Avant toutes choses, ce roman est la suite de Mr. Mercedes ; et vu qu'il n'hésite pas à le spoiler dans les détails, alors il est largement préférable d'avoir lu la première partie avant d'attaquer celui-ci.


J'ai lu quasiment tous les romans de Stephen King. Je suis un adorateur du bonhomme, ce n'est pas une nouveauté. Le genre à lui pardonner ses dérives et ses faiblesses. Mais jamais, jusqu'à présent (si ma mémoire ne me joue pas des tours) je n'avais lu un roman de Stephen King avec une histoire aussi mal torchée. C'est complètement invraisemblable, rempli de hasards, deus ex machina et autres facilités de scénarios.
Pire. Une fois passées les cinquante premières pages (sur 450 environ), l'intrigue est entièrement prévisible. De A à Z. Ce qui, pour un roman policier, est quand même rédhibitoire.
Alors, certes, on peut répondre que King est un conteur extraordinaire. Le genre de bonhomme à rendre passionnante une recette d'omelette. Certes, il a l'art d'agencer son roman, d'organiser ses chapitres, de bricoler la chronologie. Ça se lit vite et ça ne se décroche pas. Cependant, mises à part les ultimes pages, où le maître retrouve cette atmosphère d'angoisse surnaturelle inattendue et qu'il maîtrise à la perfection, le reste est sans surprises. Donc si vous voulez un bon roman policier, laissez celui-ci de côté et allez plutôt vers Indridason, Mankell ou Connelly.


Et si, une fois de plus chez King, l'intérêt du roman était ailleurs ? On parle ici de Stephen King. Celui qui cache des analyses psychologiques derrière des romans d'horreur. Des critiques de l'Amérique dissimulées sous des allures de romans fantastiques. Des romans nostalgiques et sentimentaux derrière des voyages dans le temps.
Alors, que cachent ces Carnets Noirs mal fagotés ?
La réponse est évidente.


Le premier personnage dont nous faisons la connaissance ici s'appelle James Rothstein. Nous sommes en 1978. Rothstein est un des écrivains les plus populaires de son temps, apprécié aussi bien par les critiques que par les lecteurs, surtout adolescents. Ses romans sont étudiés dans les lycées. Il est une référence, et ce uniquement grâce à un de ses personnages, Jimmy Gold. Jimmy Gold, c'est l'exemple de la rébellion adolescente, le gosse qui quitte tout pour faire une fugue dans New-York. Rothsten a écrit trois romans sur Jimmy Gold, dans les années 50, puis quelques nouvelles. Et c'est tout. Depuis le début des années 60, il vit reclus au milieu de nulle part, fuyant l'humanité et les journalistes, ne publiant plus rien.
Ça ne vous rappelle rien, des fois ?
L'allusion ici est évidente. A travers Rothstein, King fait l'éloge d'un de ses maîtres, J. D. Salinger, auteur de l'excellent Attrape-Coeurs. Le narrateur de 22/11/63 en avait déjà dit tout le bien qu'il en pensait, et on sentait bien que c'était Stephen King qui parlait à travers lui.
Et au-delà de Salinger, forcément très présent ici, c'est toute la littérature qui est saluée. Loin d'être un roman policier, Carnets Noirs est d'abord un immense cri d'amour pour la littérature et sa capacité à faire rêver, faire réfléchir, cultiver, évader, en bref transformer ses lecteurs, les rendre autres, meilleurs. Hemingway, Roth, et même Zola sont convoqués.
Mais King ne s'arrête pas là. Une fois de plus, c'est nous qu'il interroge, dans notre attitude de lecteur, dans notre rapport avec les livres, avec les personnages de roman et avec les auteurs eux-mêmes. Après tout, le point de départ du roman rappelle très fortement celui de Misery : un fan absolu qui ne pardonne pas à un auteur ce qu'il estime être une faute grave.
King interroge donc le face-à-face entre lecteur et écrivain, mais aussi le rôle de l'écrivain face à ses personnages. ça donne quelques pages franchement réussies. Le face-à-face entre les deux personnages principaux, deux lecteurs forcenés, permet de jolies réflexions sur notre rapport à la fiction et sur la frontière entre fiction et réalité. Frontière qui est également celle de la folie.
Certes, ça ne suffit pas à faire de Carnets Noirs un grand roman. C'est clairement un King moyen. Mais l'auteur de Shining est ici porté par son amour et son admirations pour les grands écrivains, et ça permet d'avoir des pages très intéressantes.

SanFelice
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Voyage littéraire de 2017

Créée

le 8 févr. 2017

Critique lue 2.4K fois

23 j'aime

4 commentaires

SanFelice

Écrit par

Critique lue 2.4K fois

23
4

D'autres avis sur Carnets noirs

Carnets noirs
Bing
7

Si j'existe, c'est d'être fan

Peu après la parution de son roman, Mr Mercedes, Stephen King nous avait avoué son intention de faire des aventures de son nouveau héros le détective à la retraite Kermit William Hodges (19) une...

Par

le 15 juin 2015

14 j'aime

11

Carnets noirs
EricDebarnot
4

The Moleskine notebooks

En refermant "Finders Keepers" (encore un titre stupide en français puisque les carnets de "moleskine" de Rothstein ne sont pas décrits par Stephen King comme de couleur noire, si je ne m'abuse...),...

le 11 août 2016

3 j'aime

Carnets noirs
Gandalf13
6

Ça ronronne

Après un "Mr Mercedes" bien mais trop simpliste, King reprend son trio d'enquêteurs mené par le retraité de la police Hodges, dans une histoire de fan jusqu'au boutiste, prêt à tout pour récupérer...

le 22 juil. 2018

2 j'aime

Du même critique

Starship Troopers
SanFelice
7

La mère de toutes les guerres

Quand on voit ce film de nos jours, après le 11 septembre et après les mensonges justifiant l'intervention en Irak, on se dit que Verhoeven a très bien cerné l'idéologie américaine. L'histoire n'a...

le 8 nov. 2012

256 j'aime

50

Gravity
SanFelice
5

L'ultime front tiède

Au moment de noter Gravity, me voilà bien embêté. Il y a dans ce film de fort bons aspects, mais aussi de forts mauvais. Pour faire simple, autant le début est très beau, autant la fin est ridicule...

le 2 janv. 2014

218 j'aime

20

Chernobyl
SanFelice
9

What is the cost of lies ?

Voilà une série HBO qui est sans doute un des événements de l’année, avec son ambiance apocalyptique, ses flammes, ses milliers de morts, ses enjeux politiques, etc. Mais ici, pas de dragons ni de...

le 4 juin 2019

214 j'aime

32