« Au-delà de la logique et de l’espoir, il y a l’amour et le rêve »

Après l’extra-ordinaire Hyperion, l’un de mes livres préférés, Dan Simmons poursuit son cycle des cantos d’Hypérion en y offrant déjà une première conclusion avec La chute d’Hypérion, apportant une fin aux arcs narratifs des pèlerins et à leur aventure globale tout en la mettant en parallèle avec une autre intrigue majeure développé essentiellement par ce tome, un pari ultra ambitieux. La réputation critique étant la même c’est avec beaucoup de confiance que je me suis lancé dans cette lecture qui m’a surpris à plus d’un titre mais voyons si j’en porte la même estime.


L’univers se développe avec cette intrigue se déroulant au sein de ces si mystérieux Tombeaux du temps mais aussi davantage dans l’environnement des Extros profitant d’un certain exotisme quant à leur design, leur technologie… en plus d’approfondir la situation géopolitique du Retz qui avait déjà été bien présenté quant à lui. On voit ainsi le récit se séparer en 2 trames bien distinctes avant qu’elles ne se recoupent, celle dans les tombeaux du temps plutôt intimiste, et celle de la guerre entre le Retz et les Extros parfaitement gargantuesque.


Je n’avais d’ailleurs que rarement été confronté à des œuvres culturelles évoquant des batailles aux enjeux si phénoménaux avec 150 milliards de vies humaines en jeu. C’est un poids que le récit sait très bien faire ressentir à travers la perspective de son personnage central, auparavant secondaire, en la personne de la présidente Meina Gladstone qui prend une importance toute particulière dans ce récit pour devenir un personnage féminin d’un charisme à toute épreuve. John Keats n’est jamais ici à mon sens qu’un personnage fonction au service du personnage de Meina.


Cette politicienne implacable à la force d’esprit fédératrice et se permettant quelques petites excentricités dans la forme voit ses inspirations politiques et historiques citées explicitement dans l’ouvrage et je les trouve plus qu’appropriées. Au vue du rôle qu’elle doit tenir il fallait trouver un juste équilibre entre la force de caractère qui lui permettrait de faire face avec cohérence et son humanité enfouie mais suffisamment palpable pour attirer la sympathie du lecteur, et ça a parfaitement marché sur moi. Et c’est vraiment un point central tant sa présence et son implication dans cette chute sont importantes.


Mais si ce personnage inédit est très réussi, quand est-il des personnages déjà existants et de la poursuite de leur histoire ? C’est déjà plus mitigé en ce qui me concerne, on les retrouve fidèles à eux-mêmes et j’ai pris plaisir à découvrir la suite et fin de leur aventure respective mais malheureusement, certains arcs narratifs dans les tombeaux du Temps sentent le réchauffé à mon goût. Ils me semblent reproduire timidement ce qui s’était déjà fait avec le premier récit et faire stagner leur problématique morale en l’étirant dans le temps jusqu’à ce qu’ils puissent enfin jouer leur rôle dans le climax final qui est très longuement amorcé. C’est pas très grave en soi mais cela implique un rythme très particulier et il ne m’a pas toujours été très agréable pour être honnête.


D’abord, ce rythme est très lent avec très peu d’événements faisant avancer ce qui avait été introduit dans le précédent tome et beaucoup de moments posés pour une ambiance mélancolique très appuyée, ça peut avoir son charme, ça l’a même indéniablement à certains passages, mais ce n’est pas ultra plaisant au vue des enjeux qui sont teasés et qu’on voit venir. Quand la présidente insiste autant sur le fait que la stratégie que tout le monde lui recommande lui semble dangereuse et que seul un homme lui soutient qu’il vaudrait mieux être plus prudent, je me suis dit que ça allait nécessairement mal tourner et que l’homme qui l’avait vu venir, qui porte le même nom qu’un illustre officier de notre histoire et avait eu le courage de le dire allait revêtir une toute autre importance par la suite, c’est 80 pages plus tard (j’ai regardé) que la « révélation » survient et que l’intrigue reprend, c’est un peu long pour un événement si prévisible.


Ensuite, ça devient très dispersé avec un rythme beaucoup plus soutenu mais qui n’arrête pas d’alterner les points de vue et de potentiellement laisser sur sa faim à chaque fin de perspective. Alors ça prouve aussi que je suis toujours autant impliqué émotionnellement dans l’histoire mais plus d’une fois j’ai été confus d’être baladé d’un récit à l’autre là où le premier ouvrage avait une narration beaucoup plus concentrée sur une intrigue précise. J’ai une préférence très personnelle pour les choix narratifs d’Hypérion mais en même temps ça ne veut pas dire que ceux de la chute sont mauvais, on reste sur un excellent niveau bien entendu, simplement un peu moins à mon goût.


Mais tous ces reproches personnels n’empêchent en rien la fin du récit de devenir absolument dantesque en enchaînant deux très grands twists que j’ai absolument adoré :


Le technocentre ayant usurpé l’identité des Extros pour que le Retz les accuse de cette invasion à grande échelle fut un twist qui m’a complètement pris de court. J’ai littéralement refait tout le tome dans ma tête à ce moment-là en m’imaginant tout ce que cette révélation pouvait signifier et ça m’a vraiment bouleversé. Je ne m’y attendais absolument pas tout en trouvant ça parfaitement logique après avoir pris le temps d’y réfléchir et de repenser à certains dialogues d’autres arcs narratifs, ce qui montre bien tout le génie de l’écriture derrière des passages que je jugeais finalement à tort comme étant mal rythmé un peu plus tôt dans ma critique.


En parallèle, la révélation faisant de Monéta et de Rachel un seul et même personnage ne bouleverse pas tant que cela la signification du récit mais c’est tellement malin de recouper les intrigues ainsi et de propulser le personnage parmi les personnages les plus mystiques, captivants et émouvants tout univers de SF confondu, une sacrée performance. L’incarnation de l’innocence pure côtoie celle de la femme fatale mêlant érotisme et violence et cette association est vraiment très audacieuse, même si encore une fois l’arrivée de cette révélation n’a pas un si grand impact que ça sur le récit.


Une autre grande réussite c’est d’avoir réussi à autant rationaliser d’événements d’apparence surnaturelle et mystique du premier tome, ou au moins de leur avoir apporté un début d’explication, pour finalement développer des thématiques d’une grande intelligence dans la continuité et dans l’évolution de ce qui avait déjà été évoqué vis-à-vis de l’obscurantisme religieux, de notre dépendance à la technologie… Je ne pensais pas que c’était possible d’y parvenir avec ce seul tome, qu’il y aurait forcément un goût d’inachevé, et ce n’est vraiment pas ce que j’ai ressenti.


Par contre, avec cette fin je me suis rendu compte que pas mal de personnages présentés comme centraux s’avèrent peu développés au final avec un rôle n’ayant que peu, voire pas du tout, impacté le récit principal, c’est un petit peu dommage mais c’est déjà plus secondaire. C’est juste quand tu teases autant que chaque récit de pèlerin est une pièce importante du puzzle, que tu réussis à faire de chacun de ces récits un formidable exercice de style… et que l’un de ces pèlerins se retrouve à mourir dans la quasi-indifférence et sans rien avoir vraiment apporté au scénario, ça déçoit un peu.


Si ces quelques reproches personnels quant au rythme du récit, à la redite de certains ressorts narratifs et à la sous-exploitation de certains personnages me font un peu moins aimé ce deuxième tome que le premier, La Chute d’Hypérion est une suite incroyable de par sa conclusion d’une grande intensité émotionnelle et d’une profondeur d’écriture remarquable. Si Les cantos d’Hyperion ne s’arrête pas avec ce tome, j’ai tout de même le sentiment d’être déjà parvenu à la fin d’une très grande histoire, parmi les plus profondes du milieu de la SF, tout en ayant hâte d’en lire d’autres dans ce même univers.

damon8671
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 4 juil. 2021

Critique lue 299 fois

4 j'aime

damon8671

Écrit par

Critique lue 299 fois

4

D'autres avis sur La Chute d'Hypérion

La Chute d'Hypérion
Eugène_Ernoult
5

Critique de La Chute d'Hypérion par Eugène_Ernoult

Après avoir redécouvert avec passion l'histoire des pélerins du Gritche dans Hypérion 1 et 2, je suis assez déçu de la suite (et fin) de leurs aventures. L'univers mis en place dans Hypérion est...

le 6 avr. 2018

11 j'aime

La Chute d'Hypérion
Marcus31
8

Voyage à travers l'espace temps...

Suite et dénouement du tome 1. C'est, plus encore que le premier opus, extrêmement complexe et touffu, avec une multitude d'histoires (les 7 pèlerins, la dirigeante du Retz et le second cybride de J...

le 24 oct. 2015

5 j'aime

La Chute d'Hypérion
Enlak
9

Critique de La Chute d'Hypérion par Enlak

L’histoire sort du cadre des pèlerins et d’Hypérion pour englober toute l’humanité. La présidente et surtout un deuxième cybride de Keats apparaissent au premier plan. En conséquence l’intrigue est...

le 9 déc. 2012

5 j'aime

Du même critique

Mass Effect
damon8671
8

Un début certes imparfait mais à l'univers incroyablement prometteur

Après le formidable succès de KOTOR dont il fut game-director, Casey Hudson veut repartir dans l’espace et répéter les grandes qualités des meilleures productions Bioware déjà existantes mais en...

le 24 août 2013

35 j'aime

11

The Thing
damon8671
9

Matters of trust

Premier film de la trilogie de l’Apocalypse de John Carpenter, série de films d’horreur dans lesquels un mal absolu semble rapprocher l’humanité d’un apocalypse inéluctable, The Thing est l’un des...

le 28 oct. 2023

25 j'aime

3

Super Mario Sunshine
damon8671
8

Ambiance prononcée, gameplay riche et original & réalisation bien vieillissante

J'ai joué à tous les Mario 3D (parce que je les distingue véritablement des Mario 2D) et Super Mario Sunshine est mon préféré parmi ceux-ci, ce qui n'est quand même pas rien vu l'excellence de la...

le 22 oct. 2013

23 j'aime

7