Jean Ray publia Malpertuis en 1943, en pleine Guerre Mondiale. A l’époque, le fantastique était un genre très prisé, car il permettait de se divertir avec des peurs imaginaires et ainsi s’évader de la réelle terreur que faisait planer la guerre. Pour cette même raison, les frontières avec la France étant refermées, en Belgique l’attention s’est reportée sur les écrivains Belges. D’où le succès de Jean Ray, aujourd’hui salué comme l’un des représentants du fantastique.

Dans la sombre maison de maître, l’oncle Cassave est sur le point de mourir, laissant derrière lui une fortune titanesque. Aussi convoque-t-il tous ses proches autour de son lit de mort : s’ils veulent la totalité de l’héritage, il leur faudra habiter dans la sordide demeure ; au dernier survivant reviendra la richesse. Cette dernière phrase en dit déjà long sur les risques encourus, pourtant elle ne relève qu’un coin du drap qui recouvre les innombrables secrets de Malpertuis. Dans cette maison, « aucune porte n’est fermée, aucune porte ne résiste, mais chaque pas est entouré de mystères », affirme Jean-Jacques Grandsire, acteur au cœur de l’intrigue – quoiqu’il subisse plus qu’il n’agit. Ainsi, à peine l’instigateur est-il mort que les énigmes et autres bizarreries se succèdent sans presque de temps mort.

Les descriptions prennent forme au fur et à mesure qu’elles sont abandonnées à l’imaginaire du lecteur. Les créatures monstrueuses se matérialisent à travers les lignes ; Malpertuis se bâtit sur ces mots qui lui servent de fondations autant qu’ils lui insufflent la vie – une vie que l’on se surprend à haïr.

Les narrateurs sont au nombre de quatre, apportant chacun son point de vue et ses connaissances.
A côté, on retrouve une myriade de personnages, qui semblent tous couver d’ineffables secrets. Et quand ceux-ci sont découverts, on se rend compte que les indices ne manquaient pas (ni en nombre, ni en subtilité) pour nous le faire comprendre.

Pour ne rien arranger à l’instabilité de cet écrit fantastique – mais comment ne pas apprécier de s’y perdre, et ainsi le découvrir dans son entièreté ? – les repères spatio-temporels ne sont jamais sûrs. La maison labyrinthique les brouille inéluctablement.

La loi engendre la faute, la faute engendre la mort : c’est de cette façon que raisonne Jean Ray dans cette œuvre, comme ça que l’histoire existe. Sans cette loi divine, Malpertuis ne serait pas ce qu’il est. A propos de loi divine, Jean Ray s’est ici servi abondamment du thème des dieux, qui accompagne le lecteur tout au long du texte. Mais comme il le répète souvent de façon déviée, certaines choses sont indicibles ; c’est le cas des thèmes, car ils font tellement partie intégrante du texte que, révélés plus avant, ils feraient perdre tout son sel à l’excellent livre.

Comme le dit John Ballister, la demeure nous hante, ses créatures avec ; « Tu quitteras Malpertuis, mais Malpertuis te suivra dans la vie. » Il n’existe qu’un moyen de vous en assurer...
Jeolen
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le 17 mai 2013

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