Nord
8.2
Nord

livre de Louis-Ferdinand Céline (1960)

Le roman célinien de l'absurde.....

Bonjour à tous,

Je vous le dis " Il n' y en a plus qu' en Normandie ". Mince. Pardon. Brassens revient à moi. Non. S' il ne devait en rester qu' un.... C' est le moment où, on se dit : " Tiens, que peut faire de plus, le bonhomme ? ". On le connaît, à force.... On embarque. Et, on est pris dedans.... C' est parti pour un diner très Rabelaisien.....

Paru en 1960, "Nord" est l'ultime roman publié du vivant de Céline, qui deavit s'éteindre en 1961. C'est le secont volume de la trilogie allemande commencée avec "D'un château l'autre" et qui se termine par "Rigodon", un roman posthume. Chronologiquement, les événements évoqués dans "Nord" sont antérieurs à ceux " D'un château l'autre".
Tout commence à Baden-Baden en 1944 où Céline a trouvé refuge avec sa femme Lucette (Lili), avec son chat Bébert ainsi qu'avec son ami comédien, La Vigue. Le pays est bombardé du Nord au Sud par les bombardements alliés. Ils seront cependant obligés de quitter la ville d'eaux dans laquelle ils ont fait la connaissance d'un personnage assez loufoque, Mme von Seckt. Ils prennnent alors le train et se rendent dans la capitale, Berlin. La ville est délabrée, il n'en reste pour ainsi dire rien. Là-bas, Céline retrouve un ancien collègue médecin, Harras, devenu entretemps S.S. et qui va assurer la protection du petit groupe de réfugiés français, au nom de leur ancienne amitié. Harras les enverra alors à Zornhof, au nord-ouest de Berlin, dans un service administratif du ministère de la santé du Reich. A Zornhof, Céline et ses accolytes vont faire la connaissance de personnages, tous plus délirants les uns que les autres : une aristocratie prussienne qui n'est plus que l'ombre de ce qu'elle a été, des villageois méfiants, toujours sur le qui-vive, des personnages truculents....
Dans ce roman, Céline nous raconte donc ses tribulations dans une Allemagne au bord de l'agonie. Les bombes pleuvent, le sol tremble, le pays est en ruine. Les conditions matérielles sont évidemment des plus difficiles : on dort à même la paille ou dans des hôtels en ruine, on doit se débrouiller et parfois chaparder pour manger un bout,....
Dans "Nord", les temps morts sont plus rares que dans "D'un château l'autre" et s'il y en a, Céline les comble au moyen de quelques digressions ou de son humour si particulier.
Ainsi ce passage : " Evidemment même abrégeant au possible, je vous ai demandé beaucoup... lecteur patient, certes, presque attentif, ami ou ennemi, vous approchez de la millième page, vous n'en pouvez plus... butant, ma faute !... de-ci, de-là, d'un mot... un autre... au trop long cours de ce pensum... vous fûtes arrêté par un "merde"... oh,oh mais que vous fûtes satisfaits!...pristi!....
Et l'on ne peut être que satisfait à la lecture de ce roman une fois de plus si dense et truculent !

Nord, c'est l'histoire très romancée de Céline fuyant à travers l'Allemagne, accompagné par sa femme Lili, leur chat Bébert, et le fameux acteur Le Vigan. Tour à tour logeant dans un hôtel en ruines, puis hébergés par un médecin militaire hystérique, puis par une famille de la vieille aristocratie allemande (contresens, oui, je sais), Céline retrace son parcours soulignant partout l'absurdité et la cruauté des hommes....

De Gaulle est revenu au pouvoir depuis un an, c’est l’époque du franc lourd. Sur les hauteurs de Meudon, le docteur Destouches, qui vient d’avoir soixante-cinq ans, et n’a plus que trois ans à vivre, travaille fébrilement à la rédaction de son équipée allemande de 1944-1945, poussé par le besoin d’argent. « Foutue damnée honte de finir laborieux !... »

Après avoir raconté son passage par Sigmaringen (D’un château l’autre), Céline revient dans Nord sur les étapes précédentes, qui l’avaient dans un premier temps conduit de Baden-Baden à Berlin (« Berlin ? qu’une bouillie de ruines »), puis dans un village du Brandebourg, à une centaine de kilomètres au nord de la capitale du Reich.

Pour avoir effectué un long séjour linguistique outre-Rhin quand il était adolescent, l’auteur du Voyage au bout de la nuit ne se débrouille pas trop mal en allemand. À force de ruse et d’astuce, il parvient vaille que vaille à tirer son épingle du jeu, dans un contexte mortellement dangereux où circulent des rumeurs incontrôlables et où chacun se méfie de tout le monde.

À travers une Bochie (sic) en pleine débine, et au gré d’improbables rencontres (témoins de Jéhovah, Roms…), le petit cercle de « hâves penailleux » qu’il forme avec Lili (Lucette), l’acteur Robert Le Vigan et le chat Bébert (« le greffe ») progresse sous les bombes des « forteresses volantes », tenaillés qu’ils sont par une obsession quotidienne : la recherche de nourriture. Et dormant le plus souvent sur de la paille.

Rien de linéaire dans la narration, véritable work in progress que nous suivons comme par-dessus l’épaule du chroniqueur, qui ne manque pas de s’adresser directement à nous (« Là je vous distrais, je m’amuse »), jonglant avec les époques. Tout y passe : les démêlés avec Gaston Gallimard (Achille, dans le livre), un souvenir de la grande guerre, la noyade d’un infirme dans une fosse à purin, une partouze dans un château à l’abandon, un projet de BD avec Roger Nimier (lui, il est bien vu !), un enterrement, etc., etc.

Cocasse, truculent, burlesque, culotté, inventif en diable, et poète, Céline le professe : « Anarchiste suis, été, demeure, et me fous bien des opinions !... ».

Aussi bon qu'un " voyage ", il virvolte dans les catacombes de la guerre et les mesquineries humaines diverses et avariées !

Plus sombre que "D'un château l'autre", on ressent bien dans "Nord", au début roman, l'ambiance lourde, grise, froide de Berlin en ruine, anéanti sous les bombes. On a vraiment l'impression passé 50 pages de se retrouver dans cette ville, au milieu des décombres, dans une grisaille épaisse où résonnent les sirènes, au milieu des lueurs roses et jaunes que projettent ici et là les flammes ; Berlin, décor où ne tiennent plus que des façades, ou encore quelques rares morceaux d'immeubles ravagés ; où les rues n'existent plus, où l'on ne croise plus que des gens en fuite, ou de pauvres loqueteux, tachant de déblayer un peu et de réunir en tas propres ce qui a été détruit. Et puis plus loin, lorsque Céline, Lili, La Vigue et Bébert arrivent à Zornhof, là on observe vraiment comment fonctionne et vit un petit hameau au milieu duquel sont entretenues les haines vis-à-vis des uns et des autres, entre résistants, prisonniers, réfugiés, collabos, anti ou pro-nazi, anti-français, anti-allemands, russes... la tension est permanente, la suspicion règne, la paranoïa est omniprésente, mène à l'épuisement, à la folie, aux questionnements incessants, aux méfiances... et puis la faim ! c'est à qui mangera le plus et le mieux, qui saura le mieux se débrouiller pour survivre et trouver à manger au milieu des haines et des ressentiments. Il y a aussi des moments de partage, certes un peu forcés, histoire d'éviter les conflits, les dénonciations, mais tout de même, de ces moments de savoir-vivre, d'indulgence, de générosité, qui permettent de maintenir un peu d'ordre et de dignité. Et alors que la fin est proche et que tout s'écroule, l'homme aussi ne cesse jamais d'espérer, ou de faire comme si rien n'était, comme si tout allait s'arranger... "Nord" est vraiment un roman de l'apocalypse, bardé de réflexions puissantes et de visions cauchemardesques. Du Céline tout de même moins fiévreux et à fleur de peau que dans les premières oeuvres. C'est ici le médecin vieux, fatigué, discret et dévoué qui est au premier plan.

Celine est un écrivain aimé ou détesté, je ne crois pas qu'il puisse y avoir d'entre deux. Dans ce livre, on sent l'auteur lassé de tant de petitesse, de mesquinerie et de lâcheté. Il a fui la France parce que "collabo" et se retrouve dans des endroits qu'anime seul le bruit lointain des bombes. Il n'est pas au coeur de l'action, il est dans un no-man's land de tout : pas d'événements particuliers, pas de danger réel, pas de violence affichée. Mais pour autant sa situation, et celle de sa femme et de l'acteur Le Vigan et même du chat Bébert est insupportable : la suspicion, la crainte, la faim, la démence sourde percent à chaque ligne dans une épopée faite de petites choses qui n'en finissent pas de se rapetisser. Il en est ainsi du traitre, haï par ses concitoyens et détesté de ceux pour qui il a trahi.
L'écriture est magnifique et nous suspend aux points de suspension d'une aventure qui n'en est pas une.

Ce roman est postérieure au grand retour de celine dans "d'un chateau, l'autre". Mais son histoire est antérieure à celle de Sigmaringen.

Céline nous y narre sa fuite éperdue en allemagne nazie alors que les alliés se rapprochent.
Un voyage épique de baden baden à Krantzlin (100 km au nord de Berlin), en passant par Berlin et Felixrhue.

Ce livre est notamment un fabuleux temoignage de l'ambiance malsaine, l'espionnage, les secrets, les vices, et la délation des habitants du village de Krantzlin où un ami medecin allemand (hauboldt) l'a placé.

Un magnifique temoignage de la petitesse humaine, face à un céline désabusé lassé, mais qui garde un instinct de survie impressionant.

Il faut souigner que Céline est beaucoup moins méchants dans ce livre que dans ces premiers romans.

A noter aussi une passionante description du Berlin en ruine où l'on se regale de savoureux détails comme celui sur les vieux bénévoles consciencieux qui amassent et trient les tas de gravats devant les immeubles detruits. Ou bien encore le seul magasin intact dans Berlin : une sorte de "supermarché de la béquille". Savoureux.

On y ressent très bien la peur, la proximité de la mort, et le harcelement constant des bombardements alliés.

Comme si on y était, mais sans prendre de risques :-)

n'hésitez pas ! Achetez !

Lisez ce brave Céline. Quel génie ! Quelle verve grandiose.... Que c' est exaltant, et vivifiant, en comparaison, des médiocres actuels, qui nous narrent leurs machins, et leurs histoires, dont on se contrefout royalement ! Magnifique livre.... en 1944, comme si on y était.... Lisez, lisez. Cela fait respirer notre aimable cervelle de moineau visqueux, et crotté. Gloire à ce grand coquin de Céline, qui est un incompris, parmi tant d' autres.... Bonne lecture !! Tcho. @ +.
ClementLeroy
10
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Créée

le 9 mars 2015

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1 j'aime

San  Bardamu

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