Paru en 2012, ’Allelujah! Don’t Bend! Ascend! marque le retour en studio du collectif canadien Godspeed You! Black Emperor après une décennie d'absence discographique. Ce projet, très attendu, s’inscrit dans la continuité esthétique du groupe tout en révélant une volonté de recentrage formel. En lui attribuant une note de 8/10, je souligne à la fois la puissance expressive de l’œuvre et certaines limites structurelles qui atténuent, à mon sens, l'ampleur de son propos artistique.

L’album se distingue par une organisation atypique : deux longues compositions post-rock (Mladic et We Drift Like Worried Fire) sont encadrées par deux pièces ambient aux textures drones (Their Helicopters’ Sing et Strung Like Lights at Thee Printemps Erable). Cette dualité n’est pas anodine. Elle semble symboliser l’alternance entre chaos et contemplation, entre agitation politique et méditation intérieure — deux pôles récurrents dans la production du groupe.

Mladic, aux allures de marche funèbre bruitiste, développe un motif rythmique oppressant, évoquant un monde en proie à la désintégration. À l’inverse, We Drift Like Worried Fire déploie une tension ascendante plus mélodique, portée par des crescendos puissants et une orchestration minutieuse. Ces pièces, par leur durée et leur construction, s'apparentent à des récits sonores à la fois denses et évocateurs.

En contraste, les interludes drones s’apparentent davantage à des respirations abstraites. Bien qu’ils contribuent à l’atmosphère globale de l’album, leur impact émotionnel reste plus diffus. Leur caractère statique, voire méditatif, pourrait susciter un intérêt variable selon les sensibilités auditives, et constitue, pour moi, une réserve modérée quant à leur intégration au sein de l’œuvre.

Comme à son habitude, Godspeed You! Black Emperor ne recourt pas au langage verbal pour exprimer son propos, mais à une construction sonore chargée de symboles. L’engagement politique du groupe, bien que non explicité, se devine dans la tension dramatique de ses compositions, dans l'urgence palpable qui traverse les crescendos, ou encore dans l’esthétique bruitiste qui rappelle l’effondrement des structures établies.

Le titre même de l’album — ’Allelujah! Don’t Bend! Ascend! — appelle à une forme de résistance spirituelle et politique. L’œuvre semble ainsi se faire l’écho d’un monde en crise, tout en proposant une forme d’élévation par l’art, par la musique, voire par la communion collective. Cette dialectique entre destruction et transcendance constitue, sans doute, l’un des traits les plus marquants de l’album.

Si l’album impressionne par sa cohérence et son intensité, il apparaît néanmoins plus contenu, voire plus "sécurisé", que les productions précédentes du groupe. Là où Lift Your Skinny Fists Like Antennas to Heaven laissait place à une narration plus organique et imprévisible, ’Allelujah! se caractérise par une certaine rigueur formelle, qui bride parfois l’élan spontané au profit d’une esthétique déjà bien connue des auditeurs familiers du collectif.

’Allelujah! Don’t Bend! Ascend! constitue une proposition artistique remarquable, tant par la densité de sa construction sonore que par sa charge émotionnelle implicite. Malgré quelques réserves concernant son équilibre structurel, l’album témoigne d’une grande maîtrise formelle et d’une vision artistique toujours singulière. Il s’impose ainsi comme une œuvre majeure du post-rock contemporain, capable d’articuler engagement politique, transcendance esthétique et tension dramatique. Une réussite incontestable, bien que légèrement en-deçà des sommets précédemment atteints par le groupe.

Activité sur ’Allelujah! Don’t Bend! Ascend!