Plût au ciel que l'art ne fût pas une chimère !

Bonjour à tous,


Aujourd' hui, je m' en vais faire la critique de cet auteur, très peu connu du grand public. Admiré pourtant par Baudelaire. C'est par les nombreuses références à Aloysius Bertrand dans les introductions des œuvres de Baudelaire ou Rimbaud que "Gaspard de la nuit", son unique recueil, se retrouva dans mes mains. S'il fut un inspirateur d'aussi grands noms de la poésie, c'est qu'il proposa à ce genre de nouvelles voies, à travers ce que l'on a appelé la poésie en prose. Publié en 1842, le livre propose des peintures et des sortes de chroniques de la vie ancienne, en s'inspirant des tableaux et gravures de Rembrandt et Callot. Fidèle à la mode médiéviste de ce début de siècle, Bertrand nous plonge dans un Moyen-Âge mystérieux et fantastique, ou magie de la poésie et des sciences occultes s'associent et s'amalgament, telle une curieuse alchimie. Ces « bambochades », comme il les appelait, même si elles n'atteignent pas le sublime, offrent de saisissantes images.


Certaines pépites pour amateurs de littérature bizarre et poétique, le rêve pouvant vous ravir ou, parfois, virer au cauchemar ! En 1842, un an après la mort de son discret auteur, la première édition de Gaspard de la Nuit ne rencontre guère que le silence: vingt exemplaires à peine en sont vendus.


Tenu par sa quête bien qu'atteint de tuberculose, Aloysius Bertrand n'aura pas réussi à achever à temps son chef-d'œuvre, Gaspard de la nuit. Il meurt le 29 avril 1841 à Paris, dans le plus grand dénuement, seul et méconnu. Livre-joyau, d'inspiration médiévale et biblique, il suscita l'admiration de Charles Baudelaire.


Mais revenons à l' oeuvre qui nous intéresse aujourd' hui. Gaspard de la nuit se caractérise par ses influences gothiques, médiévales, oniriques et fantastiques. C'est un recueil très moderne pour l'époque. On comprend pourquoi il a toujours fasciné les plus grands (Baudelaire, les Surréalistes); je partage leur avis! Quoique la littérature désigne A.Bertrand comme "un petit romantique", son recueil est un véritable exercice de style mélangeant diverses atmosphères (entre rêve et réalite, macabre et mélancolique...): un recueil qui transporte.


L'œuvre de Bertrand est assez inclassable. Celui en qui l'on voit l'inventeur des poèmes en prose, repris et développés par Charles Baudelaire avec un indicible talent, propose dans cette œuvre un certain nombre de petites photographies dans le goût médiéval... Médiéval à la sauce Viollet le duc ou Walter Scott, c'est à dire empreint d'un romantisme où se débattent des sabbats de sorcières, des gargouilles ventrues, des lansquenets querelleurs, etc. Aloysius Bertrand aime les mots. Il les savoure, les pétris entre ses doigts avant de les jeter sur le papier. Il est vrai que cela donne un recueil de poésie au style un peu daté mais tout se lit parfaitement et l'impression générale qui est donnée est simplement celle que l'on a lorsqu'on se plonge dans la contemplation d'une miniature dans un beau livre d'images.


Aloysius Bertrand, poète dijonnais, est mort très jeune, dans la misère et oublié de tous. Il est sans doute un des plus grands poètes maudits de notre XIXème siècle.
Baudelaire lui rend hommage comme à l'un de ses prédécesseurs dans l'"invention" du poème en prose.


On feuillette, en le lisant, un livre étrange semé d'enluminures médiévales, de dessins grimaçants et diaboliques, de rassurantes scènes de cabaret, de graves méditations philosophiques,d'ardentes recherches alchimiques.
Il faut redécouvrir ces poèmes qui sont de petites pochades drôles, inquiétantes...toutes incroyablement travaillées, avec un art consommé de l'ellipse, de l'humour (noir) et une magistrale musicalité malgré l'absence de rimes...


Tout le charme pittoresque d'un romantisme noir qui réinvente le langage d'un Moyen-Age qu'on redécouvre se condense dans ces poèmes en prose qui sortent de leur chapeau magique des aventures qu'on croyait oubliées, des sabbats de sorcières, des nains affreux, des pendus sur la potence, des chevaliers et des gueux, des moines dépravés et, cerise sur le mystère, le diable, qui rôde et qui séduit. le lecteur moderne se plonge avec délice dans un double passé, celui du temps des poètes gourmands, des Victor Hugo de Province, et celui des rois et des lépreux, qui ressuscite un monde enfoui et qui lui donne des couleurs vives et des paroles démodées. On a l'impression de déchiffrer un manuscrit ancien, un parchemin de vélin, et d'y trouver un trésor : les mots de jadis.


Lisez plutôt :


Ondine



  • " Écoute ! - Écoute ! - C'est moi, c'est Ondine qui
    frôle de ces gouttes d'eau les losanges sonores de ta
    fenêtre illuminée par les mornes rayons de la lune ;
    et voici, en robe de moire, la dame châtelaine qui
    contemple à son balcon la belle nuit étoilée et le beau
    lac endormi.


" Chaque flot est un ondin qui nage dans le courant,
chaque courant est un sentier qui serpente vers mon palais,
et mon palais est bâti fluide, au fond du lac, dans le
triangle du feu, de la terre et de l'air.


" Écoute ! - Écoute ! - Mon père bat l'eau coassante
d'une branche d'aulne verte, et mes sœurs caressent de
leurs bras d'écume les fraîches îles d'herbes, de nénu-
phars et de glaïeuls, ou se moquent du saule caduc et
barbu qui pêche à la ligne ! "


Sa chanson murmurée, elle me supplia de recevoir son
anneau à mon doigt pour être l'époux d'une Ondine, et
de visiter avec elle son palais pour être le roi des lacs.


Et comme je lui répondais que j'aimais une mortelle,
boudeuse et dépitée, elle pleura quelques larmes, poussa
un éclat de rire, et s'évanouit en giboulées qui ruisse-
lèrent blanches le long de mes vitraux bleus.


Ou encore :


L’Écolier de Leyde


Il s’assied dans son fauteuil de velours d’Utrecht, messire Blasius, le menton dans sa fraise de fine dentelle, comme une volaille qu’un cuisinier s’est rôtie sur une faïence.
Il s’assied devant sa banque pour compter la monnaie d’un demi-florin ; moi, pauvre écolier de Leyde, qui ai un bonnet et une culotte percée, debout sur un pied comme une grue sur un pal.
Voilà le trébuchet qui sort de la boîte de laque aux bizarres figures chinoises, comme une araignée qui, repliant ses longs bras, se réfugie dans une tulipe nuancée de mille couleurs.
Ne dirait-on pas, à voir la mine allongée du maître, trembler ses doigts décharnés découplant les pièces d’or, d’un voleur pris sur le fait et contraint, le pistolet sur la gorge, de rendre à Dieu ce qu’il a gagné avec le diable ?
Mon florin que tu examines avec défiance à travers la loupe est moins équivoque et louche que ton petit œil gris, qui fume comme un lampion mal éteint.
Le trébuchet est rentré dans sa boîte de laque aux brillantes figures chinoises, messire Blasius s’est levé à demi de son fauteuil de velours d’Utrecht, et moi, saluant jusqu’à terre, je sors à reculons, pauvre écolier de Leyde qui ai bas et chausses percés.


Sur ce, porte vous bien. Lisez ce livre. Il est vraiment pas mal du tout. Je vous le dis. Lire est une incitation à l' intelligence des âmes, et des corps. Tcho. Continuez à lire. @ +.

ClementLeroy
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le 8 juin 2015

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San  Bardamu

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