Qui le suit un peu sait qu'Alain Durel a un parcourt riche dans les mondes spirituels entre Inde et christianisme orthodoxe. Sa pratique du yoga, sa rencontre avec un maître indien, don passage plus d'un an dans un monastère athonite lui confèrent un point d'observation et d'engagement précieux parmi les connaisseurs des spiritualités traditionnelles.

Le livre est un récit parallèle entre la vie d'Henri Le Saux et les déambulations de l'auteur, embringué par une équipe de reporters allemands ayant pour objet la reconstitution de la vie, extraordinaire, de ce pélerin d'absolu que fut le bénédictin.

Pour ceux qui ne le connaisse pas, Le Saux vient de son monastère breton comme un aimant attiré par l'Inde s'installer en pays tamoul dans un ashram chrétien qui'il fonde avec le Père Monchanin. Persuadé que l'Inde n'acceptera le message du Christ que s'il sait s'indianiser, il oeuvrera à comprendre l'Inde dans sa spiritualité la plus fondamentale. La reencontre de Ramana Maharshi le lance sur une orbite imprévu, moine chrétien qui se fait peu à peu chercheur de vérité indien. Il trouve auprès de Gnanananda, sage tamoul, un instructeur qui le guide dans la plus pure tradition de l'advaïta védanta. Il meurt en 1974 à 64 ans d'une faiblesse cardiaque, alors qu'il expérimente, selon ses carnet, de longues périodes d'extases, vécues comme autant d'unions à Dieu. D'une foi très profonde, iI n'aura jamais abandonné le christianisme, mais aura trouvé en l'Inde quelque chose qui en redynamisait le message, rendant vivante la lettre qu'on trouve du côté de la patristique du désert - Macaire, Evagre, mais aussi leur reprise par les orthodoxes.

De cela, Alain Durel nous entretient somme toute assez peu. Il s'agit bien plus pour lui de trouver une clef nouvelle de lui-même,e t ce faisant d'un témoignage des deux traditions qui jouent en lui. Tout comme Le Saux, il est pris entre deux rives - ou plutôt sur une étroite presqu'île entre deux fleuves, puissants. Le christianisme, et son accent mis sur la personne ; l'hindouisme de l'advaïta, et son ouverture à l'impersonnel. L'annexe de son livre propose quelques pistes de comparaisons, mais - me semble-t-il - se heurte toujours à la question du choix de la meilleure voix. Durel ne peine à ne pas tenter de classement ; ce qui manque à l'advaïta, ce qui manque au christianisme ; comme s'il fallait impérativement compléter une voix par l'autre et marquer la supériorité, in fine, de l'une sur l'autre. Mais, homme lucide, il ne manque pas de noter l'impossibilité de fond de trancher sur ces questions. Si je trouve fascinantes les tentatives de lire la Trinité chrétienne sous les espèce de satchitananda (identité de l'Etre, de la Conscience et de la Félicité) - et réciproquement - je reste toujours très dubitatif devant les tentatives somme toute syncrétiques ou brouillonnement oecuméniques qui ont pour objet de réaffirmer la supériorité d'une approche sur l'autre. Comme l'indiquait en substance à l'auteur un disciple du Maharshi : il faut ultimement abandonner et son être de chrétien et son être d'hindou.

Me touchent donc ces errances dans ce que la pensée maintient vivante : les labyrinthes des hiérarchies et jugements. Il est difficile, en matière spirituelle, de se trouver coincé entre plusieurs sources - façons de déplier l'expérience vivante, ultime, dans l'imperfection toujours culturellement déterminée du langage à la saisir.

En attendant, cela nous vaut quelques beaux passages. S'ils ne me touchèrent jamais autant que le très beau Sadhus de Lévy, on y découvre, dans cette aventure indienne - Madras, Pondichéry, les sources du Gange - le récit cadre à de nombreux flash back qui rappellent le sens de telle ou telle péripétie, personnages et paysages. Autant de traces souvent attachantes du jeune homme opiomane lancé en Inde sur le coup de tête des 70s, du joueur de flûte carnatique (le livre est dédié à Jean-Paul Auboux) puis de l'adulte épris de Dieu, qui finit par rencontrer la vérité de l'Inde dans un changement progressif du regard, sans jamais perdre la nécessité de construire un discours sur le fond du mystère chrétien, incarné dans l'irreprésentable trinitaire.

Mais je n'en sors pas ébloui. Sans doute parce qu'au contraire de Lévy, qui, avec grand humour, ne vise jamais à défendre son athéisme, Durel reste attaché volens nolens à cet ethos chrétien, qui a besoin d'affirmer l'unique vérité de son Dieu unique - chose que je ne peux jamais qu'assimiler à l'ultime péché d'orgueil dès lors que s'y joue le refus de se laisser l'opportunité de reconnaître dans le discours de l'autre son discours même et qu'on s'y grise ou torture de l'ordonnancement de ses propres mots. Tout comme Le Saux, l'auteur oscille entre une identité (de fond) qui n'est pas identification (de culture) et la prise de position axiologique qui, quoique traversée de doute, se cherche néanmoins définitive. Mais il n'est ici de définitif que dans la disparition de ces questions et dans la vie telle qu'elle se donne, éventuellement religieuse, éventuellement pas. On ne saura pas à l'avance. Si je peux me reconnaître une forme de compagnonnage à ces inquiétudes, ces doutes, les tentatives toujours renouvelées de la boîte à concepts de baliser un chemin qui, en sa nature même, ne peut pas l'être - sinon de mensonges qu'on se fait pour parvenir à ne s'en faire plus - je me sens moins bousculé par un récit comme celui-là que par d'autres, peut-être moins véridiques, mais plus accordés à la nécessité - si difficile - de se taire. Et, donc, taceo.
Kliban
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le 30 janv. 2012

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