Bonjour à tous,


Me voilà devant vous, avec ce livre, que tout un chacun devrait avoir lu ! Pourquoi ? Et bien, c' est très simple. Laissez moi vous expliquer.


Mener la bataille des idées pour soustraire les classes populaires à l’idéologie dominante afin de conquérir le pouvoir… Fréquemment citées, mais rarement lues et bien souvent galvaudées, les analyses qu’Antonio Gramsci développe alors qu’il est incarcéré dans les geôles fascistes au début des années 1930 connaissent une remarquable résurgence. De l’Europe à l’Inde en passant par l’Amérique latine, ses écrits circulent et fertilisent les pensées critiques.


Pourquoi me direz-vous ? Qui peut bien petre ce bonhomme là ? J' y viens, jeunes impatients ! Je l' ai découvert grâce à Pasolini, qui consacre un recueil de poésie intitulé " Les cendres de Gramsci ". Ma curiosité n' a fait qu' un tour ! J' ai absolument voulu savoir qui était cet illustre inconnu.


Rédigée quelques années après le reflux de ce processus révolutionnaire, cette œuvre politique majeure du XXe siècle livre une profonde méditation sur l’échec des révolutions en Europe, et sur la façon de surmonter la défaite du mouvement ouvrier des années 1920 et 1930. Trois quarts de siècle après la mort de Gramsci, elle continue de parler à tous ceux qui n’ont pas renoncé à trouver les voies d’un autre monde possible.


Etrangement, elle parle aussi à ceux qui s’acharnent à empêcher que cet autre monde advienne. « Au fond, j’ai fait mienne l’analyse de Gramsci : le pouvoir se gagne par les idées. C’est la première fois qu’un homme de droite assume cette bataille-là », déclarait ainsi M. Nicolas Sarkozy quelques jours avant le premier tour de l’élection présidentielle de 2007.... Pas mal l' énergumène non ?


S’il est un concept qui revient de plus en plus fréquemment dans les discours progressistes, c’est bien celui d’hégémonie culturelle qu’a développé le philosophe marxiste italien Antonio Gramsci (1891-1937). Mais que recouvre-t-il et quelle stratégie contient-il ?


UN THÉORICIEN EMPRISONNE


Membre fondateur du Parti Communiste italien dont il sera Secrétaire général, intellectuel actif, journaliste et créateur du journal l’Unità, Antonio Gramsci est député lorsque, en 1926, il est arrêté par les fascistes et condamné pour conspiration deux ans plus tard. Le procureur mussolinien terminera son réquisitoire par ces paroles : « Nous devons empêcher ce cerveau de fonctionner ». Ruse de l’histoire, c’est durant cette longue incarcération que le socialiste révolutionnaire formera sa pensée, devenant l’un des plus originaux théoriciens du marxisme. Elle se déclinera dans une œuvre fleuve, près de 3000 pages de carnets, sortie clandestinement d’Italie et finalement éditée sous le nom de « Cahiers de prison ». Ceux-ci constituent une réflexion profonde et visionnaire de l’histoire italienne, du marxisme, de l’éducation (et notamment l’éducation des travailleurs issus de l’industrialisation), de la société civile ou encore de l’hégémonie culturelle. Un fil conducteur les traverse : la culture est « organiquement » liée au pouvoir dominant.


Mais, revenons aux textes qui nous intéressent, aujourd' hui !


" Il ne peut exister seulement des hommes, des étrangers à la cité. Celui qui vit vraiment ne peut qu’être citoyen, et prendre parti. L’indifférence c’est l’aboulie, le parasitisme, la lâcheté, ce n’est pas la vie. C’est pourquoi je hais les indifférents. " écrit Gramsci ! Pas mal non ?


" L’indifférence est le poids mort de l’histoire. C’est le boulet de plomb pour le novateur, c’est la matière inerte où se noient souvent les enthousiasmes les plus resplendissants, c’est l’étang qui entoure la vieille ville et la défend mieux que les murs les plus solides, mieux que les poitrines de ses guerriers, parce qu’elle engloutit dans ses remous limoneux les assaillants, les décime et les décourage et quelquefois les fait renoncer à l’entreprise héroïque.


L’indifférence œuvre puissamment dans l’histoire. Elle œuvre passivement, mais elle œuvre. Elle est la fatalité; elle est ce sur quoi on ne peut pas compter; elle est ce qui bouleverse les programmes, ce qui renverse les plans les mieux établis; elle est la matière brute, rebelle à l’intelligence qu’elle étouffe. Ce qui se produit, le mal qui s’abat sur tous, le possible bien qu’un acte héroïque (de valeur universelle) peut faire naître, n’est pas tant dû à l’initiative de quelques uns qui œuvrent, qu’à l’indifférence, l’absentéisme de beaucoup. Ce qui se produit, ne se produit pas tant parce que quelques uns veulent que cela se produise, mais parce que la masse des hommes abdique devant sa volonté, laisse faire, laisse s’accumuler les nœuds que seule l’épée pourra trancher, laisse promulguer des lois que seule la révolte fera abroger, laisse accéder au pouvoir des hommes que seule une mutinerie pourra renverser. La fatalité qui semble dominer l’histoire n’est pas autre chose justement que l’apparence illusoire de cette indifférence, de cet absentéisme. Des faits mûrissent dans l’ombre, quelques mains, qu’aucun contrôle ne surveille, tissent la toile de la vie collective, et la masse ignore, parce qu’elle ne s’en soucie pas. Les destins d’une époque sont manipulés selon des visions étriquées, des buts immédiats, des ambitions et des passions personnelles de petits groupes actifs, et la masse des hommes ignore, parce qu’elle ne s’en soucie pas. Mais les faits qui ont mûri débouchent sur quelque chose; mais la toile tissée dans l’ombre arrive à son accomplissement: et alors il semble que ce soit la fatalité qui emporte tous et tout sur son passage, il semble que l’histoire ne soit rien d’autre qu’un énorme phénomène naturel, une éruption, un tremblement de terre dont nous tous serions les victimes, celui qui l’a voulu et celui qui ne l’a pas voulu, celui qui savait et celui qui ne le savait pas, qui avait agi et celui qui était indifférent. Et ce dernier se met en colère, il voudrait se soustraire aux conséquences, il voudrait qu’il apparaisse clairement qu’il n’a pas voulu lui, qu’il n’est pas responsable. Certains pleurnichent pitoyablement, d’autres jurent avec obscénité, mais personne ou presque ne se demande: et si j’avais fait moi aussi mon devoir, si j’avais essayé de faire valoir ma volonté, mon conseil, serait-il arrivé ce qui est arrivé? Mais personne ou presque ne se sent coupable de son indifférence, de son scepticisme, de ne pas avoir donné ses bras et son activité à ces groupes de citoyens qui, précisément pour éviter un tel mal, combattaient, et se proposaient de procurer un tel bien.


La plupart d’entre eux, au contraire, devant les faits accomplis, préfèrent parler d’idéaux qui s’effondrent, de programmes qui s’écroulent définitivement et autres plaisanteries du même genre. Ils recommencent ainsi à s’absenter de toute responsabilité. Non bien sûr qu’ils ne voient pas clairement les choses, et qu’ils ne soient pas quelquefois capables de présenter de très belles solutions aux problèmes les plus urgents, y compris ceux qui requièrent une vaste préparation et du temps. Mais pour être très belles, ces solutions demeurent tout aussi infécondes, et cette contribution à la vie collective n’est animée d’aucune lueur morale; il est le produit d’une curiosité intellectuelle, non d’un sens aigu d’une responsabilité historique qui veut l’activité de tous dans la vie, qui n’admet aucune forme d’agnosticisme et aucune forme d’indifférence.


Je hais les indifférents aussi parce que leurs pleurnicheries d’éternels innocents me fatiguent. Je demande à chacun d’eux de rendre compte de la façon dont il a rempli le devoir que la vie lui a donné et lui donne chaque jour, de ce qu’il a fait et spécialement de ce qu’il n’a pas fait. Et je sens que je peux être inexorable, que je n’ai pas à gaspiller ma pitié, que je n’ai pas à partager mes larmes. Je suis partisan, je vis, je sens dans les consciences viriles de mon bord battre déjà l’activité de la cité future que mon bord est en train de construire. Et en elle la chaîne sociale ne pèse pas sur quelques uns, en elle chaque chose qui se produit n’est pas due au hasard, à la fatalité, mais elle est l’œuvre intelligente des citoyens. Il n’y a en elle personne pour rester à la fenêtre à regarder alors que quelques uns se sacrifient, disparaissent dans le sacrifice; et celui qui reste à la fenêtre, à guetter, veut profiter du peu de bien que procure l’activité de peu de gens et passe sa déception en s’en prenant à celui qui s’est sacrifié, à celui qui a disparu parce qu’il n’a pas réussi ce qu’il s’était donné pour but.
Je vis, je suis partisan. C’est pourquoi je hais qui ne prend pas parti. Je hais les indifférents. "


ça vous a plu ? Alors lisez le, braves gens ! Point de leçon de socialisme, point de credo révolutionnaire, point de méthode de prise de pouvoir ni de dictature du prolétariat ! Non. Des textes qui parlent de l’amour des hommes et le cœur de Gramsci se confond magnifiquement avec son intelligence. Gramsci aime le genre humain, authentiquement, pas comme « masse » de manœuvre. Il aime les hommes, les femmes du peuple un par un, dans leurs qualités personnelles, leur dévouement, leur labeur, leur humilité. Il aime la morale individuelle, la capacité des humbles à s’entraider, à se soutenir dans la misère, malgré la misère.


L’empathie de Gramsci pour le genre humain prend même parfois des accents pour le moins surprenants venant d’un texte rédigé en 1917, en pleine révolution russe, de la part d’un homme qui sera quelques années plus tard le chef du Parti Communiste Italien. Lisez plutôt :


« Une civilisation nouvelle tire son nom de cet homme. La civilisation nouvelle était une nécessité historique, elle était potentiellement contenue dans la civilisation précédente, mais cet homme a trouvé, il a su exprimer par des mots immortels cette nécessité, il a permis la diffusion de la conscience de cette nécessité et ce faisant il a aidé sa naissance et sa diffusion. Il a lancé dans le monde gréco-romain une idée force : la différence de sang, la différence de race n’est pas source d’inégalité parmi les hommes (…) »


Gramsci, vous l’avez compris, ne fait pas là allusion à Marx ou à Lénine. Il parle de Jésus-Christ en l’inscrivant une fois pour toutes dans la lignée du progrès historique !! Gramsci, socialiste, communiste, et néanmoins chrétien – au moins par sa reconnaissance du Christ.


Cette originalité sans équivalent est probablement à la fois une spécificité gramscienne, sa place unique dans l’histoire de la pensée socialiste, mais c’est aussi une des raisons de la haine farouche qu’Antonio Gramsci a suscitée de son temps de la part de la droite italienne. Avec Gramsci, les fascistes mussoliniens n’avaient pas seulement en face d’eux un idéologue socialiste brillant, ils avaient aussi un homme qui s’inscrivait dans un cadre de référence partagé par le citoyen italien, la culture chrétienne.


La haine de Gramsci est restée fixée pour la postérité dans la phrase du procureur fasciste Isgro qui dit, au moment d’envoyer Gramsci en prison : « nous devons empêcher ce cerveau de fonctionner pendant vingt ans »


Et Gramsci nous tresse son apologie des hommes dans un style éblouissant qui, parfois, n’est pas sans rappeler – mais oui – William Shakespeare. Ecoutez cet hommage aux ouvriers défaits de la Fiat le 8 mai 1921 :


« Ils ont résisté pendant un mois. Ils étaient exténués physiquement parce que cela faisait des semaines et des mois que leurs salaires avaient été réduits et ne suffisaient plus au soutien de la famille, et pourtant ils ont résisté pendant un mois. Ils étaient complètement coupés de la nation, submergés par un poids général de fatigue, d’indifférence, d’hostilité, et pourtant ils ont résisté pendant un mois. (…) ils se savaient condamnés à la défaite et pourtant ils ont résisté pendant un mois. »


Relisez la scène 2 de l’acte III du « Jules César » de Shakespeare et le discours d’Antoine ponctué par son « et Brutus est un homme honorable » répété à la fin de chaque phrase. La parenté est frappante.


Grand Antonio Gramsci, par l’âme, la pensée, l’écriture.


Lisez ce grand penseur ! Il le mérite. Tcho. Ne vous arrêtez pas ! Pourquoi lisez-vous cette critique verbeuse ? Attelez-vous à la lecture ! Votre âme est lecture ! Parfaitement ! Et laissez moi délirer, seul face au monde, tel le Caligula de Camus ! Partez ! Je ne vous hais point ! @+.

ClementLeroy
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le 14 avr. 2017

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San  Bardamu

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