Les Choses
7.4
Les Choses

livre de Georges Perec (1965)

Ce roman est une illustration intéressante de l'influence des nouvelles sciences humaines et sociales au 20ème sur certains auteurs (et artistes en général).
Il est par là une illustration intéressante des doutes et interrogations qui accompagnent les démarches artistiques au siècle dernier. Il permet de se poser la question de savoir en quoi le 20ème siècle a profondément modelé l'homme moderne.
Ici est décortiqué le matérialisme d'un monde intellectuel bourgeois idéalisé.
L'homme moderne n'était-il qu'un consommateur ? C'est d'ailleurs la question que c'est aussi posé l'hyperréaliste Duane Hanson. Légitime question s'il en est au coeur des trente Glorieuses occidentales. Peut-être encore plus aujourd'hui, dans une société post moderne
Ce roman de Perec est aussi savoureux qu'un tableau de David Hockney.
Et techniquement riche pour l'étude des procédés, notamment l'interprétation symbolique d'une situation ( là je pense particulièrement à la description de leur appartement idéal, "plein de vide" si j'ose dire. ) . Je le conseille.


L'appartement, décrit avec un soin clinique par Perec, avec l'emploi d'un conditionnel ad hoc qui suggère que le couple est attiré non par la chose, mais par l’idée de la chose.
Il semble plonger son lecteur dans un magazine de décoration. Les objets (aliments, ustensiles de cuisine, éléments décoratifs ou encore des biens culturels sont autant de choses qui n'ont pour but que de faciliter la vie matérielle, d’apporter du confort, de créer un environnement esthétique et agréable, de refléter un niveau social. Les activités du couple ne sont pas différenciées. Tous deux sont libérés des tâches ménagères et peuvent s’adonner aux mêmes activités intellectuelles : courrier, lecture, travail, rencontres entre amis… Ni les sentiments ni l’intimité du couple ne sont décrits dans l’extrait. L’auteur décrit un mode de vie qui se veut idyllique, mais que le lecteur juge stéréotypé. Ce qui pourrait émerger en première lecture : équilibre, bonheur et harmonie, en devient presque ironique en deuxième, car aucun lecteur ne parvient à croire que ce est vide, cette routine, cette vitrine artificielle, glacée comme un papier de magazine, ne suggère vraiment le bonheur.
Les personnages semblent constamment occupés mais, étrangement, le sentiment dominant reste le désoeuvrement. Le plaisir est bien présent, qu’il soit gustatif, lié au travail ou aux relations sociales, mais là aussi, l’abondance de satisfactions semble suspecte, d’où un certain malaise.
Il manque de l’imprévu, des obstacles, des sautes d’humeur, de la fantaisie, de l’amour… bref, de la vie.
Georges Perec met l’accent sur l’importance croissante des choses dans la vie de l’homme moderne sans sembler prendre clairement position. Une réflexion tout à fait élégante sur la fascination qu’exercent les choses, sur l’obsession du paraître et du désir de posséder.
En cela ce roman n'a pas pris une ride.

_Andrea_
8
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le 15 août 2015

Critique lue 256 fois

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_Andrea_

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