Né dans une semi misère auréolée d’ambitions parentales, Bukowski se heurte très vite à l’abscondité de ce qu’on nomme avenir et n'admettra jamais la manière qu’ont les hommes d’occuper leur temps. C’est dire qu’ils ne l’occupent pas mais se font rouler par lui ; Le temps se fout de nous, il passe malgré tout. Bien que découvrant sa vocation très vite -l’écriture, il n'envisage jamais de faire carrière mais l’endosse malgré lui. Il exècre les séances de lectures auquel il est convié et refoule les admirateurs qui l’interpellent. Ce n’était pas la réussite qu’il cherchait mais la tranquillité -d’où la bouteille et ses errances multiples, du bouts des bouts de l’Amérique, de comptoirs humides aux chambres sordides. Là où d’autres auteurs de sa génération -Jack Kerouac, ont considéré le vagabondage comme une oeuvre en elle même et une quête, le vieux Buk, lui, le narre tel un désoeuvrement -une fuite en avant. Le voyage n’est pour lui pas un sujet, mais une partie nécessaire de sa vie et donc intégrante du récit, il n’a pas l’aspect métaphysique que lui donnaient les Beatnik, nulle recherche de transcendance où de beauté -il s’accordera à raconter un monde de prolos et de misère, les histoires des ménagères et les affres de l’alcool. Son réalisme que l’on nomme sale, montre ce qui n’avait pas encore été regardé, il n’invente rien, ainsi, ne cautionne pas le monde mais y participe quand même puisqu’il le spectacularise au travers de ses livres.
Une des particularité de ses récits est à la fois l’omniprésence de sa personne -la majeure partie de ses écrits sont autobiographiques, il se glisse en plusieurs patronymes -tel Chinaski, au cours de ses nouvelles, et pourtant, il ne semble jamais faire vraiment partie des décors qu’il narre, mais ne fait qu’y passer, comme s’il était toujours loin de tout, comme un porte parole extérieur, un mur observateur, qui n’apporte que très peu de jugement aux diverses folies -et folles, qu’il rencontre, laissant l'aspect critique à la vie ordinaire et ordonnée, qui d’ailleurs, n’ont rien de novateur, mais s’entêtent souvent à rabacher des lieux communs, et seul le ton désespéré de son écriture accorde de la valeur aux mots qu’il lie.
Ce qu’il narre de sa vie n’est pas sans faire penser aux dérives des situationnistes : Bukowski errant, glisse le long des rues, sans destinations précise, attendant qu’on l’invite à franchir la porte d’un bar et qu’on pende à son cou une chope de bière. Cette place du hasard et de l'événement est omniprésente dans le récit -il semblerait que Buk n’arrive à rien, mais que les choses lui arrivent. C’est une passivité presque hypocrite qu’il nous vend, à la manière de ses lignes qui sautent d’une pensée suicidaire à l’amour de sa vie, d’une critique de la société à l’amour de la sienne. Son apparence est une armure rondement bien scellée -il est loin d’être ce vieux chien solitaire -puisqu’harcelé à toute heure du jour et de la nuit par des amis où des admirateurs, il semble que les portes de son appartement ne soient jamais fermées et que quiconque ait le droit d’y entrer.
Ses poèmes sont cet espace de liberté où se libèrent amour et mélancolie - la fragilité de ses lignes courtes nous entraînent à la suivante, cassée aussi, et cette forme n’est pas sans rappeler la dilettante de ses émois -selon ses propres mots , “La poésie en dit long et c’est vite fait. La prose ne va pas très loin et prend du temps.” Effectivement -ses romans ont souvent l’air de dégueulis malheureusement bien entretenus -tandis que ses poèmes ont la forme libre du vol des oiseaux naïfs.
Son apparent prosaisme est trahit par la verve et le nombre de ses écrits, et ne paraît être qu’une armure de plus pour dissimuler sa sensibilité et son mal de vivre. dans la réalité des faits, il ne cessera jamais ni d’écrire, ni d’aimer, ni de compatir, et cette manière qu’il a de faire fi de toute absurdité est preuve de cette curiosité et de cette soif de vivre qui l’ont finalement maintenu -à l’ombre pourtant cruelle de ses consommations, jusqu’aux loges de la vieillesse, d’une vie ainsi, en terme de longévité, tout à fait ordinaire -mais dans des conditions extraordinaire. “J’aurai du mourir bien avant”.
La folie, dont il traite si souvent -ayant été jusqu’à dire “J’ai un projet, devenir fou.” n’est qu’un prétexte à vivre, disons, plus tranquillement -à sauvegarder sa liberté “je remarquais que dans les cercles extrêmes de la société -ceux où l’on est très riche et très pauvre -les fous avaient souvent toute la liberté de se mêler au reste de la population. je savais bien que je n’étais pas moi même totalement sain d’esprit. Je me doutais bien depuis l’enfance que j’étais un peu bizarre. Mon destin, j’en avais l’impression, c’était d’être assassin, détrousseur de banques, saint, violeur, moine ou ermite. Il me fallait un endroit isolé où me cacher. La cloche, c’était immonde. Mais la vie du citoyen moyen et saint d’esprit, c’était morne, pire que la mort même. L’instruction, elle aussi, avait l’air d’être un piège. Le peu que je m’étais permis d’en acquérir n’avait fait que me rendre encore plus soupçonneux. Les médecins, les avocats, les scientifiques, qu’étaient ce donc? Rien de plus que des gens qui acceptaient qu’on les prive de leur liberté de penser d’agir en individus. Je retournais à mon baraquement et je bus…”. Ce passage n’est pas sans me faire sourire -Buk y est bien lui, tout en paradoxe et traumatisme -son enfance, contrainte par une sale gueule et des parents trop ambitieux pour leur gamin, cette négation de toute profession comme aliénante combien même il a gardé lui même le boulet de l’écriture tout le long de sa vie -comme un fardeau libérateur, certe, mais où il ne cesse jamais de s’y narrer comme un personnage emprisonné dans des affres vaporeuses et fatales.
Je souhaiterais rebondir à ce propos sur une de ses phrases bien célèbre “... à mon avis, c’est ça qui déglingue les gens, de ne pas changer de vie assez souvent” que je trouve somme toute assez cabotine - son inconstance -relationnelle, situationnelle, est tant redondante qu’elle en devient une constante -et s’il a multiplié les petits boulots pourris -postier, ouvrier en usine, c’était toujours, bien évidemment une manière de survivre à la faim, mais aussi, matière à écrire les histoires qu’il narre. Son fond de toile reste linéaire: l’écriture -et il est assez paradoxal, pour un damné, d’avoir depuis très tôt, une raison de vivre.

AnnaFaure1
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le 19 avr. 2020

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