RETOUR CRITIQUE :

Funny games, de l'autrichien Michael Haneke, a eu le droit à deux films. L'œuvre originelle et son remake US.

Pour l'anecdote, je me souviens distinctement l'effroi de la première version.

C'était en 1997.

J'ai 24 ans. Si je suis jeune, beau, talentueux, séduisant, quoi je me la pète !? Je vais bientôt être papa. Psychologiquement c'est important. Un homme n'a aucune charge mentale avant cette capitale étape de l'âge adulte.

Avant cette bascule existentielle, l'homme, donc moi, n'a que des envies simples. Il aime manger et beaucoup boire. S'il est en fac de droit, il est moins drôle, plus strict et souvent con. M'en fous, j'étais en sciences humaines. Oui. L'humain est une science. Et souvent inexacte.

Bref, l'homme ne pense qu'à des plaisirs évidents. Son estomac est réglé sur l'heure des repas et son foie sur les occasions de se faire un apéro. L'apéritif pouvant survenir à cinq heures du matin.

Marre des digressions !

En 1997, je suis encore étudiant. Je poursuis de mes assiduités des études qui ne vont cesser de fuir cet amour hypocrite.

Quand je me cale dans cette salle de cinéma, sombre à souhait, le SIRIUS...

Léger aparté, il s'agit d'un cinéma de quartier. Quartier Danton. Dans la ville du Havre. On le surnommait "Dans ton cul", parce qu'avant d'arborer les lettres de noblesse ART ET ESSAI, se fût un cinéma porno (j'ai déjà écrit à ce sujet, chronique lue par près de deux personnes).

J'étais assis donc. Peut-être accompagné de "La Crasse" ou "Crassus" (empereur romain), le surnom d'un pote dont l'hygiène corporelle était aussi douteuse que les intentions d'un ministre dès lors qu'il s'agit des services publics.

Et la version de Haneke s'est étalée sur le grand écran blanc comme une vague de souffrance, une mare de sang, au rythme de cris, d'outrages...

Hyperbole sur la violence, les deux funny games vous feront passer le History of violence de Cronenberg pour une bluette. Avec la version initiale, on tenait avec ce film un pendant à l'œuvre cultissime de Kubrick, ORANGE MÉCANIQUE.

Une scène sidérante, radicale allait marquer au fer rouge ma mémoire et celle de milliers de cinephyles... Celle de la télécommande.

J'en ressortis, éprouvé, nauséeux, mal à l'aise, sali.

Haneke ne venait pas de nous délivrer un énième message sur la violence. Non. À l'écran, grâce à un talent rare, avec une vision incroyable, il décryptait les mécanismes du fascisme. Réellement. Dans un film éprouvant, dur, puissant. "Voilà à quoi vous attendre !!!" C'était son hurlement ! Dans une violence épurée, un paroxysme inouï, une radicalité presque nihiliste.

Haneke est un cinéaste de génie.

Pour le prouver, il signera lui-même le remake américain. Autre oeuvre radicale s'il en est.

Est-elle supérieure à la version originale ?

Je ne sais pas. En tout cas, la démonstration est toute aussi juste, puissante et réflexive. Et actuelle.

C'est le spectateur qui est maître de son destin, de ses choix, de la finalité du projet.

Vous pouvez arrêter cette insupportable expérience à tout moment. Ou la vivre douloureusement.

On est tous responsable de nos choix.

Tous.

Sans exception.

Tout est affaire de conscience, d'acceptation du mal. Ou de refus de s'y soumettre.

Deux films radicalement marquants.

Sébastien Gehan

Activité sur Funny Games