Enfance
6.6
Enfance

livre de Nathalie Sarraute (1983)

Nathalie Sarraute semble avoir absolument compris l'objectif de l'autobiographie. Si celle-ci (le genre littéraire) est une rétrospective de son propre soi, c'est surtout un parcours de son moi. Et quoi de mieux que de retrouver des souvenirs confus que ceux de l'enfance, quand on écrit à 81-82 ans ? Ce sont des souvenirs vagues, lointains, qui permettent de ne pas donner le primat aux faits, mais de conforter l'expérience émotionnelle, psychologique, et a fortiori de favoriser la création poétique.

La toute fin du livre est très révélatrice de cette intention. L'autobiographe explique pourquoi elle arrête son récit à son départ de chez ses parents pour le lycée Fénelon :
"C'est peut-être qu'il me semble que là s'arrête pour moi l'enfance... Quand je regarde ce qui s'offre à moi maintenant, je vois comme un énorme espace très encombré, bien éclairé...
Je ne pourrais plus m'efforcer de faire surgir quelques moments, quelques mouvements qui me semblent encore intacts, assez forts pour se dégager de cette couche protectrice qui les conserve, de ces épaisseurs blanchâtres, molles, ouatées, qui se défont, qui disparaissent avec l'enfance..."

L'enfance est un microcosme mais qui reste très flou, du point de vue de l'octogénaire. Elle ne regarde pas sa vie comme elle la voyait à l'âge dont elle fait le récit. Elle a reconstruit cette période de sa vie, justement parce qu'elle représente la confusion même des souvenirs. Le cocon familial permet à l'individu de ne pas être responsable de ses actes, et Sarraute le fait rétrospectivement. Elle parle souvent par supposition, sans se rappeler exactement quelle réaction elle aura pu avoir face à telle situation.

De plus, la structure très particulière du récit renforce cette introspection dans le Moi : un dialogue avec un "je" imaginaire, une conscience parallèle, qui la connait parfaitement, mais qui lui rappelle des choses qu'elle connaît mais qu'elle ne dit pas dans le récit. C'est une forme d'annexe qui stimule ce parcours intérieur, qui matérialise au plus haut niveau l'objectif autobiographique.

Un roman qui se lit et se relit avec tendresse qui plus est, et qu'on ne peut qu'envisager pour une étude sur l'autobiographie.

Cf. ma liste sur le programme de littérature de l'ENS Lyon 2014 sur l'Autobiographie : http://www.senscritique.com/liste/L_Autobiographie_ENS_Lyon_2014_Litterature/563892
Alexandre_Gauzy
8
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le 22 août 2014

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Alexandre G

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