C'était une gageüre : trouver à faire entendre à un public cultivé sans doute, mais que la logique pourrait plutôt effrayer, ce qui se joue dans le théorème d'incomplétude de Gödel. Il y fallait de l'humour et de la pédagogie. On aurait aimé un peu plus de concision. Le déroulé au long court de l'ouvrage et un certain essoufflement dans la répétition (virtuose) des dialogues et autres langages-jouets fini par lasser un brin (enguirlandé, pour le coup) et ne m'a jamais permis d'aller au cœur du sujet, qui se trouve dans la seconde partie.

Le mariage d'un esprit américain, hyper-didactique, et d'une fascination littéraire pour l'esprit complexe de la vieille Europe, pleine de miroirs et de poètes contournés, n'en fait pas moins de cet ouvrage une sorte d'hapax, objet étonnant où alternent exemples, jeux intellectuels, imageries, pavages et bouts d'analyses musicales, à la recherche de ces choses étranges qui se cachent dans l'autoréférence - qui, n'en déplaise à M. Bouveresse, n'est sans problème que pour ceux qui ont bordé le langage de façon à ne s'y jamais confronter (contorsions toujours actuelles autour de la question de la fondation logique des mathématiques). C'est que le théorème de Gödel use d'un retour à l'autoréférence là où on croyait s'en être débarrassé : dans cette théorie des ensembles qui avait été inventée de façon éviter les paradoxes qu'elle avait engendré tout en permettant de fonder l'arithmétique (1, 2, 3 ... l'infini ; et toutes les opérations qui vont avec). A ceci près : on y évite l'autoréférence dans le langage objet, mais elle repointe le bout de son nez dans le métalangage - pourvu qu'on sache compter. Je passe le cœur de la démonstration, qui tient en la possibilité de numéroter toute phrase logique, et d'utiliser ce numéro comme d'une référence à cette phrase à l'intérieur d'une autre phrase logique ; le but du jeu reste bien d'écrire, de façon rigoureuse,"cette phrase est fausse". Et d'en tirer les conséquence.

C'est à une comprendre un peu mieux comment cela fonctionne qu'invite GEB. Mais si l'on y parle de système formel et de preuve, cela se fait dans le temps du façonnage d'un tissu d'analogies très personnelles où se trouvent inclus tableaux d'Esher et fugues de Bach. On ne s'étonne guère d'y retrouver Achille dialoguant avec la tortue, en reprise d'un classique de Carroll (oui, celui de la wonderlandish Alice, logicien s'il en fut), ou des colonies de fournies piégées par l'uniface d'une bande de Möbius.Cela tient du poème, du mathème et d'un lieu de bifurcation assez intriqué dans la bibliothèque universelle. Je ne sais si on en sort plus savant - mais très certainement plus facilement acquis à l'idée que les sciences, et les mathématiques en particulier, ne s'arrêtent pas à l'étroitesse technicienne du calcul, mais fécondent de façon complexe, comme la littérature ou l'histoire, le lieu de leur naissance, où s'engendrent les pensées et les affects.

Dommage, une dernière fois, que le manque de souffle, finisse par décourager le lecteur après une première partie assez enthousiasmante.
Kliban
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Créée

le 12 oct. 2011

Modifiée

le 22 août 2012

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D'autres avis sur Gödel, Escher, Bach : Les Brins d'une Guirlande Éternelle

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