Rien ne s'arrange pour le marshall Dalton : sa dernière demande de réaffectation au sein des marines encore refusée, il doit continuer à patrouiller l'espace connu pour assurer la sécurité des colons dans les mondes lointains ; le tout à bord d'un navire qui n'en finit pas de s'écrouler et à la tête d'un équipage non seulement réduit au minimum mais aussi bien difficile à commander... Et tout porte à croire que ça va encore durer longtemps avant que sa faute soit effacée. Mais au moins ses gars sont sympa dans le fond...


Et puis la routine se brise. D'un coup. Sans prévenir, ou pas vraiment. Un appel de détresse venant du système stellaire Elara amène Dalton et l'équipage de l'Atlantis sur la cinquième planète, Sanctuary, où le personnel d'une base d'extraction minière de la Liandri rencontre des difficultés. C'est une attaque. D'on ne sait qui, ou plutôt quoi. Mais les dégâts sont considérables, et presque tout le personnel est mort... Ce que Dalton y trouvera le mènera sur la piste d'un secret terrifiant, caché depuis des éons au sein des plus anciennes légendes de la galaxie, et qui menace l'équilibre de l'univers tout entier.


On sait tous qu'il y a des œuvres damnées, et un tel destin tient le plus souvent à deux raisons principales. Parce que leurs créateurs n'ont pas su se montrer à la hauteur des moyens dont ils disposaient, ou bien parce qu'ils se mesuraient à une paternité peut-être tenue en trop haute estime par les admirateurs de l'œuvre originale. L'échec – ou prétendu tel par certains – d'Unreal II: The Awakening tient un peu de ces deux raisons à la fois, encore qu'on peut y rajouter une troisième – plus banale car plus répandue et que je développerais en son temps. Le premier de ces motifs, ici, est aussi le plus intéressant car il permet d'aborder une problématique récurrente – dans l'industrie du jeu vidéo comme ailleurs.


Quand j'évoquais les créateurs d'Unreal II, je ne pensais pas qu'aux gens de Legend Entertainment, par ailleurs des artistes et des programmeurs dont les capacités firent bien des envieux dans toute l'industrie du jeu vidéo ; je pensais aussi à Atari, anciennement Infogrammes, à l'époque propriétaire de Legend et distributeur des titres créés par ceux-ci mais aussi ceux développés par Epic Games – c'est-à-dire le patron de ces deux studios, pour simplifier à l'extrême. À ce moment-là, début des années 2000, Atari connaissait de grosses difficultés financières et la direction de cette maison d'édition cherchait comment rassurer ses actionnaires. Le plus simple consistait à sortir un « gros titre » : un jeu dont les grosses ventes suffiraient à combler tous les déficits.


Comme il reste toujours hasardeux de lancer une nouvelle licence, la meilleure option est de publier une séquelle d'un titre à succès. Or, à cette époque, Legend planchait déjà depuis quelques temps sur la suite du mythique Unreal dont l'aura – soutenue par l'immense réussite d'Unreal Tournament – n'avait pas faibli, loin de là. Le développement d'Unreal II restait loin du résultat prévu au départ mais avec assez de rafistolages, il y avait moyen d'obtenir un jeu tout à fait jouable : soit du cash immédiat et avec un risque si réduit qu'il en devenait négligeable. Legend appartenant à Atari, ils ne pouvaient pas refuser de répondre favorablement à une telle requête, pas vraiment en tous cas (1) – encore que quand on sait comment ils ont été remerciés, on se dit qu'ils auraient peut-être dû... (2)


Voilà comment s'explique le semi-échec d'Unreal II, au moins en partie : Legend, qui au départ n'avait aucune contrainte de temps de développement, se vit soudain obligé de livrer ce qu'ils avaient conçu pendant deux ou trois ans en s'arrangeant pour que ça ne tienne pas trop mal la route. Bref, l'Unreal II qui connut une commercialisation ne représentait que la moitié de ce que le titre complet devait être au départ ; ceux d'entre vous curieux de savoir ce qui a été « coupé » de la version définitive afin qu'elle puisse être finie dans les temps pourront consulter avec plaisir – et quelques grincements de dents aussi, probablement – les Liandri Archives chez BeyondUnreal.


La seconde raison de ce fiasco, au moins vis-à-vis des fans de la première heure, se montre beaucoup moins insidieuse et voire même assez attendue. Après tout, on ne peut prétendre à la succession d'un roi à moins d'être un prince, et il allait de soi que Legend ne bénéficiait pas de la même estime qu'Epic auprès des admirateurs de la franchise Unreal : le palmarès de Legend sur ce point, après tout, se limitait encore à un Mission Pack: Return to Na Pali qui connut à peine un succès d'estime que le triomphe d'Unreal Tournament fit vite oublier de toutes manières ; quant à leur adaptation de la série La Roue du temps, elle avait laissé assez indifférent dans la communauté Unreal...


Mais comme je l'indiquais dans le premier paragraphe, il y a selon moi un troisième paramètre à prendre en compte : cette propension qu'ont les fans d'une œuvre à élaborer les détails de l'original que son auteur légitime n'a jamais développé ; en d'autres termes, ce sont les zones d'ombre qu'avait laissé Epic dans l'univers d'Unreal – et dont l'approfondissement, au moins partiel, avait été confié à Legend – qui ont donné aux fans la liberté d'imaginer ce que cet univers pouvait être, et donc ce qu'Unreal II aurait dû être selon eux – mais qui n'avait pratiquement aucune chance d'advenir, pour des raisons évidentes.


Je me permets une petite aparté pour préciser mon propos, car ce que je viens de décrire dans le paragraphe précédent correspond à ce que j'appelle le « syndrome du clair-obscur » – faute d'un meilleur terme. Je rappelle à toutes fins utiles que l'école artistique du clair-obscur se caractérise par des images très contrastées, où les zones sombres sont complétement noires et le disputent aux zones claires : en apparence vides, ces zones noires se voient ainsi peuplées par l'imagination du spectateur qui ne peut concevoir le néant en regard de ce qui est représenté dans les zones claires.


Ainsi, les zones sombres d'Unreal premier du nom – et je veux dire par là les éléments de son univers jamais exposés dans l'opus original, mais non les zones d'ombre des niveaux du jeu lui-même – se virent-elles au fil du temps comblées par l'imagination des fans qui les remplirent ainsi chacun à leur façon de ce qu'ils voulaient bien y mettre selon leur créativité, mais qui ne pouvait qu'être foncièrement différent de ce que développait Legend... Le travail du studio aurait-il été considéré avec plus d'indulgence s'il avait été présenté complet ? Je le crois volontiers, mais on ne le saura jamais...


Et malgré tout...


Malgré tout, Unreal II reste un pur space opera, qui vous mènera au fin fond du cosmos et aux quatre coins de la galaxie, et peut-être même plus loin encore. Dans la lignée d'un Star Trek, mais désabusé et à bout de souffle au lieu de présenter avec une certaine naïveté un futur foncièrement plus beau, et dont il ne retient en fin de compte que l'aspect exploration des étoiles et de mondes nouveaux, soit la promesse d'une aventure qui défie l'imagination, Unreal II s'affirme au final comme une véritable histoire de science-fiction, au propos certes simple mais dont l'univers présente tout ce qu'il faut de réalisme et de diversité pour garantir immersion et plaisir de jeu.


Ici, vous visiterez des mondes paradisiaques comme des enfers de glace, des planètes vivantes et d'autres biomécaniques, des complexes industriels et des déserts de sable. Vous combattrez des extraterrestres inconnus et de vieilles connaissances, mais aussi des résidus de manipulations génétiques et des guerrières de sectes fanatiques dans la plus pure tradition de Dune. Il y aura ceux que vous devrez tuer et ceux que vous pourrez épargner, sans oublier ceux que vous devrez protéger. Et pour tout ceci, vous aurez des alliés, dont les plus précieux vous accompagneront à bord de l'Atlantis, ce qui vous permettra d'apercevoir leurs cicatrices – parfois bien profondes.


Et pour mener à bien la douzaine de missions qui vous attend, vous aurez bien sûr à votre disposition un arsenal plus que conséquent. Outre les classiques fusils d'assaut, fusil à pompe et fusil de précision, votre équipement comprend aussi un lance-flammes, un lance-roquettes aux vecteurs à tête chercheuse et un lance-grenades pouvant tirer six types de munitions différentes ; certaines missions vous permettront aussi d'utiliser des gadgets supplémentaires telles que des barrières-laser et des tourelles de tir automatisées. Enfin, vos excursions sur des mondes inconnus vous laisseront compléter votre attirail avec toutes sortes de flingues tous plus exotiques les uns que les autres.


Mérite aussi d'être mentionné qu'Unreal II présente un élément qui ravira les mechaphiles : Dalton, ainsi que nombre de ses alliés comme de ses ennemis, est équipé d'un scaphandre blindé et mécanisé – soit une power armor, c'est-à-dire un mecha. Si cet équipement vous facilite l'interaction avec le décor, il sert surtout à augmenter votre résistance à défaut de votre agilité : il en résulte une jouabilité que beaucoup ont trouvé assez laborieuse et qui n'a hélas pas contribué à populariser le titre (3)... C'est néanmoins un élément qui rajoute un réalisme certain, au moins pour justifier la quantité de matériel transportable par Dalton ainsi que ses aptitudes de survie en milieu hostile. Hélas, si le jeu présente plusieurs modèles de scaphandres, seuls vos alliés et ennemis peuvent les utiliser, au contraire d'un Tribes: Vengeance...


Le tout dans un but qui s'avérera au final moins simple que ce que le synopsis en début de billet peut le laisser croire, et qui donnera peut-être quelques opportunités de réfléchir à certaines choses – même si on a vu des propos beaucoup plus sophistiqués. Sous de nombreux aspects d'ailleurs, il y a du 2000 AD dans Unreal II, voire du Métal hurlant, ce qui dans tout les cas reste un gage de qualité et assure aussi, d'une certaine manière, que cette suite se situe peut-être bien plus dans la lignée de l'original que ce que beaucoup de gens, peut-être un peu trop chagrins, ont pu le crier sur les toits à l'époque de la sortie de ce titre : on sait tous combien les fans meurtris, ou qui se prétendent tels, peuvent se montrer larmoyants...


Quant à la réalisation proprement dite, elle se base sur la version 1.5 de l'Unreal Engine – et non la version 2, ce qui explique les quelques différences de performances avec Unreal Tournament 2003 – qui restait encore à l'époque une des technologies les plus abouties du secteur. D'ailleurs, le titre a très peu vieilli depuis sa sortie, ce qui surprend et réjouit à la fois, et compte tenu des performances des machines actuelles vous n'aurez aucun mal à en tirer tout le jus.


Bref, Unreal II est peut-être – je dis bien peut-être – un mauvais Unreal, mais ce n'est pas un mauvais jeu. Loin de là, même : les fans de space opera et de FPS parmi vous y trouveront assurément leur compte... et peut-être même plus.


(1) le problème d'Epic Games se présentait de façon différente : liés par contrat à Atari pour la livraison de deux titres au moins, ils ne pouvaient décliner la demande d'Atari de leur faire un second Unreal Tournament à partir des éléments créés avec Digital Extremes pour développer Unreal Championship ; ainsi fut conçu Unreal Tournament 2003, mais cette histoire reste assez peu comparable à celle d'Unreal II...


(2) le studio a été fermé sans aucune explication convaincante de la part d'Atari, alors que l'extension XMP pour Unreal 2 faisait un carton en ligne mais qu'Epic – toujours à la demande d'Atari – sortait un Unreal Tournament 2004 dont le mode de jeu Onslaught offrait de nombreuses caractéristiques comparables à celles d'XMP – toute la différence étant qu'UT2004 était un jeu payant alors qu'XMP était une extension gratuite...


(3) sur ce point, d'ailleurs, il m'est venu à l'esprit que ce choix des développeurs se basait sur une volonté de créer un jeu où l'aspect en quelque sorte tactique importait plus que le « skill » pur ; la supériorité des joueurs humains sur les intelligences artificielles n'étant plus à démontrer déjà à l'époque, réduire l'agilité des mouvements du joueur peut éventuellement s'inscrire dans la recherche d'un moyen de rééquilibrer la balance dans un titre orienté solo.


Note :


Un des plus gros reproches adressés à Unreal II lors de sa sortie concernait son absence totale de mode multijoueur. Ce défaut se vit corrigé quelques mois plus tard avec la publication en ligne de l'extension XMP – pour eXtended MultiPlayer – qui fut gratuite dès le premier jour, bien qu'elle nécessitait le Play Disc d'Unreal II pour son installation.


Un niveau bonus créé par Matthias Worch, de Legend Entertainment, intitulé Solaris Base et qui devait se situer entre les missions Hell et Acheron, fut rendu public après la sortie d'Unreal II. Il est disponible au téléchargement sur la page Unreal II des Liandri Archives chez BeyondUnreal – dans la section « Bonus Content ».


En dépit de son succès plus que mitigé, Unreal II connut néanmoins un portage sur Xbox exactement un an après sa sortie sur PC, soit en février 2004. À ma connaissance ce portage ne diffère en rien de la version originale pour PC.

LeDinoBleu
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le 8 mai 2011

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