Bonjour à tous,


Me voilà devant vous, avec ce livre ! Pourquoi ? Et bien, ce livre est trop méconnu ! Ce livre mériterait d' être connu, par tous !


Mais pourquoi nous dis-tu de lire un livre critiquant ce qui nous est le plus cher ? A savoir notre matériel, notre confort ! Justement ! Si ta révolte devient une habituelle révolte, alors marche, crève, danse, jouis ! Fous en l' air tes pantoufles ! Mange debout ! Assois toi sur des tonnes de convenances ! Aime enfin les hommes, et les bêtes !


Plus sérieusement, jeunes gens ! Pasolini ! Issu de la gauche culturelle, Il deviendra pourtant l' un des plus grands penseurs de la société de consommation !


Rassemblant des textes tardifs, écrits d’une plume à la fois pleine de gravité, juste avant sa mort, dont il analyse avec une intuition incroyable la source (il est assassiné par le milieu social et culturel dont il ne cesse de s’inquiéter dans ces écrits même, de manière obsédante, avec une attention précise aux faits divers sordides, dont il sera bientôt un protagoniste), Pier Paolo Pasolini montre dans « les lettres luthériennes » toute sa fureur solitaire, sa détermination à penser, penser, penser, contre son confort, contre l’air du temps, contre sa famille de pensée (le progressisme), contre lui-même (il va jusqu’à abjurer les films qu’il a créés il y a peu), contre les pouvoirs : celui déclinant d’une Démocratie chrétienne dominante dont il prévoit la disparition dans le berlusconisme dont il ne connaît pas le nom mais qu’il dessine précisément, contre le pouvoir de l’argent, qu’il qualifie déjà, en 1975, de « transnational » (ce que les économistes critiques ne feront que dans les années 90).


« Les lettres luthériennes » sont un prolongement de ses « écrits corsaires » parus précédemment, qui voient Pasolini se jeter de toutes ses forces dans la bataille polémique, essayant d’expliquer aux progressistes que le progrès, c’est à dire le développement capitaliste fondé sur l’élargissement de la consommation est en train de les piéger, en refermant tout horizon de substitution au règne marchand.


Conscient qu’il est d’une gigantesque révolution en cours, pendant qu’elle se produit, il lutte avec sa plume, et nous livre des textes d’une étrange essence, d’un genre inédit, qui ne ressemblent à rien d’autre, mêlant gravité et dérision, y compris l’auto dérision de sa lucidité impuissante. Un mélange inédit de prose poétique, de familiarité, de pamphlet utilisant l’anecdote et de fulgurance poétique, tout cela intégrant des pans de marxisme parfois très orthodoxe. Pasolini est désespéré et lutte, car il sait et l’exprime très poétiquement, avec son propre cas, que ce sont les choses qui éduquent, plus que les opinions et sermons. La télévision en particulier, offre des modèles sans besoin de discours. Ces modèles s’imposent, en façonnant les personnalités. Il y a tout Bourdieu chez Pasolini.


La révolution arrive d’outre atlantique, où elle a démarré après-guerre, elle débarque en Italie, sans transition (c’est cette absence de transition qui l’inquiète car rien ne permet d’amortir la violence de cette révolution) : la société de consommation qui unifie culturellement l’Italie, et en élimine les cultures particulières et d’abord la culture populaire en tant qu’autonomie dans la société. C’est une société de petit bourgeois qui s’impose. Mais de petits bourgeois souvent sans moyens, donc de frustrés, donc de brutes. Ce sont ces brutes matérialistes, privées de leurs repères culturels, c’est à dire de leur décence commune (Pasolini est le fils caché d’Orwell, indéniablement. Il ne le cite jamais, pourtant. Comme il l’est de l’Ecole de Francfort, qu’il ne cite pas non plus. Il pense son Italie, charnellement, seul face à elle, avec l’aide de Marx). Ce sont ces petites brutes qui le tueront bientôt sur la plage. Il les connaît, il aime à vivre parmi eux, il aime à trainer dans les quartiers ouvriers et lumpénisés de Rome, où il voit un peuple italien se transformer à grande vitesse, bouleversé par les valeurs de la consommation qui détruisent toute autre valeur. Pasolini voit le monde de Houellebecq et de Bret Easton Ellis se mettre en place, mais il est particulièrement inquiet pour l’Italie, car celle-ci passe directement d’un monde pré industriel à la société de l’hypermarché, sans qu’une nouvelle culture puisse s’interposer.


Pourquoi Luther ? Il ne le dit pas, mais on peut penser que Luther a été l’annonciateur d’un virage anthropologique. Celui de l’apparition de l’individu. Et Pasolini, dans les années soixante, est le cri d’alerte d’un autre virage, celui qui passe du capitalisme industriel, celui des marchands de canon, à celui des frigidaires. Le pouvoir n’a plus tellement besoin de tirer sur la contre société, puisqu’il l’a ralliée, avec la promesse de la marchandise et du confort, tout en annihilant sa capacité d’organisation, de solidarité, de création d’une alternative sociale. Tout cela sera confirmé par les faits. Pasolini a eu raison. Il sait qu’il aura raison, et il en est furieux. A ce moment là, il essaie encore de trouver un espoir en se raccrochant à un changement du Parti communiste italien, grâce à ses jeunesses. Un espoir qui sera douché, puisque précisément ce sont ces communistes là, les italiens, qui iront le plus loin et le plus vite dans le ralliement aux valeurs « démocratiques » de la société de marché. Quand il seront mûrs, vieillis, et qu’ils seront au pouvoir en Italie.


La colère de Pasolini se dresse contre la Démocratie Chrétienne, faussement chrétienne à son sens, ne gardant du catholicisme que l’hypocrisie, dont il voit la mort arriver, car le monde catholique s’effondre, qui a laissé cette révolution marchande déferler sur l’italie, l’enlaidir (sur le plan urbain en particulier). L’Eglise est réduite, comme dans « le Parrain » de Coppola quelque temps plus tard, à une machine financière. Il n’aura pas l’occasion de voir les horreurs de la télé berlusconienne mais il la pressent. Il sait déjà que c’est l’ennemi. Il propose, de manière provocatrice, l’abolition de la télévision. Mais aussi… de l’école, dans la mesure où il la voit tout à fait incapable de s’opposer à ces lames de fond, et donc productrice de rancœur et de conformisme. Qui lui donnerait tort aujourd’hui, à ce grand scandaleux ? Pasolini était très lucide sur la déliquescence maffieuse de la politique italienne, sur les liens entre le pouvoir italien et la CIA. L’Italie, située sur un nœud géopolitique de la guerre froide, et dotée d’un grand Parti communiste, était un enjeu extrêmement sensible pour les deux blocs. Pasolini savait que le remplacement du fascisme par une démocratie chrétienne ne changeait pas grand chose aux rapports sociaux dans son pays. Mais il a aussi su sortir de cette analyse et voir tout de suite en quoi les transformations économiques allaient modifier son pays, jusqu’à produire une « humanité nouvelle ». Il en a été l’annonciateur isolé, hurlant. L’hédonisme s’est installé. Et oui, il menace le monde, la planète, et Pasolini le dit dès les années soixante.


Mais c’est d’abord la jeunesse qui préoccupe Pier Paolo Pasolini. Et les lettres luthériennes commencent comme une lettre de Sénèque à Lucilius : en l’occurrence un jeune qu’il imagine, nommé Genariello. Comme une leçon philosophique à un jeune crée de toutes pièces. Il est dur et sévère avec cette jeunesse qu’il ne voit pas réagir, qu’il voit devenir vulgaire au contact de la marchandise. De sa rage, ils les qualifient de « monstres ». Il n’aura pas ménagé les électrochocs. Il voit cette jeunesse, ne pas profiter de la libération sexuelle, mais en ressortir névrosée. Il pressent l’expansion de la drogue, qu’il définit comme « un ersatz de la culture« . Le grand vide de civilisation cherche à se combler. La drogue y pourvoira.


Il y a cette idée, très contemporaine, aussi, chez Pasolini : la pauvreté n’est pas la pire des choses. C’est la misère culturelle qui lui donne toute sa laideur. En ce sens, lire Pasolini aujourd’hui est stupéfiant, tant ce qu’il décrit est encore pertinent pour comprendre nos maux, pour saisir la défaite populaire. Pour comprendre aussi, pourquoi le jihad est un absolu, comme la drogue, de substitution au vide :


» La culture des classes subalternes n’existe (presque) plus : seule existe l’économie des classes subalternes. J’ai répété une infinité de fois, dans ces maudits articles, que le malheur atroce, ou l’agressivité criminelle, des jeunes prolétaires et sous-prolétaires, provient précisément du déséquilibre entre culture et condition économique. Il provient de l’impossibilité de réaliser (sinon par mimétisme) des modèles culturels bourgeois, à cause de la pauvreté qui demeure, déguisée en une amélioration illusoire du niveau de vie« .


C’est terrible, d’avoir raison...


" Il est vrai que les puissants ont été dépassés par la réalité, avec leur pouvoir clérical-fasciste qui leur colle à la peau comme un masque ridicule ; mais les représentants de l'opposition ont été dépassés eux aussi par la réalité, avec sur leur peau, comme un masque ridicule, leur progressisme et leur tolérance.
Une nouvelle forme de pouvoir économique a réalisé à travers le développement une sorte fictive de progrès et de tolérance. Les jeunes qui sont nés et se sont formés pendant cette époque de faux progressisme et de fausse tolérance sont en train de payer de la manière la plus atroce cette falsification (le cynisme du nouveau pouvoir qui a tout détruit). Les voici autour de moi, une ironie idiote dans le regard, un air bêtement rassasié de tout, des attitudes de voyous offensifs et aphasiques - lorsqu'il ne s'agit pas d'une douleur et d'une appréhension, presque, de jeunes filles de pensionnat - avec lesquels ils vivent la réelle intolérance de ces années de tolérance.


Chez les jeunes, le conformisme des adultes est déjà mûr, féroce, complet. Ils savent d'une manière très subtile comment faire souffrir les jeunes du même âge, et ils le font bien mieux que les adultes, parce que leur volonté de faire souffrir est gratuite : c'est une violence à l'état pur. Leur découverte de cette volonté est la découverte d'un droit. Leur pression pédagogique sur toi ne connaît ni la persuasion, ni la compréhension, ni aucune forme de pitié ou d'humanité. C'est seulement au moment où tes camarades deviennent tes amis qu'ils découvrent sans doute la persuasion, la compréhension, la pitié, l'humanité ; mais les amis ne sont tout au plus que quatre ou cinq. Les autres sont des loups et ils t'utilisent comme un cobaye servant à exprimer leur violence, et vis-à-vis duquel ils peuvent vérifier la validité de leur conformisme. "


Ces lettres sont, avec l'Italie comme exemple typique, une longue tirade contre le conformisme et la société de consommation, et, en fin de compte, contre la race humaine.


L'Italie et les Italiens
Pour P.P. Pasolini, l'histoire de l'Italie au 20ème siècle est une série de fascismes: le fascisme pur, un régime clérical-fasciste faussement démocratique et le nouveau fascisme totalitaire de la société de consommation avec sa conception hédoniste de la vie; pour l'auteur, un véritable génocide culturel.
Entre-temps, l'auteur reconnaît que l'Italie pauvre et clérical-fasciste est devenue un pays misérablement opulente et sottement laïque'. En même temps, les Italiens manifestent un désiranxieux, trouble et invincible (!) de se conformer, à être des parfaits représentants de la société de consommation.'.


Le devoir des intellectuels
Pour l'auteur, un intellectuel doit démasquer tous les mensonges de la presse et de la télévision, qui inondent et étouffent toute pensée indépendante. Il doit dénoncer l'école comme étant un ensemble organisationnel et culturel qui gâche complètement l'éducation des jeunes et les tourne enpauvres sots'.
P.P. oppose la sacralité des sentiments (honneur, confiance, amitié, homo-éros, virilité, dignité) au laïcisme de la société hédoniste. Ses vraies valeurs sont Dieu et la famille (sic), mais pas la version aliénée des prêtres et des moralistes.


Déception
Son' prolétariat est devenu bourgeois :des millions et des millions de paysans et d'ouvriers ont été atteints par la civilisation bourgeoise. Leur nature a été anéantie (!) par la volonté des producteurs de marchandises. `Sa' gauche s'est alors tournée vers le sous-prolétariat (les sans-travail). Mais eux aussi ont été infectés par le virus hédoniste.


La question cruciale
L'auteur pose la question cruciale: Que sont les hommes existentiellement?' Et, il donne en plus lui-même la réponse:La foule plébéienne est devenue une foule bourgeoise, qui est consciente de l'être, qui veut l'être.'(!)


Daté
Les considérations politiques de l'auteur sont datées. Il lance ses flèches surtout contre la Démocratie Chrétienne, mais celle-ci a disparu de la terre. Les intérêts anticommunistes mondiaux n'en avaient plus besoin âpres la chute du Mur de Berlin.


Ce livre dévoile clairement les obsessions politiques, sociales et culturelles de P. P. Pasolini. Et, c' est une bouffée d' air frais pour nous tous !


Sur ce, portez vous bien ! Lisez jusqu' à satiété ! La lecture nous enrichit tous, contrairement à la finance ! Tcho. " Vous n' êtes pas des esclaves, vous n' êtes pas du bétail, vous êtes libre ! Au nom de la liberté, unissons-nous tous ! " Comme le disait Chaplin. @+.

ClementLeroy
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 10 Livres et Pasolini, Pasolini.... ( Qui ne le connaît pas encore ? )

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le 31 mars 2017

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San  Bardamu

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