un livre tout à fait singulier ! En état de grâce.... ( Facile, je sais )

Bonjour à tous,


Me revoilà, parmi vous, avec ce livre. Il est très connu des croyants ( en règle générale ) et très peu des athées. Je ne savais pas du tout à quoi m' attendre en ouvrant ce livre. Je l' ai ouvert, purement au hasard, et suis tombé sur des passages exceptionnellement profonds, et avec un questionnement que je n' ai pas trouvé très souvent sur notre foi, et notre rapport à la grâce !


Conseillé par des amis, j'ai ouvert ce livre "la pesanteur et la grâce" alors que je ne connaissais pas du tout la philosophe Simone Weil (1909-1943)
Cet ouvrage se présente comme un recueil de pensées sous forme de courtes méditations classées par thèmes : l'intelligence et la grâce, la beauté, le détachement, le mal, la violence, le moi, etc…
L'ensemble témoigne d'une exceptionnelle profondeur, d'un esprit entièrement tourné vers la recherche de la vérité, sans compromis, terriblement exigeant, tourmenté aussi parfois, mais toujours d'une grande justesse et pertinence.
A méditer, plus qu'à lire d'une traite.
Un livre auquel revenir régulièrement pour y piocher nourriture, réflexions habitées, sens de l'homme et du mystère.


Selon moi, Simone Weil (1909-1943) fut une comète de la philosophie française. Née juive dans un milieu aisé, elle finira chrétienne et volontairement pauvre (elle haïssait toute forme de privilège). Sa vie sera dépouillement, nudité, exigence, mystique, absolu ; de la Sorbonne où elle croisa furtivement une Simone de Beauvoir déjà impressionnée aux usines Renault où elle se mit à la chaîne de son plein gré pour partager la condition moderne de l'ouvrier, en passant par l'Espagne où elle sanglota sur la guerre civile, puis en Italie, et enfin en Angleterre, où elle était venue, après un détour par les États-Unis, conduite par son désir non réalisé de créer en France un service d'infirmières de première ligne, elle laissa une œuvre insigne malgré, comme chez Nietzsche, les très fortes migraines qui l'assaillirent toute sa vie. Elle mourut à trente quatre ans.


"La Pesanteur et la Grâce" est sans doute le meilleur résumé de son cheminement. Ces pages d'une austérité janséniste et d'une folle exigence feraient passer un Pascal pour un phraseur relâché ; qui voudrait échapper aux fulgurantes observations de ce livre-scanner serait vite pris en défaut. C'est que la lumière divine brûle la rétine, et l'auteur elle-même s'accusait de détourner le regard. Exemple ? "C'est pourquoi nous fuyons le vide intérieur, parce que Dieu pourrait s'y glisser". Fuite de Dieu, fuite de soi ; une histoire hélas connue...


Que dire de ces textes sinon qu'ils nous aident à vivre.
La grâce de Simone Weil c'est son cœur ouvert sans but, sinon celui d'aimer : fine bougie dans le monde qui s'obscurcit, trop vite emportée par les privations et la folie des guerres
Même lus dans le désordre, chacun de ces petits textes porte en lui une intelligence vivifiante et stimulante.
Un livre que je ne garde jamais loin de moi en cas d'urgence (de pesanteur!)


Plus sérieusement, « La Pesanteur et la Grâce », quel merveilleux titre pour ce recueil de pensées de Simone Weil !
Edité pour la première fois chez Plon en 1947, son titre est joli, sa compréhension moins aisée. Il en faut, des pages et des pages pour cerner ces deux notions de Pesanteur et Grâce. D'autant que cette publication est posthume. Simone Weil, décédée en 1943, a laissé derrière elle une série de notes, de réflexions consignées dans un carnet sans mise en oeuvre littéraire, sans structuration permettant une argumentation de la pensée.
Et c'est, à mes yeux, ce qui en fait la richesse. D'abord, on se sent autoriser à ne pas tout comprendre. Que cela est confortable ! En même temps, on se sent autorisé à revenir au texte pour le réfléchir, l'apprivoiser, le méditer … et là, encore, à ne pas nécessairement tout comprendre et tout maîtriser. Voilà bien une approche, loin de l'immédiateté, qui devrait interpeller notre temps, celui de ceux qui nous ont précédés, celui des suivants. Une interpellation du temps universel !
Un peu à la manière des peintres pointillistes dont chaque coup de pinceau n'est en soi guère significatif, l'ensemble offre une image assez nette de la pensée de l'auteur. Ce livre est, plus que probablement, une bonne introduction à l'oeuvre entière de Simone WEIL, à la cohérence et l'effacement de sa vie, à la profondeur de ses réflexions et à son humilité. Elle participa activement à bien des combats, sous des bannières tellement opposées, mais sans jamais faire allégeance aux doctrines des extrêmes. Par ses réflexions consignées sans artifices dans ses carnets et sa manière de se mettre toujours du côté de l'être en souffrance, elle nous invite à un chemin de vie, à un absolu.
Peu importe que nous y arrivions ou non … Prendre le chemin de la rigueur, de la réflexion, de la recherche de la Grâce en pleine connaissance de la Pesanteur, voilà la route !


Mais, partons plus en détails, pour éviter d' être trop général. La vie de Simone Weil aura été brève (1909-1943), mais active et variée. Elle a produit quantité d’écrits réflexifs extrêmement riches, mais a également été , par exemple, ouvrière chez Renault de 1933 à 1935. Politiquement, elle est tout aussi inclassable : « Son amour du peuple et sa haine de toute oppression ne suffisent pas pour l’inféoder aux partis de gauche ; sa négation du progrès et son culte de la tradition n’autorisent pas davantage à la classer à droite », écrit Gustave Thibon dans la préface de La Pesanteur et la Grâce. On sent chez cet homme qui a connu Simone Weil une admiration teintée d’incompréhension fascinée, une sorte de proximité permise seulement par la distance et l’élévation qu’il semblait ressentir auprès d’elle. Tout chez elle semblait orienté vers une purification intérieure, état qui s’exprime à travers une rigueur infinie de l’écriture, qui doit être épurée, ciselée, comme toute traduction d’une langue à l’autre suppose « un scrupule religieux à ne rien ajouter » au sens du texte. Ecrivant en ces termes à Gustave Thibon, Simone Weil ajoute : « Tant que la nudité d’expression n’est pas atteinte, la pensée non plus n’a pas touché ni même approché la vraie grandeur… ». A un esprit qui veut livrer purement sa pensée, doit correspondre une expression dépouillée et claire.


La Pesanteur et la Grâce est un recueil qui condense certains textes des manuscrits que Simone Weil a confiés à Gustave Thibon en 1942. Le style se veut très clair, très incisif et tranchant, faisant penser à un Blaise Pascal ; la grâce est d’abord définie comme venant combler un manque, un vide qu’il faut accepter :


« La grâce comble, mais elle ne peut entrer que là où il y a un vide pour la recevoir, et c’est elle qui fait ce vide. »


La lecture de La Pesanteur et la Grâce est globalement une lecture problématique, dans la mesure où les fragments rassemblés sont souvent courts, semblent dissociés par le passage d’un ensemble à l’autre, parlent d’aspects divers… Et pourtant, une cohérence de pensée se dégage. Mais ce qui frappe le plus dans l’écriture de Simone Weil, c’est un impact étrange qu’elle a sur le lecteur : on a sans cesse l’impression d’être déconcerté par l’évidence. Lorsqu’on lit cette phrase lapidaire : « Mais Dieu ne peut aimer que soi-même. », on est dérouté, en se disant que Dieu est justement amour envers sa création et nous donne cet amour, que la discussion se fasse sur le plan religieux ou sur un plan plus généralement philosophique. Et pourtant, cette conception est directement et clairement expliquée : « Son amour pour nous est amour pour soi à travers nous. Ainsi, lui qui nous donne l’être, il aime en nous le consentement à ne pas être. » On passe d’une assertion très forte et déstabilisante à une évidence de son contenu paradoxal. Dieu nous donne ce dont on doit se déporter pour aller vers lui, et c’est cela que veut nous transmettre Simone Weil ; l’amour, la grâce est un décentrement de soi vers l’éternité, et la compréhension de Dieu suppose ce rapport extérieur à soi-même. Autre exemple, très frappant encore, de cette écriture à la fois déroutante et évidente :


« Il y a des gens pour qui tout ce qui rapproche Dieu d’eux-mêmes est bienfaisant. Pour moi, c’est tout ce qui l’éloigne. Entre moi et lui, l’épaisseur de l’univers-et celle de la croix-s’y ajoute. »


Cette conception interroge de façon presque agressive notre éventuel rapport à Dieu, et en tous cas notre rapport à un principe unificateur du monde. La bienfaisance du lien avec Dieu paraîtrait effectivement d’abord comme étant un sentiment de proximité avec lui ; Simone Weil vient renverser cette conception convenue, montrant ainsi que l’intérêt d’un rapport à Dieu, d’une foi, réside justement dans son questionnement. C’est peut-être au moment où on remet le plus en cause sa foi qu’on la vit réellement. La distance que l’on assume entre soi et Dieu est ce qui révèle l’amour de celui-ci, et ce qui le permet du même coup, pour Simone Weil.


Beaucoup d’autres aspects relatifs à l’homme et à son expérience de lui-même sont abordés au fil des fragments de La Pesanteur et la Grâce, toujours selon cette même approche alliant paradoxe et cohérence, et se manifestant dans l’écriture par un style axiomatique, clair et général. La guerre, par exemple, suppose étonnamment un amour de la vie : « Guerre. Maintenir intact en soi l’amour de la vie ; ne jamais infliger la mort sans l’accepter pour soi. » C’est parce qu’on consent à recevoir la mort que la nécessité de l’infliger à autrui en temps de guerre est pensée; une sorte d’égalité dans la misère humaine, qui, dans ses pires actions, fait l’expérience de sa propre souffrance à travers autrui. Faire souffrir l’autre, ça doit être du même coup envisager sa propre souffrance. Autre exemple extrêmement intéressant, la place de l’homme et sa spécificité par rapport à Dieu :


« Souffrance : supériorité de l’homme sur Dieu. Il a fallu l’Incarnation pour que cette supériorité ne fût pas scandaleuse. »


Encore une fois, surprenant et évident. Il paraît problématique que l’homme ait une supériorité sur Dieu, mais celle-ci est un manque, une caractéristique qui paraît négative : la souffrance. Cette négativité est à son tour détruite par l’exemple du Christ, dont la souffrance est justement ce qui a permis son élévation et son amour éternel. En totale cohérence avec la positivité de la souffrance déjà relevée, Simone Weil montre que la souffrance est notre accès à Dieu et à l’amour, et que le Christ concentre à la fois la supériorité de Dieu et celle de l’homme, la douleur. Sur tous les aspects de sa pensée, Simone Weil manie cette dialectique de l’opposition devenue unité, et manifeste la complexité et l’élévation vertigineuse de son mysticisme, toujours sous-tendu par un questionnement sur sa propre place et sur son lien avec Dieu.


Il y aurait beaucoup d’autres points à aborder tant l’ouvrage est riche (le thème de la décréation de Dieu dans notre monde, nécessaire à sa rencontre, la pensée politique de Simone Weil qui a été pour un temps proche des anarchistes et des trotskystes, l’intérêt de l’idée-athée…) et La Pesanteur et la Grâce constitue en somme une formidable entrée dans la grande œuvre de Simone Weil, tant une grande variété de thèmes y sont abordés. Mais j’ai essayé d’en tirer les principales et fondamentales caractéristiques réflexives, stylistiques et d’en expliquer les pensées importantes. Je dirais, ultimement, que La Pesanteur et la Grâce est un livre insolent. Insolent de clarté, insolent dans sa pensée, insolent dans ses contradictions fondatrices… Mais peut-être est-ce justement ce qui nous déstabilise et ce qui nous défie qui nous construit le plus.


Je termine avec une dernière citation, ma préférée, rapportée par Gustave Thibon dans la préface et portant sur la valeur du monde, telle qu’on la perçoit moralement :


« Et cette réfutation abrupte et définitive de tous les penseurs qui, comme un Schopenhauer ou un Sartre, tirent de la présence du mal dans le monde un pessimisme foncier : « Dire que le monde ne vaut rien, que cette vie ne vaut rien, et donner pour preuve le mal est absurde, car si cela ne vaut rien, de quoi le mal prive-t-il ? »


Sur ce, portez vous bien ! Continuez à lire, et à vous enrichir. Ne vous arrêtez jamais. La Mort pourrait vous surprendre ! Lire, c' est être libre. Tcho. Pensez par vous même, et oubliez tout le reste. Penser, de façon dynamique, repaît l' âme de ses sanglots ! @+.

ClementLeroy
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le 28 févr. 2017

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San  Bardamu

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