Relire Bainville est toujours un plaisir.... Un purgatoire immérité !

Bonjour à tous, me voilà devant vous, avec ce diable de Bainville ! Que nous embêtes-tu avec ce pauvre fou, ami de Charles Maurras, monstre d' extrême droite, comme tout le monde le sait....


De plus, en tant que Catholique ( Simone weil me tuerait de cette formulation ), je me dois de rejetter Bainville, condamné avec l' Action Française, par le Vatican, en 1926 !


Que de vociférations inutiles, braves gens ! Calmons-nous ! Reprenons un débat, plus sereinement.


Je disais, donc, nous voici avec ce diable de Bainville. Mais pourquoi donc ? Déjà, car, la fausse extrême droite en France est la vraie gauche... Bon. Je suis trop taquin. Milles excuses.


Comme je le disais, dans mon titre, Relire Bainville est toujours un plaisir même si nous n’avions pas eu cette joie depuis l’enfance. Ce compagnon de route de Charles Maurras avait en effet publié une histoire de France destinée aux plus petits (reprise aujourd’hui par Jean Tulard).


L’Action française avait son maître à penser, Charles Maurras, son orateur, Léon Daudet, mais également son historien, Jacques Bainville. Ce dernier, élu à l’Académie française le 25 mars 1935, était le défenseur d’une France pré-révolutionnaire, autoritaire et spirituelle


Journaliste et historien, il est surtout connu pour avoir sévi dans le journal l’Action Française au début du vingtième siècle et pour avoir prédit la seconde guerre mondiale dans son célèbre ouvrage de 1920 Les conséquences politiques de la paix. On se souvient de sa phrase célèbre : « il s’agit d’une paix trop douce pour ce qu’elle a de dur, et trop dure pour ce qu’elle a de doux ».


Écrivain fécond, Jacques Bainville livre chaque jour des chroniques et des éditoriaux à différents journaux. Bien que n'ayant fait que des études de droit, il enchaîne aussi les livres d'Histoire.


Le premier, publié à vingt ans, est une biographie de Louis II de Bavière.


Son Histoire de France (1924), son Napoléon (1931) et son Histoire de la Troisième République (1935), constamment réédités, demeurent des références historiographiques.


En 1920, à l'issue de la Grande Guerre, en réplique à l'opuscule de l'économiste John Maynard Keynes sur les Conséquences économiques de la paix, Bainville publie un lumineux essai : Les conséquences politiques de la paix à propos du traité de Versailles.


Il démontre avec brio que les clauses politiques du traité de Versailles contiennent les germes d'un autre conflit et résume la paix de Versailles dans une formule cinglante et juste, citée plus haut : « Une paix trop douce pour ce qu'elle a de dur et trop dure pour ce qu'elle a de doux ».


Dans l’avant-propos de son Histoire de France publiée en 1924, Jacques Bainville confesse que son goût pour l’histoire est venu assez tard. Enfant, l’apprentissage des dates et des faits historiques qui s’enchaînent sans explication ne le passionnait guère. Il lui manquait un fil conducteur. C’est avec l’idée selon laquelle l’énumération de faits et de dates historiques ne présente aucun intérêt, qu’il a entrepris une synthèse de l’histoire de France d’environ six cents pages. Selon Bainville, « la tâche de l’historien consiste essentiellement à abréger. S’il n’abrégeait pas, il faudrait autant de temps pour raconter l’histoire qu’elle n’en a mis à se faire ».


Reprenant le vers de Victor Hugo : "Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là" ; nous pourrions dire de même pour "L’Histoire de France" (parue en 1924) de Jacques Bainville (1879-1936) journaliste et historien de "L’Action Française".
Tout en évitant le panégyrique, je vais vous dire ce qui fait de "L’Histoire de France" de J. Bainville un grand livre ! :
-Une écriture fabuleuse et envoûtante telle une histoire accessible aux néophytes autant qu'aux connaisseurs.
-Une pédagogie historique qui permet de créer un fil rouge du Ve siècle (Clovis) à 1924 (la IIIe République) en 22 chapitres où vous aurez une analyse (en plus de la description des faits) sous Charlemagne ; l’avènement des capétiens ; la guerre de cent ans ; Louis XI ; les guerres religieuses jusqu'à Henri IV ; Louis XIII et Richelieu ; les guerres de Louis XIV ; Les défaites de Louis XV préparant la chute de Louis XVI ; la Révolution, l'Empire, les multiples régimes (1830, 1848, 1870) du XIXe siècle; etc.
-Une Histoire de France écrite par quelqu'un qui aime la France tout en sachant reconnaitre ses faiblesses et ses forces : patriote et en même temps honnête intellectuellement. (Par exemple en tant que monarchiste, il fait un éloge de Robespierre ayant été capable selon lui de remette la France en place).


Dès les premières pages, on ne peut qu’être frappé par la qualité du style de l’auteur. Il nous raconte l’histoire de France en s’attachant à analyser les faits. Concevant l’histoire comme une totalité, Jacques Bainville s’évertue à nous montrer sa continuité. Evoquant la révolution de 987, il constate : « ainsi naquit une multitude de monarchies locales fondées sur un consentement donné par la détresse. Les abus de la féodalité ne furent sentis que plus tard, quand les conditions eurent changé, quand l’ordre commença à revenir, et les abus ne s’en développèrent aussi qu’à la longue, la valeur du service ayant diminué et le prix qu’on le payait étant resté le même. C’est ce que nous voyons tous les jours pour le régime capitaliste.


Qui se souvient des premiers actionnaires qui ont risqué leur argent pour construire des chemins de fer ? A ce moment- là, ils ont été indispensables. Depuis, par voie d’héritage ou d’acquisition, leurs droits ont passé à d’autres qui ont l’air de parasites ». Il ne s’agit pas ici de retracer toute l’histoire de France à la lumière de l’œuvre de Bainville mais d’admirer son étude constante des causes et des effets. Il ne se contente pas d’évoquer des faits mais tente à chaque occasion de les remettre dans le contexte politique et économique de l’époque afin d’en examiner les conséquences futures sur le régime politique français. Ainsi, Bainville nous rappelle souvent que la France s’est construite difficilement et que les diverses guerres civiles et les intrigues de la noblesse et des ligues catholiques ou protestantes contre la royauté ont failli coûter à la France son unité. C’est à travers la question de la cohésion nationale française, que Jacques Bainville axe ses développements historiques.


Cette manière linéaire d’apprécier l’histoire peut bien sûr être critiquée car parfois elle semble artificielle. L’exemple ci-dessus le montre. Pour faire admettre son idée, Bainville compare le régime de l’Ancien Régime et celui de la démocratie libérale alors qu’ils n’ont absolument rien en commun. L’analogie entre les seigneurs féodaux et les petits actionnaires paraît un brun surfaite. Néanmoins, Jacques Bainville aime l’histoire de France et parvient à transmettre cet amour. Ses réflexions sont toujours intéressantes et souvent justes.


La lecture de ce grand historien est donc vivement conseillée à nos chers bambins. Malheureusement, il est douteux que les clercs de l’Education nationale mettent ce livre entre les mains des futurs citoyens du monde. On n’enseigne plus l’histoire de France mais l’histoire du Monde. La réforme des programmes d’histoire semble claire : François 1er, Henri IV, Louis XIV et Napoléon jetés aux toilettes pour être remplacés par la passionnante étude des empires africains du Songhaï et du Monomotapa ! La France et son histoire sont des espèces en voie de disparition. Il s’agit de préparer nos jeunes idiots utiles à l’idée d’égalité des cultures et à l’errance transnationale dans un monde globalisé. Tel Caïn, les futurs consommateurs nomades erreront sans fin à travers le monde. La perspective d’un marché global sans frontière et donc d’une gouvernance globale n’est pas loin. Autant préparer les gosses à ne pas avoir une vision trop autocentrée…


Observateur clairvoyant et lucide de son temps, Bainville eut mérité de faire partie des grands auteurs toujours lus ; styliste élégant, ses meilleurs extraits mériteraient de figurer au programme des cours de français. Il n'en est malheureusement rien, car la fidélité de Bainville à Charles Maurras, fondateur de l'Action française, a voilé son œuvre d'une tache indélébile qui occulte encore la qualité de ses vues en politique étrangère.


Il n'est pas jusqu'à son enterrement qui n'ait contribué à cette impression : le hasard a voulu que la voiture de Léon Blum soit bloquée dans son cortège mortuaire et que le leader socialiste fût proche d'être lynché par les Camelots du Roi, de sorte que le nom de Bainville reste associé à cet incident malheureux dont il ne pouvait être responsable.


Son discrédit pour cause d'engagement monarchiste est comparable à celui dont souffre aujourd'hui un autre remarquable écrivain français pour cause d'engagement communiste, le poète et romancier Louis Aragon.


En laissant ainsi Bainville au purgatoire, la culture française perd beaucoup, depuis des citations historiques devenues politiquement incorrectes comme la réponse en deux mots de Philippe le Bel à un ultimatum de l'empereur germanique Adolphe de Nassau (« Trop allemand »), jusqu'à la fabuleuse référence à un dialogue de Sophocle dans le passage de son discours de réception à l'Académie française sur les rangs clairsemés des défenseurs de la monarchie (« Où est Ajax ? Mort. Où est Achille ? Mort. Où est Patrocle ? Mort aussi »).


Primauté au politique, braves gens !


Dans Les conséquences politiques de la paix, Jacques Bainville dénonce en premier lieu l'illusion keynésienne d'un monde gouverné par des experts. Il fait valoir au contraire la primauté du politique et sa critique en ce début du XXIe siècle avec une singulière actualité :
« Le tracé des nouvelles frontières, par exemple, a été confié à des géographes et à des ethnographes tout à fait distingués, en qui il était permis d'avoir pleine confiance et qui n'auront certainement laissé passer dans l'exécution de leur tâche que des erreurs insignifiantes. Quant au plan selon lequel les États ont été distribués et modelés, il suffit de jeter les yeux sur la carte de l'Europe nouvelle pour s'apercevoir qu'il n'a pu être dirigé que par l'esprit de caprice et de contradiction ou bien au hasard des sympathies, quand ce n'était pas au hasard de discussions entre les Alliés. Tout le monde sait, par exemple, qu'après avoir déclaré qu'un État composite comme l'Autriche-Hongrie était indigne de vivre, le Conseil suprême s'est empressé de constituer, en Tchéco-Slovaquie, une Autriche nouvelle où se retrouvent six sur huit des nationalités dont se composait l'ancienne. Il n'y aura pas un seul poteau-frontière de l'État tchécoslovaque qui ne soit planté selon les méthodes les plus rigoureusement scientifiques. Quant à savoir combien de temps ces bornes resteront à leur place et les chances qu'elles ont d'y rester, ce n'était pas l'affaire des géomètres-arpenteurs. Ainsi les détails du traité sont un travail d'experts et de techniciens. L'ensemble, les grandes lignes sont de l'ouvrage d'amateurs. De là lui viennent deux de ses traits dominants : un caractère moral prononcé, car il est facile de mettre des lieux communs de moralité à la place du raisonnement politique qui exige un effort intellectuel et une préparation particulière. Ensuite un caractère « économique » non moins accusé et qui s'accorde avec le moralisme puritain. Cette alliance n'est pas une nouveauté. Ici, elle a eu pour effet de primer toute considération vraiment politique. »
Suite au remodelage de l'Europe centrale, il conclut : « il reste l'Allemagne, seule concentrée, seule homogène, suffisamment organisée encore, et dont le poids, suspendu sur le vide de l'Europe orientale, risque de faire basculer un jour le continent tout entier ».


Ou encore sur Turgot, petite satyre mordante du personnage :


" Turgot, convaincu, comme l'avait été Sully, que l'agriculture était à la base de la richesse nationale, cherchait à la favoriser de diverses manières et en même temps à remédier au fléau des disettes par la liberté du commerce des blés. Là, il ne se heurta pas seulement aux intérêts, mais aux préjugés. Il fut accusé, lui, l'honnête homme, de faire sortir le grain du royaume comme Louis XV l'avait été du « pacte de famine ». Dans son programme de liberté, Turgot touchait d'ailleurs à d'autres privilèges, ceux des corporations de métiers, ce qui provoquait les colères du petit commerce. Ses préférences pour l'agriculture lui valaient aussi le ressentiment de l'industrie et de la finance. " Turgot, dit Michelet, eut contre lui les seigneurs et les épiciers. " Il faut ajouter les banquiers dont le porte-parole était Necker, un Genevois, qui avait comme lui une recette merveilleuse et funeste, l'appel illimité au crédit.
"
Petit bémol ( qui n' en est pas un, pour moi ). Le moins que l’on puisse dire, c’est que Bainville n’est pas un apologète de la République. Dans son Histoire de France, il montre en quoi l’avènement de la République correspond au déclin de la nation française mais aussi à la mort de la spiritualité. En bon historien réactionnaire, Bainville décrit la grandeur d’une France monarchiste et catholique, d’une France unit par l’autorité et la foi. Pour le penseur contre-révolutionnaire, l’histoire de France ne commence pas en 1789. L’esprit français prend sa source dans les premières monarchies : mérovingienne, carolingienne et capétienne.
Aux yeux de Bainville, ce qui a fait la France, ce sont ses rois, les guerres européennes et le christianisme. La France est issue d’un processus historique long et complexe et non de la pensée révolutionnaire. Donc, ce livre s' adresse à des lecteurs avertis, de son monarchisme ( que l' on peut partager, ou non ).


Chez Bainville, la critique de la Révolution française est décisive. Il est important pour lui de montrer que 1789 ne procède pas du succès d’un mouvement populaire mais bien plutôt d’une faiblesse ponctuelle de l’autorité monarchique. A ses yeux, la Révolution française est synonyme d’anarchie, de décadence et d’illusion. C’est un accident historique et non une aspiration universellement partagée. L’objectif de Bainville est de souligner les difficultés rencontrées pendant près d’un siècle par le modèle républicain. Loin de s’être imposée naturellement, loin d’avoir gagné en 1789, la République s’est définitivement constituée à la suite d’un grand nombre de bouleversements : le Consulat et l’Empire, la Restauration, la Monarchie de juillet, la deuxième République et le second Empire.
Pour Bainville, l’avènement de la République, et de la démocratie qui l’accompagne, coïncide avec le déclin de l’esprit français et explique également la défaite de 1870 contre Bismarck. La conviction de l’historien est la suivante : le peuple français aime la monarchie car il a besoin d’autorité. Cette autorité, la République n’est pas en mesure de lui apporter.


Face à l’histoire de son pays, Bainville est animé d’un double sentiment, un mélange d’admiration et d’amertume : « Les Rois ont fait la France. Elle se défait sans Roi. ».


Sur ce, jeunes gens, je vous laisse découvrir cet auteur brillant, malgré mes réserves exprimées. Lire; et toujours lire ! La lecture nous appelle, un peu comme une belle femme que l' on aperçoit en passant, ou plus près de nous... La lecture serait-elle volupté ? Allez savoir... Céline disait qu' il " vendrait tout Baudelaire, pour une nageuse olympique ", c' est dire ! Tcho. Portez vous bien ! Lire nous empêche d' être con ( à priori... ). @+.

ClementLeroy
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le 22 mars 2017

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San  Bardamu

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