Le monde entier les connaît. Applaudissez les Quatre Fantastiques. Mr Fantastic. La Femme Invisible. La Torche Humaine. Et la Chose.

Premiers pas vers un avenir meilleur : lorsque Marvel se souvient ce que c'est de faire du cinéma

Depuis le temps qu’on l’annonçait, Les Quatre Fantastiques : Premiers pas de Matt Shakman s’imposait comme un mirage dans le désert créatif du Marvel Cinematic Universe. Ce n’était pas simplement un nouveau film, mais la possible promesse d’une résurrection attendue avec une impatience teintée de scepticisme. Car depuis plusieurs années, le MCU est englué dans une spirale descendante avec des productions sans âme et interchangeables, vidées de leur souffle héroïque et de toute ambition cinématographique. L’émotion y a disparu sous les blagues forcées, la mise en scène s’étant diluée dans le conformisme, et les intrigues se perdant dans des injonctions idéologiques prenant le pas sur tout le reste. Et a de rares exceptions, on nous a épargné, si bien que la dernière phase du MCU s'avère être une catastrophe cinématographique ayant presque réussi l'exploit de détruire entièrement cet univers, qui aujourd'hui se retrouve sur la corde raide, espérant retrouver le feu sacré avec cette proposition. Un 37ᵉ opus qui marque l’ouverture de la Phase 6 d'une bien belle manière en se présentant comme un petit électrochoc. Sans chercher à flatter son public ni à se parer de cynisme ou de second degré mal placé, Matt Shakman redonne enfin au MCU ce qui lui manquait cruellement, à savoir une vision de cinéma. Pas un produit de catalogue, pas un contenu calibré pour la timeline d’un univers partagé, pas un agenda politique bourré de moraline, mais un vrai film. Et dans un paysage aussi appauvri, cela suffit déjà à frapper fort. Bien sûr, ce film pas n’est pas sans défauts. Il n’est ni révolutionnaire ni inattaquable. Mais il a cette chose rare que l’on avait presque oubliée dans l’univers super héroïque, puisqu'il respecte son récit, ses personnages, et surtout, son spectateur. Il réintroduit de l’élan, du mystère, de la grandeur, et surtout, cette sensation qu’on est face à un objet filmique qui existe pour raconter quelque chose et pas juste cocher des cases.

Les Quatre Fantastiques : Premiers pas est un film qui surprend d’abord par son audace. Il ose la narration, en refusant les ficelles trop usées du reboot paresseux ou de l’exposition didactique. Pas de longues scènes explicatives ni de flashbacks laborieux pour combler les lacunes. Le récit choisit la voie de la concision intelligente. Il nous projette immédiatement dans un monde déjà en mouvement, sans surenchère ni sur-explication. Le spectateur est invité à rattraper le train en marche, mais sans jamais être abandonné. Le scénario collectif de Josh Friedman, Eric Pearson, Jeff Kaplan et Ian Springer, fait preuve d’une clarté narrative remarquable. Tout est là, sans être asséné. Les enjeux, les personnages, le contexte… tout s’installe avec fluidité, ce qui permet une immersion immédiate dans un univers pourtant radicalement nouveau. Et cet univers est justement le second pari réussi du film. Il s’affranchit des codes visuels et narratifs établis du MCU en nous transportant sur une Terre-828 rétrofuturiste, à mi-chemin entre l’esthétique vintage des années 1960 et une science-fiction d'anticipation graphiquement stylisée. C’est un monde qui n’a jamais vu les Avengers ni subi les soubresauts habituels du multivers. Un monde cohérent construit avec soin, où les Quatre Fantastiques sont les seuls super-héros. Plus que cela, il sont des icônes publiques et politiques, symboles d’ordre, de progrès et de puissance. L'idée d’un quatuor institutionnalisé au point d'être un équilibre mondial, donne une ampleur inédite à leurs figures. Ils ne sont pas de simples sauveurs, mais des gardiens protecteurs reconnus dont le rôle est intégré à la structure même de la société.

Shakman, au lieu d’imposer un humour potache omniprésent ou une métaphore sociale mal digérée, choisit un ton singulier, à la croisée d’un classicisme assumé et d’une tension dramatique palpable. Oui, l’humour est là, mais il n'est pas infantilisé au maximum, ni matraqué à coup de gageure gaudriole graveleux. Une élégance dans le ton, dans le respect du sérieux sans sombrer dans le ridicule, dans cette capacité à glisser de l’humour sans détruire la tension dramatique. Loin des tics d’écriture du MCU, on ne raille pas l’émotion, on ne sabote pas les instants de gravité avec des punchlines désespérées. On raconte, on construit, jamais au détriment de l’émotion, ni des enjeux. Alors oui, la menace cosmique à travers une Surfeuse d'Argent et un colosse gigantesque dévorant des planètes assis sur son trône à sur le papier de quoi faire rire, mais elle s’incarne ici avec gravité et horreur. On retrouve par ailleurs des échos thématiques au film Les Quatre Fantastiques et le Surfer d’argent de Tim Story, mais Shakman dépasse son modèle par une rigueur de mise en scène et une progression narrative qui tiennent davantage du thriller spatial que de la comédie d’action. Et puis, quand l’action éclate, le film nous en met littéralement plein les yeux. Chaque séquence frappe fort et juste avec des plans d’une puissance visuelle impressionnante. Je repense à la course-poursuite sous haute tension dans l’espace, qui est haletante et inventive, face à une Surfeuse d’Argent aussi hypnotique que terrifiante. Et aussi la confrontation finale. Un combat dantesque, menée de bout en bout avec un sens de l’ampleur et de la cohérence qui force le respect. La conclusion ne trahit ni la puissance destructrice du "bad guy", ni la détermination de nos héros, et encore moins l’intelligence du spectateur. Ce qui glace vraiment, c’est de réaliser à quel point les Quatre Fantastiques sont dépassés. Ils sont broyés par des forces qui les écrasent littéralement, alors qu’ils restent les seuls remparts entre cet univers et l’anéantissement total. Et cette fragilité, apporte une véritable ampleur.

Je proclame son avènement. Je proclame votre fin. Je proclame… Galactus.

Côté casting, les choix opérés s’avèrent globalement judicieux, même s’ils n’échappent pas à quelques déséquilibres. Tous les acteurs forment ensemble un quatuor crédible, respectueux de l’esprit d’équipe qui définit les Quatre Fantastiques, non pas des héros en solo rassemblés pour l'occasion, mais une vraie famille, unie dans les épreuves comme dans les dilemmes. Joseph Quinn dans le rôle de Johnny Storm, surprend agréablement. Il aurait été facile de tomber dans la caricature du playboy impulsif et insupportable, mais l’acteur parvient à injecter à son personnage une fougue sincère appuyée par une vitalité désinvolte teintée d’une loyauté farouche. Il brûle d’arrogance, mais jamais gratuitement, car derrière ses éclats on perçoit un homme profondément attaché à sa famille, prêt à tout pour elle. Il est plus solaire que frivole, et cette nuance change tout. Ebon Moss-Bachrach incarne un Ben Grimm, alias la Chose, tout en retenue. Il a déjà fait la paix avec son apparence monstrueuse, et cela se ressent dans son attitude. Il n’est ni victime ni bête de foire, mais un homme solide dont la douleur passée semble intégrée et digérée. Il dégage une force tranquille qui contrebalance parfaitement avec l’énergie de Johnny. Sa relation avec Reed Richards est d’ailleurs l’un des cœurs battants du film. Pedro Pascal livre une prestation étonnamment austère en tant que Reed. Son Mr Fantastic est un homme de science avant d’être un homme tout court. Il est froid, analytique, obsédé par la logique au point d’en devenir presque déshumanisé. Une froideur maîtrisée qui rend le personnage troublant. Il n’est pas un meneur charismatique comme on l'entend, mais plutôt une intelligence fascinante et effrayante par moments.

Vanessa Kirby est impériale en Susan Storm, la Femme Invisible. Sans jamais forcer le trait, sans avoir besoin de discours féministes plaqués ou d’effets de manche, elle s’impose naturellement comme la colonne vertébrale émotionnelle du groupe. La révélation de sa grossesse dont l’enfant à naître se retrouve au centre d’un enjeu cosmique ajoute une tension dramatique supplémentaire. Autour d’eux gravite également HERBIE, une intelligence artificielle logée dans un ordinateur analogique délicieusement rétro. Face à eux, la menace est sacrément palpable, tangible, et glaçante. D'abord, Shalla-Bal, la Surfeuse d’argent incarnée par une Julia Garner qui incarne bien la froideur mais aussi le doute. Une antagoniste tragique et effrayante, exécutrice d'une volonté supérieure. Sa présence fauche tout espoir dès qu’elle entre en scène, puisqu'elle est annonce la fin du monde. Elle agit sans haine, mais avec une détermination mécanique qui laisse une froideur menaçante que l'on ressent sans mal. Et puis vient le moment où on bascule dans une autre dimension avec l’apparition tant attendue de Galactus. Non pas l'ombre d’une métaphore cosmique hors-champ, mais l'incarnation du cataclysme. Ralph Ineson donne corps à cette entité qui dépasse l’entendement. Galactus incarne une fatalité à lui seul. Un effondrement cosmique en marche. Certes, son échelle physique n’atteint pas encore l’immensité du comics, mais sa représentation visuelle, et son aura de terreur impose un respect immédiat. Sa première apparition est un modèle de montée en tension. Il n’est pas seulement spectaculaire, il est apocalyptique. La mise en scène de Shakman, aidée par une photographie efficace de Jess Hall et un montage solide de Nona Khodai et Tim Roche, donne corps à cette menace. Les effets spéciaux sont au service de l’image et non l’inverse. Et la direction artistique, entre les décors rétro de Kasra Farahani et les costumes soignés d’Alexandra Byrne, offre une cohérence esthétique qui ravira les amateurs d’uchronies stylisées. Même Michael Giacchino avec sa composition musicale parvient à insuffler une puissance épique sans verser dans le pastiche orchestral habituel.

Malgré ses nombreuses qualités, le film n’est pas exempt de défauts. Le rythme accuse quelques creux, notamment dans le second acte, où l’action s’efface un peu trop longtemps, même si cela ne dénature pas la construction des enjeux. Certains choix scénaristiques laissent également perplexe. En particulier, la scène où Reed Richards face aux caméras avoue sans détour avoir refusé de négocier avec Galactus parce qu’en échange, il aurait dû lui livrer son propre fils. On ne peut s’empêcher de se dire : “Mais pourquoi tu dis ça maintenant ?” On ne lui demande pas de tout révéler, et pourtant il livre l’aveu de trop, celui qui fait basculer l’opinion publique et provoque la colère collective. Narrativement, on comprend la fonction de ce moment car il explore la fracture entre les héros et la population, et interroge le regard que chacun porte sur l’autre, mais dans le contexte du récit, cette confession paraît forcée, et d’autant plus déroutante que Reed est censé incarner l’homme le plus intelligent de la planète. Il manque à cette scène une montée logique qui justifierait ce dérapage. Autre faiblesse, l’exploitation inégale des pouvoirs des Quatre Fantastiques. Si chacun bénéficie d’un temps de présence honorable, tous ne brillent pas à armes égales. Susan Storm est explosive autant par la finesse de ses champs de force que par son rôle central dans les affrontements. Johnny Storm est flamboyant, offrant des envolées pyrotechniques réjouissantes. Mais du côté de la Chose, on reste sur sa faim. Son potentiel destructeur n’est jamais pleinement mis en valeur. Quant à Mr Fantastic, son pouvoir d’élasticité est terriblement sous-exploité. Après One Piece, c'est encore étonnant de trouver des scénaristes ayant du mal à en saisir la force. Un dernier point autour des effets spéciaux entourant la création assez laide du bébé. Le choix de recourir à une modélisation numérique plutôt qu’à un vrai nourrisson me dépasse. Cela dit, je pardonne ces accrocs sans pour autant les ignorer. Car malgré ses défauts, Les Quatre Fantastiques est un film qui existe pleinement. Il ose l’élégance visuelle, le sérieux narratif, et surtout, il respecte ses personnages autant que son public. Il n’essaie pas de flatter ou d’abrutir. Il croit en ses héros, en son univers, et en son propre langage. Et dans un paysage super-héroïque souvent cynique ou désincarné, cela fait toute la différence.

CONCLUSION :

Les Quatre Fantastiques : Premiers pas de Matt Shakman n’est pas encore la renaissance totale du MCU, mais c’est une pierre solide, posée avec assurance, sur un chemin qu’on pensait à jamais abandonné. Dans un univers devenu prévisible, désincarné, surécrit, mal réalisé, et trop souvent vidé de sa substance par des agendas mal digérés, ce simple retour au langage du cinéma résonne comme un acte de résistance salutaire. Il faut reconnaître que ça fait un bien fou.

Enfin, un film Marvel qui ne s’excuse pas d’être du cinéma.

Une famille… c'est se connecter à ce qui nous dépasse. Nous l'affronterons ensemble. Comme une famille.

Activité sur Les 4 Fantastiques - Premiers pas