Enquête sur les causes biologiques de l'atraction sexuelle

C'est un bouquin fascinant. Vulgarisé à un assez bon niveau, on y trouve résumés les recherches, résultats et interrogations actuels sur la détermination biologique de ce qu'on appelait jadis "l'instinct sexuel". Plus particulièrement concentré sur les questions de détermination du choix d'objet, l'ouvrage avance un certain nombre d'arguments en faveur d'une origine congénitale de l'homosexualité, des facteurs génétiques pouvant également entrer en ligne de compte (en gros, tout se passerait assez tôt dans la grossesse, les structures alors acquises ne pouvant plus être modifiées par la suite, que ce soit pour les préférences homo-, hétéro- ou bi-, étant entendu qu'une préférence ne détermine pas unilatéralement un comportement).

On en apprend beaucoup sur la façon dont est déterminé l'instinct sexuel en général. S'il est "naturel" que l'on soit, garçon, attiré par les filles, c'est bien qu'il est des raisons naturelles - sans guillemets, celles-là - pour que cela advienne - et c'est bien qu'on ne le choisit pas. Et l'étude de ces causes naturelles qui font que les hommes et les femmes sont, en moyennes attirés par des individus du sexe opposé, tend à montrer qu'il est tout aussi naturel (sans guillemets) d'être attiré par les individus de son propre sexe - c'est juste moins fréquent, mais pas au point de rareté qu'on puisse considérer cela comme pathologique.
En revanche, on pourra considérer ça comme pas "normal", comme pas "naturel", les guillemets étant là pour l'indiquer, il ne s'agit plus de science mais de morale - et d'embrigadement de la nature et de la norme du côté du bien, sous-entendu que l'anormal et la pas-naturel sont de l'autre côté.


La thèse du livre est donc conforme à ce programme, et à la visée biologisante du propos. On ne devient pas homosexuel, on nait comme ça - ce que la plupart d'entre nous "savent" depuis longtemps. Je trouve les faisceaux de preuves - et leurs limites - avancés en ce sens (épidémiologie, modèles animaux, modèles issus d'autopsies, etc.) tout à fait convaincants, passionnants et stimulants, et l'ouvrage frôle le 10/10. Il l'aurait atteint, n'eût été les deux réserves suivantes.

- il réduit l'homosexualité (un comportement complexe) à ses causes organiques. Être homosexuel, pourtant, cela n'est possible (je ne suis pas essentialiste) que depuis le XIXè siècle en Occident. Ce n'est qu'à cette époque qu'on a inventé le modèle de la liaison sentimentale stable entre deux adultes de même sexe et qu'on a œuvré à le promouvoir comme modèle positif de socialisation amoureuse. L'attraction d'un homme pour un autre homme, d'une femme pour une autre femme, et les actes sexuels qui parfois en résultent est sans doute une chose bien bine plus ancienne (paléolithique ?). Mais le fait de s'en construire une identité, si possible positive, face au groupe, ce qu'on appelle désormais "être homo", ça, c'est bien plus récent. Les scripts sociaux qui y sont rattachés, et la façon dont ils sont intégrés par les individus dans la représentation qu'ils sont d'eux-mêmes (et donc à la fois dans la matière biologique - connexions neuronales - et dans le tissu social - transmission culturelle), tout cela qui est plus ou moins séparable - mais en tout cas pas totalement - de ce qu'on se représente sous "homosexualité", ça n'existe que depuis peu. Je pense donc qu'on apprend à devenir homosexuel, si être homosexuel c'est être en mesure de se définir comme tel en faisant fond sur la façon dont s'organise nos attraction amoureuses et sexuelles, en fonction des événements et sans doute aussi de nos prédisposition.

- il n'engage pas, du coup, assez le dialogue avec les tenants de la thèse inverse (l'homosexualité est totalement acquise - que je crois fausse, à titre personnel, ce dont on se fout bien, mais qui n'est étayée par à peu près rien du tout). Le débat - que j'ai très peu suivi - avec les psychanalystes, notamment, aurait pu être plus intéressant si le dialogue avait été noué en amont - outre le fait que certains psy ne comprennent à peu près rien, du moins dans ce que j'ai lu, à la façon dont une hypothèse scientifique se valide, et sont donc dans l'incapacité _crasse_ d'intervenir correctement dans le débat, ce qui est fort dommage. Bref, enfermement des deux parties dans leurs thèses et leurs modes opératoires, sans réelle mise en perspective plus globale.
Or je pense que sur des sujets pareils - qui engage rien moins que les fondements de la sexualité humaine _et_ animale - on a tout à gagner à diversifier les approches, clarifier les concepts, et éviter toute réduction à quelque champ que ce soit : aucun n'est plus fondamental qu'un autre.
Il manque en fait - et c'est une des clefs importantes de ce débat - une théorie scientifique qui fasse le lien entre la biologie et les sciences de l'homme. Il y faudrait des équipes transverses et des chercheurs à même d'être perméables aux présupposés d'autres disciplines.
Et il me semble que, tout open minded que Balthazart puisse être, il reste assez étanche aux complexités du fonctionnement social de l'homme, et à la façon dont le biologique est modulé, dans un processus d'apprentissage permanent, par son environnement physique, humain, événementiel. Naïveté que l'on retrouve sans doute dans sa conviction que les thèses _scientifiques_ qu'il défend auront des répercutions _politiques_ positives pour les homosexuels. Ce qui reste... à démontrer !
Kliban
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le 29 sept. 2010

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Kliban

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