés (par contre le bracelet d'Apollo qui demande de plisser les yeux pour trouver les tics des témoins, c'est toujours aussi peu amusant). Pour finir sur les éléments positifs de l'ère 3DS, j'aime beaucoup les nouvelles mises en scène que l'on a de temps en temps, principalement lors de la défaite du vrai coupable qui est théâtralisée. La parodie de jeu de combat s'assume de plus en plus et c'est rigolo.

Je vais maintenant évoquer ce qui me dérange le plus avec cet épisode. Les problèmes de lassitude évoqués plus haut auraient pu arriver à bien d'autres volets de la série s'ils étaient sorti plus tard, mais mon gros problème avec Spirit of Justice que je ne ressentais pas avant, c'est que les 3/4 des twists sont anticipés. Et ça la fout vraiment mal parce qu'on a toujours un coup d'avance sur les personnages. On les voit galérer sur des points que l'on a compris depuis longtemps, on galère soi même à comprendre ce que les développeurs nous demandent de montrer parce qu'on les a pris de court et qu'on ne sait pas se faire comprendre du jeu, on soupire en voyant les personnages tirer des tronches en découvrant des choses qui nous semblaient évidentes. Il y a un moment où le procureur a cassé Apollo avec un argument absolument pourri, et jamais cet argument ne sera remis en question. J'avais envie d'entrer dans l'écran, d'arracher à Apollo son badge d'avocat et de signaler au procureur que la victime était déjà morte en arrivant et qu'elle n'aurait donc jamais pu laisser ses empreintes là, je voulais le hurler mais les développeurs n'y ont pas pensé et le proc est resté là avec son air suffisant, alors qu'il venait de sortir une énorme ânerie. On a aussi eu une séance divinatoire où dès le début j'avais trouvé quel serait le twist à annoncer, mais je galérais à expliquer ce que j'avais compris parce qu'il fallait que j'aille à la même vitesse que Phoenix qui était bien plus lent que moi. Dur de s'emballer pendant la musique de victoire quand on prend le héros pour une andouille. Alors il y a des trucs que je n'avais pas spécialement deviné, des moments où je m'étais planté, mais avoir soupiré devant pas mal de trucs visibles à des kilomètres limite quand même beaucoup la force des révélations réussies. Ce qui est vraiment du gâchis parce que les affaires sont très ingénieuses (sauf la 4e, un bouche-trou pas inspiré). Il y a même UN twist à la fin qui lui m'a vraiment mis la tête à l'envers, là c'était le Ace Attorney de mes souvenirs, là j'étais vraiment sur les fesses. Mais c'est peu, et certains effets qui se veulent saisissants tombent parfois un peu à plat (la première moitié de la 5e affaire nous recycle en moins bien des surprises des épisodes précédents). On pourra se consoler avec l'histoire d'Apollo qui est mis en valeur, ou avec le contexte politique de Khura'in qui offre enfin un peu de renouveau (sauf pour le mépris des gens envers les avocats, ça on en a bouffé tout au long de la série). Mais le fait est là, j'ai fini le dernier épisode d'une série fétiche sans empressement, sans ressentir le feu habituel, et je n'ai même pas envie d'acheter l'affaire DLC.

Spirit of Justice n'est pas mauvais, il n'est pas non plus flemmard, il a beaucoup d'inspiration et ses personnages demeurent savoureux. Mais il appartient à une série qui n'est pas faite pour s'étirer, la force de ses débuts diminue progressivement. Peut-être qu'avec des artifices pour mieux cacher ses révélations on s'en sortirait mieux : plus de fausses pistes crédibles par exemple, ou des indices moins flagrants. Il faudrait que l'on modifie les problèmes rencontrés, comme l'épisode 2 l'avait brillamment fait avec sa dernière affaire. Quelque chose, je ne sais pas quoi, qui ne me donnerait pas l'impression que les personnages livrent sans arrêt la même bataille sans rien en retenir.