Il y a des œuvres comme ça qui nous font percuter...quelque chose. Des œuvres qui en un sens nous font prendre conscience que le temps détruit tout , que le monde est à la fois violent et magnifique...Pour ma part , l'oeuvre fondatrice de cette prise de conscience fut Red Dead Redemption , premier du nom.
Pour vous resituer ce jeu vidéo , sortit en 2010 , rejeton prestigieux de la non moins prestigieuse nursery à chef d'oeuvre qu'est Rockstar Games , sa sortie lancera dans son sillage une décennie de maturité d'écriture jamais vu jusqu'alors dans le milieu du jeu vidéo. Un scénario finement découpé en trois actes où l'on suivait un certain John Marston , ancien desperado borgne , père de famille retiré aux siens par deux agents du Federal Bureau of Investigation afin de traquer trois de ses anciens complices. Car dans le temps , Marston avait fait partie d'une très célèbre bande de hors la loi - le gang Van Der Linde - dont les causes de l'implosion restaient relativement mystérieuses...Avec sa trogne balafrée et ses revolvers à la ceinture , Marston repart donc dans l'Ouest pour une dernière chevauchée qui le verra fomenter avec une équipe de bras cassées l'assaut d'un fort servant de repaire à une bande de hors la loi dirigé par un de ses anciens frère de crime ; traverser la San Luis River en radeau en compagnie d'un Irlandais alcoolique et pénétrer un Mexique fascinant en proie à des troubles politiques , puis rentrer chez lui dans les environs de l'industrielle cité de Blackwater , et traquer dans les neiges hanté par les derniers Indiens d'Amérique son père de substitution Dutch Van der Linde lui même.
Red Dead I possédait une chose indéniable à son crédit : il était arrivé en premier. Cette sensation de liberté , de poussière et de chevauchée au clair de lune qui en 2010 marquait les joueurs de ma génération les marquerait au delà de toute parole. Red Dead était , pour Rockstar , une aventure au delà des frontières rassurantes du buddy movie qu'était devenu leur saga des Grand Theft Auto. Avec Red Dead donc , la firme des frères Housers s'aventurait sur des terres obscures , nostalgiques , relevées d'un long discours sur la fin des grands espaces et des grands hommes qui les ont arpenté , emprunté à la Horde Sauvage de Sam Peckinpah. De plus , il s'agissait d'un monde exceptionnellement vivant , qui savait combler le vide inhérent à sa fable farwestienne d’interactions subtiles et de micros-événements qui vous faisait dire à chaque fois que vous éteigniez la console que ce monde ci continuait à vivre sans que vous ayez à l'observer.
Et cette année est sortie la suite de Red Dead Redemption...


Nous sommes en 1899.
Le XIXem siecle s'acheve. L'Amérique vient tout juste d'obtenir à la suite d'une guerre contre l'Espagne à Cuba et un matage d'insurrection dans les Philippines le statut de grande puissance internationale , tandis que sur son territoire , le bureau du recensement clôt le principe même de Frontier Strip qui avait modelé pendant près de quarante années l'Ouest Sauvage et sa population coloniale , faisant de cette dernière une part - apparemment - unie du grand gâteau Américain.
C'est dans cette lente marche de la civilisation vers le grand Ouest que survit le gang Van Der Linde. A sa tête donc , le raffiné Dutch Van Der Linde , figure patriarcale ultra-tolérante , paternaliste au possible avec les membres de sa bande de hors la loi , inénarrable beau parleur , et socialiste humaniste qui s'ignore. Celui ci forme avec son très vieil ami Hosea Matthews , et ses deux fils spirituels Arthur Morgan et John Marston , le noyau d'un clan très disparate composé d'a peu près tout ce que l'on peut trouver de rejeté en Amérique : femme , noir , métisse , juif , mexicain , irlandais , révérend dépravé , vétéran des guerres Indiennes , déserteur , et autres cabossé(e)s de la vie. Une vraie famille , survivant au jour le jour de pillage de train en attaque de diligence , de braquage de banque en arnaques.
Seulement , cette année et surtout avec l'Hiver - à retardement - est arrivée son lot d'emmerde. A Blackwater , un braquage a très mal tournée et toute la bande s'est retrouvée coincée dans la chaîne montagneuse des Grizzlies , à l'est , avec sur les bras un mourant et sur le cul les autorités de plusieurs états ainsi qu'une bande rivale , les O'Driscolls ,dont les antécédents avec la famille Van Der Linde semblent remonter à très longtemps...Pour Dutch , il s'agit donc de se sortir de cette situation malheureuse et pour cela , il peut toujours compter sur Arthur , son rugueux bras droit.
Vous l'avez donc compris , Red Dead II prend donc la course des événements du premier volet en contresens , et au lieu de nous créer une toute nouvelle histoire et un tout nouveau lot de protagoniste , le jeu tend donc à faire des chroniques du gang Van Der Linde le fil rouge de sa saga. Une indication peut-être sur le troisieme jeu , qui pourrait se dérouler à la sortie même de la Guerre de Sécession par exemple ? Cela reste à voir...
Bref , le jeu nous emmène dans cette version à peine rajeunie de l'Ouest que nous connaissions déjà dans le premier opus. Et , primo , parler ici d'Ouest serait dénaturer le plus intéressant principe scénaristique du jeu : plus la situation évolue pour la bande , et plus celle ci qui est pourtant composé d'autochtones de la poussière et du soleil , se dirige inexorablement vers l'est , vers les vestiges de la guerre de sécession dans les bayous de l'état de Lemoyne , vers les rues polluées de la grande citée de Saint-Denis et les monts forestiers de la vallée du Roanoke. Des terres encore sauvages , foisonnantes d'un gibier de toutes les tailles qu'Arthur doit chasser pour nourrir la bande , d'opportunités de get-apens en pagaille , de paysages somptueux digne des plus belles peintures de Russell ou Remington. Un jeu dense , qui poussera le joueur à se laisser bercer , et qui l’emmènera à traverser des atmosphères inédites , mais aussi revues et corrigées par les soins de la fantastique équipe de développeurs qui ont sacrifiés leurs vies pour cet émerveillement. Rockstar nous démontre une fois de plus qu'ils sont les seuls à maîtriser les mondes ouverts dans le milieu.
Mais en parallèle de ce très gros point positif , ce jeu laisse derrière lui , sur sa franchise en tout cas , une très légère odeur de souffre. Quelque chose qui ne se ressent pas dans le gameplay qui est à mon avis plus que bon et immersif , mais plus dans...son écriture.


Ici , je vais donc rejoindre la première partie de mon analyse et rappeler pourquoi Red Dead I était important. Plus important que sa suite ne le sera à mon avis , malheureusement.
Red Dead I transmettait un message thématique limpide sur la férocité du temps qui passe et la mort d'un monde. Marston poursuivait trois fantômes de son passé - Bill Williamson , Javier Escuella et son propre tuteur devenu fou , Dutch Van Der Linde - et les éliminait , rencontrant sur son chemin autant de personnages qui lui rappelait que le monde qu'il avait connu était mort sans qu'il s'en aperçoive. Si Red Dead II tend à inscrire tout son discours dans la même ligne , la densité de son univers rend impalpable sa portée. Le monde est bien trop beau , et les événements trop fréquents pour que l'on puisse ne serait ce que croire en sa disparition dans les fumées noirâtres de l'industrie.
Alors , on se rabat sur le personnage principal et force est d'admettre que sa proximité avec une bande haute en couleur , tout à fait réussie bien que rabâcheuse , rend Arthur Morgan relativement bourrin , et toute sa profondeur ne peut s'analyser qu'au travers de sa proximité avec des éléments beaucoup plus infimes comme l'attention que l'on doit porter - et que par le truchement de notre manette , il doit porter - à sa monture , les conversations qu'on peut lui faire avoir avec les autres membres au camp ,et son rapport aux missions de recouvrement de dette que le juif Strauss lui demandera d'accomplir. Mais retirez cela et vous avais un personnage à tout faire , certes humain , certes laid et beau à la fois , mais désespérément vide.
L'évolution de l'histoire ne se fait pas non plus sans heurts. Si le premier et le second chapitre sont passionnants et nous introduit avec brio aux membres du gang , si le troisième nous fait rentrer en une atmosphère de sud profond dont on s'amuse à moquer le gothique décadent , les soucis de caractérisations et de situations ( Angelo Bronte , c'est toi que je regarde...) commencent à s'amonceler des le quatrième chapitre. Le cinquième est carrément honteux , et témoigne d'une paresse d'écriture sans précédent dans l'histoire des jeux Rockstars ( une paresse qui se ressent jusque dans des bugs ridicules). Je ne dirais rien des chapitres qui suivent , par peur de spoiler comme un coyote , mais sachez juste que la fin est...voilà. Une fin , quoi.
C'est dommage. Trop dommage quand on se remémore la finesse d'écriture du premier jeu. Vous aurez sans doute des pincements au cœur en vous rappelant les persos de Nigel West Dickens , de l'Irlandais , de l'Agent Ross , d'Abraham Reyes , ainsi que celui du Dutch du premier opus. Un pincement en vous remémorant des scènes cultes comme l'arrivée de John à Chuparosa et sa rencontre mythique avec les trois banditos ( *Hola Gringo ! hablas español ? * ) dont ce jeu est totalement dénué , faute à un univers étendu qui se doit de se légitimer par le dialogue ( une grossière erreur...).
Mais peut-être suis je , à l'aune de mes vingt et un ans , déjà devenu un vieux con. Sachez juste que l'achat de ce jeu vaut néanmoins son pesant d'or , et qu'il n'y a que moi pour pointer des mollesses et des baisses de rythmes. C'est un jeu très influencé ( si le premier Red Dead était forcement auréolé de la Horde Sauvage , celui ci trouve ses sources dans l'aspect plus lent et contemplatif d'un Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford dont une mission d'attaque de train à la fin du second chapitre rend hommage aux jeux de lumière de Roger Deakins). On ne peut qu'être rassuré pour la suite des hostilités ceci dit. Car la première force de Red Dead II fut de rendre plus intense encore le premier opus. Un troisième volet rendrait dans cette logique honneur à ce volet , et ferait du tout premier un jeu indiscutablement légendaire.

Créée

le 2 déc. 2018

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