Tel un bonbon acidulé, entre douceur et piquant ; les mots percutants, bien réels, d’Hadrien Bels, qui tente de décrire une ambiance de quartier (celle du Panier) parfois violente et crue viennent frotter le palais quant au chapitre suivant, on sent le poids des souvenirs, son amour pour Marseille, qui vient teinter le tout d’une mélancolie poignante qui resucre la gorge.


Ce petit roman est à la fois plaisant pour son écriture résolument moderne et simple mais aussi pour sa générosité. On sent que l’auteur nous confie une part de lui, sa souffrance de voir disparaître sa ville, Marseille, autant que ses amours et sa jeunesse. C’est finalement l’histoire d’un deuil. Un deuil multiple, d’une vie qui évolue parfois sans qu’on le veuille. Stress est traversé par les grands remous de la vie, ceux qui vous surprennent alors que vous êtes encore jeune mais déjà un peu vieux (genre, la trentaine quoi). L’âge du renoncement ; le renoncement aux souvenirs qui doivent le rester et ne font plus partie du présent, le renoncement aux amours qui avancent sans nous. Le tout, exacerbé par le changement de ce qui n’aurait pas dû changer : les murs, les rues, l’ambiance d’une ville qui nous a vu grandir.


Et finalement, c’est à ça que fait échos de livre : pourquoi voir sa ville changer peut tant déstabiliser ? Que signifie alors, habiter ? Comment habitons-nous une ville, un quartier ? Qui fait la ville ? Qu’est-ce qui fait que la ville vit ou se meurt ? Et surtout, pour qui existe-t-elle ? On voit bien que pour Stress, comme pour beaucoup d’autres (et je me mêle amplement au panier), la ville ne se résume pas à une adresse sur un papier d’identité, à un arrondissement ou à une succession de rues. Enfin, plus politiquement, le livre interroge aussi à qui et à quoi laisse place la gentrification. Quand on voit ce qu’elle détruit, déloge, quand on vit au plus profond de notre chair ces changements plus grands que nous, on ne peut que ressentir cette même peine nostalgique. Impuissants. Ou pas... Mais ça, le livre ne nous en donne pas l’ouverture ni l’ombre d’une piste. Et c’est peut-être justement ça qui déstabilise Stress, assister à cette transformation de sa ville sans rien y faire, sans agir... Si on suit ce cheminement, le dernier chapitre peut être vu comme une belle métaphore : Stress, spectateur de sa vie comme de la destruction de sa ville.

Lenarines
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Urbanisme et droit au logement // Livres

Créée

le 22 mars 2021

Modifiée

le 22 mars 2021

Critique lue 151 fois

Lenarines

Écrit par

Critique lue 151 fois

D'autres avis sur Cinq dans tes yeux

Cinq dans tes yeux
Kur0kuma
8

Percutant !

Cinq dans tes yeux a tout de suite capté mon attention de part son point d'ancrage : Marseille. Pour les amoureux de la cité phocéenne, ce livre est un petit bijou. Hadrien Bels connaît son sujet et...

le 9 sept. 2020

6 j'aime

Cinq dans tes yeux
JulienCoquet
6

« Cinq dans tes yeux » de Hadrien Bels : Marseille, cité radieuse ?

Le premier roman de Hadrien Bels se concentre sur un groupe de jeunes ayant vécu dans le quartier marseillais du Panier dans les années 90. Le portrait de la ville est fantastique, l’histoire contée...

le 20 août 2020

3 j'aime

Cinq dans tes yeux
Lenarines
9

La gentrification, un mal d’amour

Tel un bonbon acidulé, entre douceur et piquant ; les mots percutants, bien réels, d’Hadrien Bels, qui tente de décrire une ambiance de quartier (celle du Panier) parfois violente et crue viennent...

le 22 mars 2021

Du même critique

Visages, villages
Lenarines
4

Désillusion, déception

Alors, pardon, mais je suis très déçue. Si vous aimez le travail de JR et connaissez les films d'Agnès Varda, vous avez dû être aussi impatients que moi, sinon plus. Malheureusement - arrêtez tout,...

le 30 juin 2017

15 j'aime

10

Ouistreham
Lenarines
10

Presque Ken Loachien

Je connaissais Aubenas mais pas Carrère. Maintenant, j'ai envie de lire et voir du Carrère. Parce qu'Ouistreham est un bon film. En fait, ça faisait longtemps qu'un film ne m'avait pas tant ému et...

le 16 févr. 2022

4 j'aime

L'Art de perdre
Lenarines
10

Impressionnant de justesse

Le parfait mélange entre récit historique, roman et autobiographie. Ce livre a avant tout une utilité sociale majeure. En effet, on sent bien qu'Alice Zeniter s'est donné la tâche de rappeler...

le 28 févr. 2020

4 j'aime