Réalisé par Jacques Audiard, avec Marion Cotillard et Matthias Schoenaerts — incroyable révélation de Bullhead —, sélectionné à Cannes... De Rouille et d'Os, qui sort le 17 mai 2012, est un film qui va forcément marquer l'année. Le projet avait quelque chose de particulièrement excitant, pour quelqu'un appréciant les histoires à la fois amères et humaines d'Audiard, et ayant lu le recueil de nouvelles qu'il avait choisi d'adapter : Un Goût de Rouille et d'Os de Craig Davidson.

Craig Davidson est un auteur canadien, aujourd'hui trentenaire. C'est en 2005 qu'il perce avec le recueil dont il est question ici. Salué par Bret Easton Ellis (American Psycho, Moins Que Zero) et aussitôt affilié à Chuck Palahniuk (Fight Club, Choke) dont il partage certains thèmes et dont les anti-héros semblent avoir grandi ensemble, Un Goût de Rouille et d'Os raconte les histoires d'hommes (et d'une sœur) que le sort a handicapé parfois physiquement, mais surtout psychologiquement. Chaque histoire, qui fait apparaître un détail la reliant à une des autres nouvelles, implique le sport ou le spectacle : un boxeur clandestin aux mains broyées continue de se battre pour se racheter aux yeux de sa famille, un autre est devenu entraineur en Thaïlande pour fuir l'homicide involontaire qu'il a provoqué sur un ring il y a plusieurs années, un coureur de jupons officiant dans un marineland se fait croquer une jambe par un orque lors d'un spectacle, un père de famille sex addict est devenu acteur porno par souci d'honnêteté envers ses proches, un père alcoolique qui a puni son fils à briller en NBA, un homme stérile et sa femme qui font combattre des chiens qu'ils aiment pourtant, un employé d'huissier chargé de récupérer les biens des mauvais payeurs rencontre le réalisateur d'une série pour enfant mettant en scène de petits animaux dans le mobilhome qu'il doit lui reprendre, un frère et une sœur assistants de leur père magicien qui profite d'un numéro de disparition pour les abandonner. Chacune de ces nouvelles est assez dense pour devenir un roman ou un film à elles seules.

Si Davidson, boxeur amateur, sait parfaitement restituer les ambiances et concède peu de répit à son lecteur lors des combats entre hommes ou entre chiens, il ne néglige pas pour autant l'environnement de ses autres nouvelles et sait faire partager les passions de ses personnages pour le basket-ball ou encore la magie. Ces passions qui sont souvent à l'origine de leurs malheurs représentent aussi l'espoir, c'est l'instant où ils entrent dans la lumière que l'humanité de chacun se révèle dans un monde jusque là froid, sombre et comprimé. À l'instar d'un combattant s'entraînant quotidiennement durant des années afin de gommer ses faiblesses, de devenir une sorte de machine, et qui ne connaîtra son heure de vérité que lors du combat, les personnages de Davidson progressent à tâtons, sont comme condamnés à une fuite en avant et sont troublés par leurs sentiments (ou leur absence de sentiment) jusqu'à ce passage, toujours désarmant pour le lecteur, où ils deviennent quelqu'un de nouveau, qui ont appris sur eux-mêmes : un homme, un père, un adulte...

Concis et sec, mais pas dépourvu de lyrisme, on n'est pas surpris de voir des nouvelles pareilles attirer l'attention du cinéma, encore moins celle du réalisateur de Sur mes lèvres ou De battre, mon coeur s'est arrêté dont on se dit que les histoires auraient pu être écrites par Craig Davidson. Cependant, bande-annonce et propos du réalisateur indiquent que l'adaptation prend ses distances avec un livre pourtant hautement recommandable.

« Vous trouvez pas que ce serait sympa si la vie, c'était comme dans la série ? J'ai beaucoup pensé à ça. Ils travaillent tous ensemble. Tout le monde s'entend bien. Il y a de l'amour, c'est sûr, mais pas le genre d'amour qui brise les gens, ou qui détruit les choses. Un amour de petit chiot. Personne ne souffre. Ils sont simplement tous... amis. Ça ne serait pas mal, je crois. Une vraie bonne vie, conclut-il en riant. avec un rire strident de petit chien. Mais je suis stupide. »
Sloth

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