Difficile de faire un retour sur l'ouvrage d'un auteur qui a été tant critiqué récemment : son dernier ouvrage, sur le massacre perpétré par Anders Breivik, a vite fait de le blacklister auprès de l'intelligentsia. À tord, à raison ? Je n'en sais rien, je ne me suis pas assez intéressé à la chose. Si pour moi il est normal de juger l'oeuvre d'un artiste au moins partiellement à la lumière de sa personne et de son "parcours civil", il n'empêche que je serais malhonnête vis à vis de moi-même si je lui faisais, en ignorance de cause, un procès d'intention, alors qu'il est à l'origine d'un ouvrage au combien important dans mon parcours intellectuel. Alors tentons la chose sans crainte !

Je crois qu'il est important de le souligner dès le début, ce roman, il vaut mieux être en forme pour se lancer dedans. S'il n'y a pas la radicalité formelle poussée à l'extrême d'un Claude Simon (je pense à la Route des Flandres), on en est tout de même pas loin.
Déjà parvient-il souvent, avec une langue d'une extrême précision, à évoquer dans une même phrase trois voire quatre temporalités différentes : son enfance à Viam, son adolescence à Lyon, ses années au Liban (principal théâtre du récit) et quelques fois le présent auquel il écrit ledit roman. Petite parenthèse d'ailleurs pour préciser que l'ouvrage est très largement inspiré de sa propre vie, à tel point qu'il est difficile de distinguer R. Millet de son avatar.

L'idée principale est la suivante : jeune homme ne supportant pas sa mère, il décide de participer à la guerre du Liban, persuadé que seule une expérience de cette ampleur peut éveiller en lui ce qu'il vaut pour pouvoir se prétendre écrivain. On le suit donc dans cette histoire sombre et chaotique, sans que rien ne nous soit épargné : les dérangements digestifs, la violence des conflits, les souvenirs de sa vie en France, les tentations sexuelles... le tout en un malstrom brutal, sans esthétisme, qui serait au confluant (si on cherche des points de comparaison) d'un L-F Céline, d'un A Camus et d'un C Simon.

Les thématiques abordées sont tellement riches que ce serait trop laborieux d'en faire une liste exhaustive. Laborieux, mais également contre-productif, un tel ouvrage n'étant pas appelé à être schématisé, mais au contraire apprécié dans sa globalité, comme expérience physique et mentale de lecture : qu'on soit embarqué, qu'on lutte ou qu'on cale (ce qui est tout à fait possible), je crois que l'important est de se laisser aller, et de réfléchir a posteriori à ce qu'on y a vécu (je l'ai lu il y a un certain temps déjà). À noter toutefois le récit de la guerre vue de l'intérieur, à rapprocher du film Lebanon, de Samuel Maoz : campé dans ses propres ambitions, peurs et souffrances, le narrateur ne sait rien de la guerre à laquelle il participe, et même ses camarades les plus prévenus et concernés restent des pions ignorant et subissant tout. Il sait qu'il ne vaut pas mieux que celui qui lui tire dessus et s'en moque éperdument. De fait, rarement il a été aussi justement dit qu'il n'existe pas de bon camp, mais seulement des victimes (ne serait-ce pas la même chose qu'on lui reproche dans "Éloge littéraire d’Anders Breivik" ? Il faudrait vraiment que je le lise...).

Je retiens particulièrement un passage, qui se situe environ aux 2/3 du livre : le narrateur se retrouve à protéger une famille dans un village de montagne, loin du conflit. C'est un instant de grâce, pendant lequel il se livre assez volontiers (si mes souvenirs sont exacts) à la fille de cette famille. Chaque nuit, tel Schéhérazade, il raconte un peu plus une relation à Lyon (dont je ne dévoilerai rien) qui est au coeur du trouble qui l'angoisse, du haut de ses 20 ans. Un bol d'oxygène (acre toutefois) bienvenu avant de retourner en enfer.

Aussi éloigné soit-il de moi, de part son parcours et son caractère, le personnage de ce livre (ou bien est-ce l'auteur ?) m'a appris beaucoup de choses sur moi-même, sur ce que je vivais et vis encore.

Quelques soient les enjeux et les faits qui se cachent derrière la polémique qui entoure Richard Millet, je ne peux qu'encourager la lecture de cet ouvrage définitivement majeur.
Galderon
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le 28 sept. 2013

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Galderon

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