J'ai eu envie, c'était ce matin, d'essayer de poser quelques mots sur quelques symptômes étranges déclenchés à la lecture du Rivage des Syrtes. Ca n'allait pas être évident. J'essaie! En douceur.
Comment expliquer cette chose... Peut-être est-ce parce que j'ai pu constater l'amour profond de Gracq pour Stendhal que j'ai eu devant les yeux exactement les mêmes couleurs, mais je ne crois pas en ce genre de coïncidence, la similitude est là. Jaune, vert, et tout ça parfumé au gris.

Et toujours cette cloison de fumée entre moi et le livre, jamais il ne me laisse le pénétrer en profondeur, ou plutôt, si pénétration il y a, ne passe-t-elle pas par une banale immersion dans les personnages, mais plutôt dans l'odeur générale, elle-même fluctuante... Un long rai de fumée, et une mise à distance qui est profondément bienvenue, qu'on ne croit pas que ce soit une critique. C'est là la magie! J'ai souvent eu l'image d'une immense magicienne (moi) au-dessus d'un globe parcouru par des fumées, et dans ce globe Orsenna, Maremma... Même le "je" du roman, profondément impersonnel, n'est pas une voie d'accès à l'intériorité (par impersonnel je n'entends pas un défaut de caractère mais plutôt... le fait que les choses arrivent par lui sans qu'il n'y puisse, au fond, rien, c'est le destin et l'atmosphère qui font tout).

Et l'écriture, étouffante, surchargée, d'une vieille pièce qui n'a pas fini de vieillir, sert encore le roman. Je veux dire, chez Gracq, ce qu'on appelle habituellement "défauts" prend une signification un peu magique et étrangère. Les phrases s'étendent, à la fois étouffantes et parfaites (oui, c'est beau), et le sublime parfois est touché des paupières, je pense surtout à Vanessa et à sa façon d'exister.
En fait j'avais eu la tentation un peu vaine de comparer Gracq à une habile addition de Stendhal et de Proust, mais ni l'un ni l'autre ne dépassent le réel comme lui le fait, pas au sens d'un "mieux", mais simplement d'un différent, exotique et pourtant proche.

Je m'embrouille joliment! Peut-être serait-il utile de rajouter que l'analyse de la société qui s'effrite, du sursaut vers le danger, de l'attrait des lointains, sont merveilleuses d'intelligence, mais j'ai tendance à négliger l'intelligence brute dans les romans. Alors. Celle-là est bien, mais l'intelligence "malgré-soi" de l'atmosphère est encore plus valable.
Des bisous <3 Il FAUT lire le rivage
Pasiphae
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Lectures hypokhâgneuses

Créée

le 10 juin 2012

Critique lue 3K fois

33 j'aime

4 commentaires

Pasiphae

Écrit par

Critique lue 3K fois

33
4

D'autres avis sur Le Rivage des Syrtes

Le Rivage des Syrtes
Diothyme
8

Retiens l'ennui

Orsenna est la capitale d'un état fictif qui correspondrait à notre Italie, tant par sa géographie que par sa culture. La Cité est en guerre depuis plus de trois cents ans avec le Farghestan qui se...

le 13 févr. 2012

21 j'aime

6

Le Rivage des Syrtes
Nébal
8

Critique de Le Rivage des Syrtes par Nébal

Où l'on relève le niveau. Où l'on fait carrément dans le prestige, même. Et le couillu classieux : pensez donc, un Goncourt refusé ! Mais où l'on ne s'éloigne pas tant que ça de mes préoccupations...

le 30 sept. 2010

15 j'aime

2

Le Rivage des Syrtes
Gambetta
7

Critique de Le Rivage des Syrtes par Gambetta

Comment, dans le cerveau d'un tranquille professeur de géographie angevin, peut germer une œuvre aussi intrigante ? Disons-le tout de suite, l'écriture de Gracq est aussi limpide que la parole de...

le 15 mars 2011

9 j'aime

Du même critique

Le Rayon vert
Pasiphae
9

Delphine elle est jolie

En règle générale, je déteste écrire des critiques etc., mais là, je me suis mordu les doigts en en déchiffrant une pertinente, intelligente, joliment tournée, et puis ça m'a fait mal dans les dents...

le 29 févr. 2012

28 j'aime

13

Esther Kahn
Pasiphae
10

un très beau film

Je laisse grandir depuis quelques jours ou quelques mois quelques mots à propos de ce film, alors aucune envie d'en écrire "une critique" ni même d'expliquer pourquoi, ce n'est pas dans mes...

le 12 avr. 2013

22 j'aime

4

quel but ai-je servi dans ta vie
Pasiphae
10

Critique de quel but ai-je servi dans ta vie par Pasiphae

En lisant quel but ai-je servi dans ta vie, j'ai pensé à Philippe Bootz. Aujourd'hui, je suis doctorante, et il se trouve que mon champ d'étude m'amène à côtoyer des œuvres dites de "littérature...

le 11 nov. 2019

16 j'aime

4