Le dernier - et absolument remarquable - roman en date de l'inépuisable Le Carré emboîte dans une intrigue addictive deux thèmes "politiques" actuels forts : les "whistle blowers" et la substitution progressive des armées "nationales" par des sociétés de mercenaires privées. Seulement en cela, "Une Vérité Si Délicate" serait déjà un livre important, qui nous aide à mieux comprendre - quitte à s'en désoler - le monde dans lequel nous vivons désormais. Ce qui élève le livre au dessus de la production courante, voire même de bien d'autres thrillers du pourtant prolixe et inspiré John Le Carré, c'est sa remarquable construction : démarrant curieusement "en pointillés" avec des personnages, dont on peine à saisir l'essence, plongés dans des situations tour à tour confuses et apparemment anodines, "Une Vérité Si Délicate" acquiert peu à peu une densité humaine prenante, en parallèle avec le resserrement angoissant de son intrigue et la convergence des situations vers le pur thriller anxiogène. La fin, vertigineuse et abrupte, est parfaite, nous laissant totalement vaincus par la maîtrise narrative absolue de l'auteur. Si l'on ajoute une folle élégance stylistique et une bonne dose d'humour "anglais" - tout au moins dans la première partie - on sera bien d'accord qu'on tient là un vrai petit chef d’œuvre d'intelligence.
[Critique écrite en 2015]