666
7.6
666

Album de Aphrodite’s Child (1972)

Demis Roussos a un jour fait du prog ?


Si vous êtes comme moi et avez la culture d'un manche à air, pour vous Demis Roussos c'est avant tout ceux qui écrivent à l'encre de nos murs sur les veines de ceux qu'on aime, c'est-à-dire de la variétoche un peu fade. Autrement dit, pour nous progueux péteux, l’antithèse absolue de la bonne musique.


Il se trouve que notre bon bougre faisait partie des Aphrodite's Child groupe grec qui était entre autre composé des deux seuls artistes grecs que tu connaisses : Demis Roussos donc, au chant + basse et Vangelis, aux claviers. Citons également Silver Koulouris à la guitare et Lucas Sideras à la batterie. Les AC, durant leur courte existence, n'était pas un groupe de prog, mais de pop. Il suffit de se promener deux secondes sur l'internet pour découvrir que leurs plus grands succès (Rain and Tears, End of the World...) sont avant tout des chansons simples, lentes et lyriques, néanmoins plutôt jolies.


En 1970, Vangelis a pour projet d'adapter en musique L'Apocalypse selon Saint-Jean. Il le sait, ce n'est pas en reprenant le canon de Pachebel qui fera un album qui collera au thème ; il va falloir changer profondément le "style" du groupe. Ce tournant radical causera la disparition du groupe, déjà fragilisé par diverses tensions. Il sera dissous en 1971, soit une petite année avant la parution de l'album, intitulée 666.


La pochette est plutôt sobre : le nom, simpliste sur un fond rouge. Pourtant, c'est l'extrême inverse qui se passe durant l'écoute car 666 explore plein de facettes du rock : prog, pop rock aux accents byzantins, hard rock, ballade douce, trip psyché, jazz Zappa-style jusqu'à l'expérimental absolu de ...


Car 666 ne s'écoute pas comme un album-concept classique. À l'image de l'apocalypse, c'est un foutoir qui part dans tous les sens dans le but de perdre son auditeur. Ce n'est pas pour rien si c'est le dynamique The Marching Beast qui fait suite au très discret Lament, ou si la fin (, Hic et Nunc, All the Seats..., Break) n'est qu'une alternance entre chansons ultra simples et trip expérimentaux totalement perchés. C'est ce qui fait la force de l'album : les morceaux sont consolidés par leurs apparences paradoxales (et c'est du coup ce qui fait aussi la faiblesse des morceaux : hors album, ils perdent de leurs charmes).


Pourtant, malgré la lourdeur du sujet, malgré la magnifique incohérence de l'agencement des pistes, 666 prend le parti de ne pas se prendre au sérieux. À l'image du désormais culte "Cet album a été enregistré sous l'influence du Sahlep" inscrit sur la pochette même (faisant penser à de la drogue ou je ne sais quel rituel satanique, en réalité il n'en n'est rien : c'est juste une boisson turque avec des patates et de l'eau), l'album contient ses parts d'humour, de ridicule. Il suffit d'entendre les voix burlesques sur The Beast ou Ofis, ou bien de comprendre les textes absurdes sur The System ou , scandés en boucle, tels des rituels.


L'aspect multifacette de 666 est renforcé par la présence d'autres musiciens, qui viennent participer sur l'ensemble de l'album, à plusieurs reprises. En plus des saxophonistes Michel Ripoche et Haris Halkitis, on remarque plus généralement le narrateur Jorn Forst, mais surtout l'actrice Irène Papas dans ∞ pour sa prestation pour le moins.... mémorable (si vous ne savez pas encore pourquoi, je vous laisse le plaisir de le découvrir par vous-même)


Malgré tout le bordel apparent de la chose, 666 est plutôt bien construit. En le décortiquant, on remarque que chaque face (et oui, il date de 1972, il faut l'étudier comme un vinyle), est calqué pour faire de l'album une descente aux enfers progressive :



  • La 1er face (jusqu'à Seveth Seal) : clairement la plus facile à appréhender. Les morceaux sont suffisamment simple et entraînant pour attirer le l'auditeur. On finit en toute simplicité sur cette phrase silence covered the sky, un indice à venir pour la suite....

  • La 2e face (de Aegian Sea à OFIS) : si la première piste est simple à écouter, c'est le piège qui cache la suite, car le triptyque Seven Bowls/Wakening Beast/Lament à base de chants sectaires ont tout pour perdre l'auditeur. Le reste ne l'album ne sera qu'un amas de petites chansons d'à peine 2 minutes, de plein de styles différentes, et toutes encastrées.

  • La 3e face (de Seven Trumpets à Hic et Nunc) : on pourrait la considérer comme une longue piste instrumentales, où cette fois les transitions sont un peu plus douces, et dont les parties sont un peu plus longues. Je pourrai considérer comme une piste instrumentale, vu comment la chanteuse joue sur la sonorités des mots, plus que sur le sens. Enfin, Hic et Nunc est une petite pause sympathique pour finir la phase.


Mais comment conclure un tel album ? Comment terminer une suite de morceaux qui partent dans tous les sens ? Un bordel encore plus monstrueux que tout ce qui a été entendu ? Ou alors la simplicité ? Vangelis et sa clique ont plutôt été malins sur ce coup puisqu'il décident d'appliquer les deux.
La face D s'ouvre avec All the Seats..., le summum du non-sens de cet album (à égalité avec ∞ que je cite bien trop souvent). Près de 20 min d'improvisations psychédéliques, qui contiennent des extraits des autres morceaux de l'album. Personnellement, cet effet où l'on s'amuse a rajouter d'autres pistes superposés sur le morceau de base m'agace un peu. Mais il faut avouer que ce parti pris participe pleinement au capharnaüm qu'est la pièce. Sans structure, l'auditeur est plus que jamais perdu dans les percus et les solos de synthés. La tension monte, mais c'est au moment où l'on s'attend le moins que la musique s'arrête brusquement pour laisser le titre s'exprimer (extrait d'une leçon d'anglais de la BBC) avant de s'effondrer dans le chaos le plus total.
Et puis vient Break, d'une si grande naïveté par rapport à son prédécesseur qu'elle en devient touchante. Tristement prophétique, elle annonce la fin de l'album et d'une carrière par ces mots "Bye my friend, goodbye". Ceci dit, après quelques secondes de silences s'entend un "do it" samplé, nouvelle preuve d'humour de l'album.


De par son côté majestueusement foutraque, 666 est plus ou moins un prétexte pour créer. Virevoltant entre le bizarre et le drôle, son non-sens est sa raison : rapidement, on ne l'écoute plus vraiment puisqu'on y est perdu, et on se laisse guider avec méfiance, car on sait que l'incongru se présentera juste après. Paradoxalement, ces contradictions formeront un ensemble surprenant, et malheureusement il perd de son intensité lorsqu'il est fracturé. On a trop vite fait d'adorer Four Horsemen et de haïr le reste, alors que le tout est indissociable.


Voilà pourquoi 666 est un album solide, malgré ce qu'on pourrait penser lors de ses premières écoutes.

Créée

le 1 déc. 2020

Critique lue 368 fois

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