Le Joueur
7.7
Le Joueur

livre de Fiodor Dostoïevski (1866)

Roman court, constituant une parenthèse dans l’œuvre de Dostoïevski et justifiant ainsi le succès de l'ouvrage en Europe, le Joueur n'en est pas moins un roman autobiographie dans lequel l'auteur tente d'expier les maux qui tourmentent encore son esprit -Le Jeu et Apollinaria Souslova.


Avant toute chose il est nécessaire de rappeler le contexte d'écriture, ce roman dicté en vingt-sept jours n'est que le produit d'un engagement qui liait le romancier à son éditeur et le contraignait à remettre un roman inédit dans un délai d'un mois sous peine d'une hypothèque de son œuvre pour près de dix ans.


Alexei Ivanovitch, personnage fictif qui nous conte ses mésaventures à travers son journal intime manque de profondeur, de surcroît lorsque cette psychologie est mise en relief avec les dires de Dostoïevski qui lui même auparavant affirmait -évoquant les prémices de ce qui deviendra le Joueur- :" un homme cependant cultivé, mais en tout inachevé, un homme qui a perdu la foi et qui n'ose pas ne pas croire [...] c'est un poète en son genre et pourtant il a honte de cette poésie car il en ressent profondément la bassesse, bien que par ailleurs le gout du risque l'ennoblisse à ses propres yeux."


L'on a donc du mal à concevoir que ce personnage présumé si profond soit au final si plat en comparaison avec la frivole madame Blanche et l'excentrique grand mère. Celui-ci nous conte l'évolution de ses relations dans les villes d'eau allemandes, connues pour le jeu. S'ensuit une intrigue dans laquelle transparaît une satire des milieux bourgeois et du culte de l'apparence, vision qui est pourtant trop peu développée ici par Dostoïevski.


Le protagoniste principal joue ainsi autant avec l'environnement extérieur et les relations liant les personnages qu'avec la roulette elle même dans la mesure où il n'hésite pas à s'esclaffer devant le visage livide du général à l'arrivée de la grand-mère, en témoigne d'autant plus le bref épisode avec le baron qu'Alexei n'hésite pas à moquer pour Pauline. Empreinte des influences Balzaciennes de l'auteur, cette intrigue familiale basée sur héritages, alliances et histoire d'argent n'est pas extrêmement convaincante dans la mesure où elle souffre d'un manque de développement.


Se développe en parallèle l'histoire d'amour -unilatérale- liant le protagoniste principal à la belle et orgueilleuse Pauline -le prénom fait d'autant plus écho à la propre histoire d'amour liant l'auteur à Appolinaria- histoire d'autant plus intéressante qu'elle témoigne du sentiment malsain qu'éprouvait le romancier pour sa bien-aimé. Celui-ci, et de la sorte le protagoniste, trouve dans l'esclavage et dans la domination qu'exerce sur lui la jeune femme une jouissance pernicieuse qui n'en est pas moins savoureuse.


C'est grâce à cette mise en relief que l'on saisit la fin du roman et de cette relation correspond à l'assouvissement dans la fiction de désirs inassouvis en réalité. Apparaît de plus cette dichotomie qui sépare la fière Pauline de la frivole Mlle Blanche, deux visions de l'amour et l'impossibilité d'un choix émergent.


Dostoïevski évoque de plus sa passion pour le jeu et l'on peut saluer l'auteur pour la retranscription adroite de l'ivresse du jeu, ces moments hors du temps où, les yeux rivés sur la bille, scrutant le moindre de ses bondissements, la grand mère frémit d'impatience à l'idée d'entendre le croupier crier "Zero". Cette passion trépidante, qui n'en est pas moins dévastatrice et qui témoigne du gout du risque, de l'attente fiévreuse du romancier.


Le thème commun aux deux propos de cet ouvrage me semble donc être l'inexorabilité du destin, l'ivresse du hasard qui mène nos vies tel une barque, en proie à la richesse ou à la misère, à la félicité ou au désespoir. Si il y a une chose que Dostoïevski parvient ainsi à exprimer c'est cette ivresse, celle qui lie l'amour et le jeu, celle qui donne les cartes de notre destin au hasard.


Ce roman constitue donc un divertissement plutôt réussi, qui permet d'aborder -trop superficiellement- les thèmes dostoïevskiens mais qui aurait gagné à être plus développé si ce diable de Stellovski ne l'avait contraint.

Nectanobé
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le 5 mars 2016

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