Il est probable qu'en écrivant ce récit, Kundera souhaitait faire un hommage aux écrivains et aux poètes qui l'ont influencé, mais également au formidable médium qu'est le livre et ainsi que le concept d'écriture. Car plusieurs fois, l'auteur se permet de digresser afin d'en relater les nuances. Son récit paraît alors diffusé tel un rêve.

On s'émeut de l'accouchement d'un tel anti-héros qu'est ce garçon Jaromil; on assiste à l'éveil de son autonomie, mais une autonomie jamais vraiment acquise comme le démontre l'auteur: en effet, chaque être reste toujours le produit de ce qui l'entoure, de ce qui l'a éduqué, qu'il le veuille ou non. La vie est ailleurs et pouvoir vivre sa vie demande un effort surhumain: comment se libérer des cloisons qui façonnent notre personnalité?

Le bouquin est très intéressant, et cette fois, la plume de l'auteur est nettement plus imagée et poétique que d'accoutumée, ce qui rend le récit d'autant plus savoureux, joignant le fond et la forme. Mais Kundera perd un peu son lecteur en milieu de récit; en effet, le début de l'histoire représente 15 années indissociables , puis arrive le chapitre où le poète court... et échappe au lecteur. Il a changé; il a mûri; certaines de ses décisions paraissent dès lors inaccessible, intellectuellement. Surtout qu'à partir de ce moment, le contre point apporté par sa mère se fera de plus en plus rare alors que ce concept du point de vue a toujours été la force de l'écrivain. Le récit devient alors étouffant, et le lecteur attend avec impatience l'air frais qu'apportera un nouveau personnage. Si nouveaux personnages il y a , c'est toujours collé à la cheville de Jaromil que l'on reste, et c'est bien dommage. La lecture devient moins jouissive car raconter une vie ordinairement Kunderesque, c'est à dire une vie pathétique de part ses grandes illusions, de façon ordinaire, ça gâche un peu la magie.

Heureusement Kundera remédie en partie au problème en proposant ici et là un chapitre plus aéré et où le lecteur peut prendre de la distance par rapport à la trame principale. L'auteur joue alors avec son médium, démontre l'infinie possibilité du livre, et renoue avec le concept des points de vue, le portant même à son paroxysme: le point de vue s'étend extrinsèquement au monde dépeint dans le livre; l'auteur va au delà des personnages, en imaginant l'espace d'un instant ce que serait le livre si tel personnage secondaire devenait principal... quels nouveaux personnages secondaires arriveraient? Mais aussi en citant des personnage d'un autre livre, c'est à dire d'un autre univers. Enfin il cite son propre point de vue, le notre, celui de n'importe qui comme référence, éclatant ainsi la structure classique d'un livre, ne le limitant plus à de l'encre sur du papier, mais à la vie, celle qui est ailleurs.

Pour terminer l'histoire, l'auteur réserve sa plus belle prose en quelques chapitres au lyrisme envoûtant; Kundera en profite pour se jouer du lecteur, et annonce la fin fatidique avant l'heure, laissant ainsi soin de reposer le final uniquement sur sa plume et l'attachement créé, par l'auteur et son complice le lecteur, à un des pires jeunes hommes de la littérature contemporaine.

La vie est ailleurs est un livre bourré de bonnes idées , le talent de Kundera transpire à chaque page, mais qui comporte quelques chutes de rythme en milieu de parcours peut être parce que le projet était trop dense, ou trop ambitieux: raconter la vie, ou plutôt la manquer, puis associer ce fait à la littérature, ce n'est pas chose aisée. Néanmoins, le livre mérite amplement d'être lu.
Fatpooper
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le 11 janv. 2012

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