Journaliste et historien, Jean Lopez a entrepris de brosser une vaste fresque du conflit germano-soviétique en cinq volumes. Chronologiquement, ce livre est le troisième, et fait suite au très bon Koursk : Les quarante jours qui ont ruiné la Wehrmacht.


Il relate une bataille beaucoup moins connue de la Seconde Guerre mondiale, celle de Tcherkassy-Korsun, près du Dniepr dans l'Ukraine actuelle (moi-même, pourtant passionné par cette période, je n'en avais jamais entendu parlé).
Pour comprendre cette bataille, il faut revenir à l'été 1943, juste après la bataille de Koursk qui s'est déroulée bien plus à l'est. À la suite de l'échec allemand, les Soviétiques vont déclencher une série d'offensives contre le Groupe d'Armées Sud, et ils vont parvenir à percer le front allemand.


C'est à quoi s'attache l'auteur dans la première partie de son ouvrage : montrer comment l'Armée rouge parvient à percer le front ennemi, ce qui oblige les Allemands à opérer un vaste mouvement de retraite derrière le Dniepr. Beaucoup de soldats pensaient que des fortifications avaient été établies sur le fleuve afin de pouvoir se mettre en position défensive derrière et de stopper l'avance soviétique : c'est le fameux Ostwall. Malheureusement pour eux, la Wehrmacht n'a rien fait, car Hitler s'accrochait encore à l'idée que le terrain perdu pouvait être regagné. Et lorsque l'ordre est donné, il est déjà trop tard.


Épuisés et pressés de toute part, les Allemands ne réussissent pas à tenir le Dniepr. Les Soviétiques peinent (ils subissent un cuisant échec aéroporté), mais parviennent à élargir plusieurs têtes de pont : début novembre 1943, Kiev est reprise.


La deuxième partie de l'ouvrage est consacrée à la bataille de Tcherkassy-Korsun proprement dite, et ça devient encore plus intéressant. En effet, Jean Lopez nous livre un récit très détaillé des évènements, qui nous place au coeur de la bataille et des drames qui s'y déroulent.


Dans un premier temps, c'est l'encerclement. À la suite des combats pour le franchissement du Dniepr, les Soviétiques ont avancé partout sauf dans la région de Korsun : ce saillant est tenu par la Wehrmacht jusqu'au fleuve, où ils occupent la ville de Kanev. Hitler refuse d'abandonner ce territoire, car il espère encore pouvoir reprendre Kiev, et estime que se retirer aurait un impact psychologique sur les Allemands.


Cependant, il prend là un très gros risque, puisqu'une jonction soviétique à la base du saillant pourrait encercler des milliers de ses soldats.


L'Armée rouge a vu très rapidement la possibilité qui s'offrait à elle, et la bataille pour l'encerclement commence le 24 janvier 1944. C'est finalement l'initiative d'un obscur général, Pavel Rotmistrov, qui va provoquer la désorganisation du front allemand : en effet, il ordonne à ses blindés de filer vers l'ouest sans s'arrêter, provoquant la panique sur les arrières de la Wehrmacht. À ce moment décisif, Erich von Manstein, commandant du Groupe d'Armées Sud, est absent.


L'Armée rouge réussit son coup, et 60 000 Allemands se retrouvent encerclés. Koniev parle déjà à Staline d'un « Stalingrad sur le Dniepr ».


La dernière partie du livre est consacrée aux offensives de la Wehrmacht pour rompre l'encerclement. Toujours à l'aide de cartes très détaillées, Jean Lopez nous offre un récit minutieux des évènements, en particulier lors de l'apogée de la bataille, le moment où les deux Corps encerclés lancent l'ultime percée pour s'échapper d'une poche qui ne fait que se rétrécir.


C'est là plus qu'ailleurs qu'on se rend compte qu'une bataille peut se jouer sur plein de choses qui ne sont pas de simples détails. Ainsi, plusieurs milliers d'Allemands doivent leur salut aux décisions de Stemmermann (encore un parfait inconnu), qui dirigeait les troupes encerclées et prend la meilleure décision possible ; mais aussi aux erreurs des Soviétiques, qui déplacent au mauvais moment des troupes au mauvais endroit.


Dans Le chaudron de Tcherkassy-Korsun, l'auteur montre également comment les T-34, inférieurs aux derniers blindés allemands, les surclassent en terme de vitesse et de maniabilité. Les choses se sont inversées par rapport à 1941 : les Tigres et Panthers, très puissants, ne sont pas adaptés pour les offensives (trop lents et trop énergivores) ; tandis que les T-34 plus faibles permettent pourtant à l'Armée rouge d'exploiter les fragilités du front allemand.


Enfin, Jean Lopez prouve qu'Erich von Manstein, autoproclamé génie militaire, n'a pas réussi là où il avait tous les atouts en main. En effet, Hitler lui avait laissé carte blanche, mais, comme lui, il continue à sous-estimer les Soviétiques : cela le conduit à gaspiller sa première tentative pour libérer les encerclés, alors que ça aurait pu réussir s'il avait eu moins d'ambition. Son échec lui vaudra logiquement de perdre sa place à la fin de la bataille.


Même si on ne peut pas vraiment parler d'un second Stalingrad (l'encerclement n'a pas tenu), la bataille de Tcherkassy-Korsun est incontestablement une victoire soviétique. Le Groupe d'Armées Sud a subi de lourdes pertes et les renforts ne suffisent plus à les compenser, tandis que l'avance de l'Armée rouge semble irrésistible...


Si vous m'avez lu jusqu'au bout, ça signifie que ça vous intéresse, et j'espère vous avoir donné envie de lire ce livre. Quant à moi, je vais me procurer les deux derniers tomes !

Zero70
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le 30 oct. 2018

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