Vous n’avez pas honte, monsieur, de lire un tel ouvrage,
Sur cette satanique machine dont l’écran détruit l’éclairage ?...
Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire… Oh ! Dieu ! … bien des choses en somme…
En variant le ton, – par exemple, tenez :
Agressif : « Moi, monsieur, si j’avais un tel aliéné,
Il faudrait sur-le-champ que je m’en débarrasse ! »
Je m’arrête immédiatement, pour éviter la disgrâce
Car je n’ai pas le génie de Monsieur Rostand
Qui nous a tous séduits par son style éclatant…


C’est ridicule, non ? Mais, après tout, pourquoi pas s’amuser à rimailler un peu… à l’écran ? Comment monsieur Olivier Frébourg risque-t-il de le prendre… Bof, il n’en saura rien ! (Je compte sur votre discrétion)


Olivier Frébourg est né à Dieppe en 1965, il est journaliste, écrivain et éditeur. Il a écrit dans différents journaux : Libération, Le Figaro Littéraire, Géo, Le Figaro Magazine, Grands Reportages, Air France Magazine… Il a été directeur littéraire des éditions de La Table Ronde de 1992 à 2003, il a fondé les éditions des Équateurs en 2003. Amoureux de la mer, il est reçu parmi Les Écrivains de marine en octobre 2004.
Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages dont : Roger Nimier. Trafiquant d'insolence (1989) - Prix des Deux-Magots 1990 ; Basse saison (1991) ; La vie sera plus belle (1994) ; Port d'attache (1998) ; Souviens-toi de Lisbonne (1998) ; Maupassant, le clandestin (2000) ; Un homme à la mer (2004) ; La Grande Nageuse (2014) ; Un si beau siècle (2021).


Avec son dernier livre « Un si beau siècle », en lui opposant la poésie, Olivier Frébourg fustige la société "smartphone", perpétuellement penchée sur l’écran de son téléphone…
HONTE ! Honte à moi, misérable, immonde sécrétion de la technologie qui ai osé délaisser l’aristocratique papier pour la vile numérisation, comme d’autres avant moi avaient abandonné le noble vélin pour la vulgaire cellulose… Regardez comment monsieur Frébourg chérit ses livres : « Nos livres sont nos parents puis deviennent nos enfants. Il faut s’en occuper, les caresser comme on caresse le front et les cheveux de nos enfants. […] Ce sont des rochers auxquels je m’accroche. Ils ne sont pas durs. Ils sont la tendresse intérieure du temps passé. » Quant aux bibliothèques, elles sont de véritables mémoires vivantes de l’éveil des sens. « Les plus parfumées se trouvent dans les villas de vacances. Les livres gardent entre leurs pages la douceur du temps suspendu. Celui des chaises longues en toile délavée, des bains de mer. »
Adieu !... Les écrans ont chassé les livres. Les bibliothèques disparaissent au rythme de la fermeture des librairies « Mais quand le livre s’efface, une part de la civilisation recule. »


Alors, depuis longtemps « les dieux sont morts et l’invasion de la technologie peut commencer quand les divinités ne s’occupent plus des mortels. » Et pendant une bonne quarantaine de pages, laissons passer l’orage. L’auteur, nostalgique et dépressif, amer et désespéré, aigris, paranoïaque et désabusé, donne libre cours à son fiel et nous abreuve de poncifs éculés :


Étrange poème…


« Les écrans en recouvrant d’un filet le réel
ont plastifié et démantelé l’art de vivre
»
« Rien ne me fait plus rire que les muscadins
qui nous ordonne d’aimer le progrès, notre temps épatant.
»
« Le virus est contemporain de l’ère numérique.
Communication virale, pensée bestiale.
»
« Par essence, les écrans produisent une zombification.
Le monde est un gigantesque ectoplasme.
»
« L’ascension du numérique dans la vie est
concomitante à la disparition de la croyance dans Dieu.
»
« L’indifférence est l’une des conséquences
de l’invasion des écrans.
»
« Internet n’est en rien une intelligence universelle,
mais un système sophistiqué d’esclavage moderne.
»
« Voici les nouvelles mythologies du numérique,
Amazon, Apple, Google sont des créatures démoniaques
»
« Voici venu le temps du cyber-enfer. On nous oblige à
numériser nos vies au risque de ne plus exister.
»
« La numérisation est une injonction à
oublier la mort, nos morts, la grande mémoire.
»
« Etc… »


Et là il me donne l’occasion de pousser mon "coup de gueule perso" : « Nos enfants sont nés esclaves dans une société technologique en mutation […] Il est certain qu’avec la liberté on perd aussitôt la vaillance. Les gens soumis n’ont ni ardeur ni pugnacité au combat, écrit La Boétie. Ils y sont comme ligotés et tout engourdis, s’acquittant avec peine d’une obligation. Ils ne sentent pas bouillir dans leur cœur l’ardeur de la liberté qui fait mépriser le péril et donne l’envie de gagner, par une belle mort auprès de ses compagnons, l’honneur et la gloire. » Excusez ma grossièreté, mais ceci est une ÉNORME connerie ! Et tant pis si je m’attire quelques foudres et "pouces détestables". Quand il m’est donné de voir, comme tous les ans en juin, des visions du cimetière américain de Colleville-sur-Mer et ses 9400 tombes, ou ceux de Verdun, en novembre, dont l’ossuaire abrite les restes de 130 000 soldats, je me demande s’ils avaient tellement envie de gloire, ces jeunes hommes-là, si leur mort fut "belle", mais je doute qu’ils soient tellement heureux, ces morts, qu’ils en n’ont rien à foutre de cette gloire, ces morts, tout autant que de l’honneur, ces morts. Certainement que ce qu’ils auraient souhaité, c’eut été de poursuivre leur VIE, ces morts, sans honneur et sans gloire…


Une fois passé le cap et vidé sa vésicule, l’auteur, exsangue, nous permet d’entrer dans le vif du sujet en parsemant son propos de poèmes comme antidote au numérique. Certes, nous ne sommes pas dans un monde rieur et chaleureux, radieux et enthousiaste, mais la "vraie" poésie est-elle légère et joyeuse ? Nous voici dans un univers mélancolique et nostalgique à souhait :


De Louis Brauquier :


« Le soir doux porte des promesses de navires
Qui seront là demain
Le cœur le plus humain, agrandi, se déchire
Et saigne sur nos mains.
La détresse et l’amour ne trouvent que des larmes
Sur les quais émouvants.
Les paquebots, vidés d’espérance, se calment,
Noirs, près des hangars blancs.
»


Ou encore de Louis Brauquier :


« Dans le soir émouvant dansent les mappemondes,
Les bars sont l’archipel d’un obscur océan
Où nous buvons, choquant les verres à la ronde,
Le regret qui nous vient des premiers portulans.
»


Ou la poésie en vers de Max Elskamp :


« C’est ta rue Saint-Paul
Celle où tu es né
Un matin de mai
À la marée haute


C’est ta rue Saint-Paul
Blanche comme un pôle,
Dont le vent est l’hôte
Au long de l’année.


Maritime est tienne
De tout un passé.
Chrétienne et païenne
D’hiver et d’été.
»


… Et ainsi de suite, ici, pas d’écran (me dit l’écran de ma liseuse) de fumée, de publicité, la poésie s’élève vers le sacré « l’écran est par essence le lieu de la profanation », le chœur et le cœur sont dans la poésie…


Si on arrive sans trop de dégâts sur les berges du premier quart de la traversée, le voyage vaut la peine et la rencontre des poèmes au hasard de la navigation est plus qu’agréable… même sur écran !


Mais quand on croit que notre ami paranoïaque s’est calmé au rythme harmonieux des rimes lyriques, ce sont juste les glandes à venin qui devaient refaire le plein… et c’est reparti pour un tour « Les téléphones intelligents sont des Tamagotchi, ces créatures de plus en plus vivantes au fur et à mesure que nous devenons moribonds. » Nous sommes devenus des égarés du Cloud, des handicapés de la carte routière, le "global positioning system" met fin à l’esprit d’aventure ! Sur les réseaux sociaux, que trouve-t-on ? « Ce sont les eaux sales et les passions mortifères de l’informité. Le fond de cuve de l’âme humaine. » Et pour les enfants « Regarder les écrans relève de la masturbation voyeuriste. » Et que dire d’Internet : « c’est la glorification du moi infantile et régressif et l’arborescence du délire collectif. » …
Mon Dieu Olivier qu’as-tu fait pour connaître aussi bien toutes les horreurs du Net ? Tu y passes tes nuits ? Sais-tu que l’on peut vivre sans aller à leur rencontre ? Au risque d’être "ringuardisé" ? Et alors ?


Cela me rappelle tellement une autre vie où je formais des bibliothécaires bénévoles dans une médiathèque d’hôpital et où j’avais retenu « Acide sulfurique » d’Amélie Nothomb comme exercice de « Comité de Lecture ».
https://www.senscritique.com/livre/Acide_sulfurique/critique/135857475
Le livre traite de "téléréalité", un programme télévisuel qui faisait fureur à l’époque (2005), l’auteure s’en était donné à cœur joie pour pousser l’exagération au maximum, dans le but de dénoncer de façon outrancière, cette mode détestable. Dans la discussion qui a suivi la lecture du livre toutes les lectrices se sont insurgées contre l’auteure du livre, tant les exactions décrites durant l’émission télé étaient infâmes mais à aucun moment les téléspectateurs n’ont été critiqués pour ne pas avoir éteint leur poste.


Mais « C’est toujours sur les réseaux sociaux que les terroristes postent la vidéo de leur crime et la revendication de leur ignominie. » Peut-être, mais c’est parce que nous voulons bien les voir, que nous les regardons ! S’ils n’avaient pas de public ils ne pourraient faire cette publicité. Il y a deux ou trois sujets que j’exècre, je les boycotte sans exception.


De Lucien Becker :


« Il me faut aller vite dans tous les sens
parce que partout autour de moi
des femmes qui vont mourir se donnent
à des hommes dont la mort est pour demain.


Je dépense sans compte l’or de l’amour,
je goûte à ton corps comme à un verre
dont je n’ai pas le temps d’achever le contenu
parce que j’ai la main de la mort sur la gorge.
»


P.S. : Je remercie "Jaklin" qui m’a fait découvrir ce livre et cet auteur, prophète apocalyptique, une éclaireuse éclairante.

Philou33
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le 22 juin 2021

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Philou33

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