Les Choses
7.4
Les Choses

livre de Georges Perec (1965)

Jérôme et Sylvie, c'est un peu comme les champignons : ça vit, mais on sait pas trop comment ça se fait. Pourtant ils sont pourvus d'un corps, comme nous, d'une tête, comme nous, de bras et de jambes, comme nous. Ben alors, qu'est-ce qui coince ?


En fait c'est l'histoire d'un jeune couple dont les deux parties ont terminé leurs études et habitent ensemble. Mais comme ce sont des petits-bourgeois, ils ne sont ni riches ni pauvres ; leur appartement n'est donc pas si mal sans que ce soit tip-top non plus. Leurs têtes sont remplies de rêves de richesse et d'accumulation de biens autant que leurs vies sont creuses et insignifiantes. Ce qu'ils aiment, c'est posséder des choses, des trucs chers et d'occasion qui feraient bien joli dans leur appart et pour montrer à leurs copains qui ont les mêmes occupations existentielles que notre couple protagoniste. C'est un peu la mise en abyme de la médiocrité.


Mais voilà : les deux héros, ils sentent que leur vie est moisie. Leur travail est nul, leur logement ne leur convient pas, bref, leur situation végète, et ils végètent dans leur situation. Alors ils décident d'aller voir en Tunisie s'ils y sont, et effectivement ils y sont : eux et leur existence vide, ils y sont comme ils seraient partout ailleurs. Ils réalisent que le bonheur c'est pas la fuite en avant, et pourtant ils poursuivront sur cette voie jusqu'à la fin du livre.


Il y a donc un côté un peu tragique là-dedans. Quelque part, ce couple est prisonnier de son destin et de son époque, il n'arrive pas à vouloir véritablement quelque chose et c'est là leur grand malheur. La nonchalance d'après-guerre, ponctuée seulement pas l'épisode de l'Algérie (contre lequel il prendra part, lors de grandes manifestations parisiennes, pour s'évader, se sentir utile, se sentir exister - en vain), s'imprègne dans les esprits, dans la vie, comme un poison incapacitant qui atteint le fond même de l'individu : sa capacité de volonté, c'est-à-dire le moteur de l'homme.



Ceux qui ne veulent que vivre, et qui appellent vie la liberté la plus
grande, la seule poursuite du bonheur, l'exclusif assouvissement de
leurs désirs ou de leurs instincts, l'usage immédiat des richesses
illimitées du monde - Jérôme et Sylvie avaient fait leur ce vaste
programme -, ceux-là seront toujours malheureux.



Cette absence de ce qui donnerait du mouvement à leur être, c'est ce qui me fait dire que, peut-être, et bien qu'ils aient des bras, des jambes et une tête, ils n'ont pas d'âme. Ils ne sont donc plus humains, fondamentalement déshumanisés. Et en fin de compte, peut-être que le titre du roman ne renvoie pas aux objets que J. et S. collectionnent, peut-être que Les Choses, ce sont eux-mêmes.

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le 28 oct. 2019

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Kavarma

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