S'il y a bien deux batailles de la Seconde Guerre mondiale que l'on retient du front de l'Est, c'est Stalingrad et Koursk. Parce qu'elles sont considérées comme des tournants de la guerre, bien plus que la contre-offensive soviétique devant Moscou en décembre 1941, ou que le siège de Leningrad. Pourtant, c'est faux, en tout cas c'est bien plus compliqué que ça.


Stalingrad est la plus connue, et j'ai eu la chance de lire le fabuleux livre d'Antony Beevor pendant mes études : l'historien britannique nous livre un récit tout simplement épique et incroyablement vivant de cette terrible bataille qui fut le tournant majeur du conflit.


Quant à la bataille de Koursk, il lui manquait encore un ouvrage de référence, jusqu'à ce que Jean Lopez, journaliste passionné d'histoire militaire et fondateur de la revue Guerres & Histoire décide de s'y intéresser. À noter qu'il a également publié un livre sur la bataille de Stalingrad, ainsi que plusieurs autres sur le front de l'Est (que je vous recommande vivement).


Mais arrêtons-nous sur cet ouvrage. Jean Lopez a accompli un formidable travail de synthèse, et a eu accès à des sources inédites. Dès son introduction, il présente d'emblée son but : montrer au lecteur qu'il existe une multitude de préjugés, ou en tant cas des assertions qui ne sont pas fondées, sur la bataille de Koursk. Bref, son livre est censé apporter une nouvelle vision, plus proche de la réalité.


Alors, fanfaronnade ou pari réussit ? Eh bien, il faut admettre que Jean Lopez est extrêmement convaincant, et qu'il brise un certain nombre de clichés, comme celui qui affirme que les T-34 russes brisèrent l'offensive des blindés allemands. Il faut se méfier des sources, et l'auteur montre bien que les Soviétiques avaient tout intérêt à surévaluer leur victoire, tandis que les Allemands allaient chercher à minimiser la défaite ou à en faire porter la responsabilité à d'autres.


Koursk : Les quarante jours qui ont ruiné la Wehrmacht ravira tous les passionnés d'histoire militaire : c'est très bien écrit, très précis dans ce qu'il avance, et il y a plusieurs cartes qui montrent très bien le déroulement de la bataille.


L'ouvrage de Jean Lopez n'est pas loin d'atteindre l'excellence, comme le Stalingrad d'Antony Beevor, mais il la rate pour quelques raisons. D'abord, c'est un livre assez technique, qui s'intéresse beaucoup au matériel, et je pense qu'il aurait été bien que l'auteur s'arrête plus sur tel type de char ou d'avion, avec par exemple des plans ou des informations, ou encore une description détaillée. Il y a bien plusieurs photos de la bataille au milieu de l'ouvrage, mais à mon sens ce n'est pas suffisant.


Mais là où l'auteur pêche le plus, c'est que j'ai du mal à croire que la bataille aurait pu être gagnée par les Allemands. Koursk : Les quarante jours qui ont ruiné la Wehrmacht nous livre un excellent récit de l'affrontement, et laisse penser que l'armée allemande aurait pu mieux faire, que les objectifs fixés par Hitler et l'état-major étaient atteignables. Pour moi, la bataille était perdue d'avance.


Sur quoi je m’appuie pour dire ça ? Eh bien sur Jean Lopez ! Passons sur les aléas de la bataille, ces occasions manquées de part et d'autre, comme ce moment où les Soviétiques tentèrent une attaque-surprise contre une flotte aérienne allemande (ce qui aurait pu changer beaucoup de choses) : il y en a eu des deux côtés.


L'URSS savait que les Allemands allaient attaquer, et elle s'était très bien préparée. En face, les Allemands avaient mis tout ce qu'ils pouvaient, mais devant l'ampleur des défenses soviétiques j'ai beaucoup de mal à croire que si la bataille s'était déroulée autrement, les armées nazies auraient pu l'emporter.


L'opération Citadelle (nom de code de l'offensive de la Wehrmacht) avait pour but de percer le front ennemi et d'encercler les armées soviétiques dans le saillant de Koursk. Au nord, ce fut très vite un échec. Les armées de Model piétinèrent rapidement face à l'important dispositif soviétique dirigé par Rokossovski : l'URSS pensait que le principal effort porterait au nord, alors que ce fut au sud.


Au sud du saillant, Manstein ne fut vraiment pas loin de l'emporter face à Vatoutine. Là, il n'y a pas photo, les Allemands auraient pu gagner. Mais imaginons que ça ait été le cas : la Wehrmacht perce les lignes ennemies, les objectifs sont atteints et Koursk est prise. Est-ce que cela aurait été suffisant ? Non. Parce que pour faire un encerclement, il faut être deux, et Manstein ne pouvait pas tout faire tout seul. De plus, Model bloqué, les Soviétiques pouvaient concentrer plus de forces au sud, et ils disposaient d'importantes réserves.


Pour finir, il ne faut pas oublier un aspect, peu connu, mais pourtant crucial : l'Armée rouge avait prévu une contre-offensive (opérations Koutouzov et Rumiantsev). Celle-ci eut bien lieu, et si Manstein avait percé, il aurait risqué de se retrouver encerclé.


Le bilan de la bataille dressé par Jean Lopez est très intéressant : sur le strict plan des pertes, les Allemands pourraient presque s'estimer heureux. Les Soviétiques ont beaucoup plus souffert qu'eux. Mais en réalité, la défaite est lourde et indiscutable. L'opération Citadelle est le fruit d'un gigantesque effort de la Wehrmacht, effort qu'elle ne pourra plus porter par la suite. C'est aussi la dernière grande offensive allemande : désormais, l'initiative est du côté de l'Armée rouge.


Du point de vue des objectifs, aucun n'a été atteint. Il n'y a pas eu l'encerclement espéré, le front soviétique ne s'est pas effondré. Pire, les pertes allemandes seront difficiles à compenser, alors que l'URSS le fera assez vite. L'Allemand, qui doutait depuis Stalingrad, n'a plus le moral ; alors que le Soviétique, revigoré après Stalingrad, songe clairement à la victoire. L'état d'esprit n'est plus le même qu'un an auparavant.


Je recommande chaudement ce Koursk de Jean Lopez, qui demeure à ce jour le meilleur livre sur la bataille.

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le 20 févr. 2017

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