« If you’re not embarrassed at what you did six months ago, you’re not trying hard enough » - Jamie Hall (Tigercub)



Abstract Figures in the Dark n’est que le premier album de Tigercub mais il invite déjà à la rétrospective, tant le trio de Brighton nous a habitué à l’excellence au gré des singles et EP jusqu’alors distillés au compte-gouttes. Un an après avoir vaincu avec Repressed Semantics une certaine frustration, celle de s’être sentis bridés par des managers qui cherchaient plus à faire d’eux les ‘prochains Royal Blood’ qu’à documenter leur créativité, les trois J sont de retour pour transformer l’essai. Et comme l’annonce Jamie Hall, attention virage.



« We sort of decided that grunge thing wasn’t really for us anymore. It started to be cool to sound like that and we didn’t want to get sucked into any of that. » - J.H.



Inutile donc de s’étonner de ne plus entendre Blue Blood aux derniers concerts de Tigercub, qu’on avait peut-être trop vite labellisés comme un Nirvana des temps modernes. On peine à croire que ce sont bien les mêmes qui sortaient il y a deux ans ce single puant le grunge de Seattle, et pourtant la cohérence est totale : Jamie, Jimi et James ont toujours clamé chercher avant tout à rester fidèles à eux-mêmes, sans vouloir s’embrigader dans un style ou un autre.


Plus important encore, le power trio semble avec ce premier album vouloir plus que jamais affirmer son identité. Ne plus être une simple comparaison. Fatigués, sans doute, d’être sans cesse mis à côté des mêmes Queens of the Stone Age, Royal Blood et Nirvana : Tigercub veut juste être Tigercub, et ne plus se cacher.



« We’ve learnt to sound really dirty and heavy but also clean. It’s easy to hide behind a wall of fuzz but we wanted our personalities to shine through. » - J.H.



Abstract Figures in the Dark est donc annoncé comme un album profondément fondateur, un fidèle instantané de la personnalité de Tigercub. Dans le rôle du photographe, le groupe fait confiance au producteur confirmé Alex Newport (Bloc Party, At the Drive-In). Leur collaboration s’inscrit pleinement dans la philosophie du trio, provoquant la créativité par la rupture, néanmoins toujours dans le cocon des studios de Brighton Electric (Repressed Semantics). Les premiers extraits frappent par un son riche et aux chaudes couleurs vintage, mais aussi par un style d’écriture assez inédit pour Jamie Hall.



« After burying my emotions deep into obscure metaphors in past songs, I feel like it’s time to just f*cking come out and say it: Everything is not okay and it never was. » - J.H.



Les mots sont cinglants et presque faussement rebelles, mais prennent hélas tout leur sens dans la bouche d’un jeune Britannique ayant pris en pleine tête la fronde conservatrice du Brexit. Cette noirceur fait pleinement partie du contexte de production de l’album, et ressort dans les arrangements comme dans les textes. L’opener Burning Effigies dégouline d’un chorus presque Tarantinesque, sur lequel Jamie dresse un tableau morne et sans détour.



« Karma will kill us all
Our charm is wearing off
Our God’s a made-up fraud
Our skies are full of scars »
- Burning Effigies



Que les hipsters-amateurs de la première heure soient rassurés, les traceurs du 'early Tigercub' sont bien présents. La même Burning Effigies, décidément déjà une pièce maîtresse de leur courte discographie, est un renvoi direct à Pictures of You ; le solo de Rich Boy trouve écho dans la furieuse Migraine, et le riff stoner de l’amusante Serial Killer (qui se moque des justiciers du clavier dans les commentaires internet – « Check your spelling, I won’t ») a des airs d’Antiseptic.


Mais Abstract Figures renferme également des petits trésors qui n’auraient sans doute pas pu voir le jour il y a encore un an. La raison, sans doute cette affirmation de Jamie Hall derrière son micro, prenant enfin conscience qu’il peut être un vrai chanteur assumant ses mélodies. Ne plus se cacher. Ne plus réprimer ces élans pop/RnB qu’il aime tant, et laisser parler un flow rappelant plus Lady Gaga que Kurt Cobain, pour donner naissance à des hooks terriblement efficaces : meet Memory Boy, écrite d’un trait sous la colère pendant la crise migratoire, ou encore le lead single Omen et sa bassline sonnant comme un Come Together avec double ration de couenne.


Le nouveau Tigercub est là, plein de fierté et d’assurance, à l’image du petit tour de force réalisé au détour de la huitième piste. Après – il est vrai – un petit coup de mou derrière Migraine, les trois compères reprennent la main : Control déboule comme un OVNI, avec sa guitare en boucle et son refrain majeur, mi-Radiohead mi-Bloc Party. Méconnaissable, donc génial : Tigercub réussit son pari et peut remercier Alex Newport, catalyseur de cette nouvelle expérience. Le contrôle est pris.



« I don’t want to say there is a political depth to this album, but I wanted those elements to be in the mix. » - J.H.



Jamie Hall raconte que l’enregistrement d’Abstract Figures in the Dark a été très marqué par l’actualité (Brexit, migrants, putsch turque…), sans pour autant en faire un thème explicite de l’album. L’atmosphère du disque est par conséquent résolument sombre, inquiétante, reflétant directement la vision maussade du groupe sur le monde actuel. Les arrangements impeccables de Newport n’y sont évidemment pas étrangers, du delay sur la caisse claire (Control) à ce kick sur-saturé (Omen), en passant bien sûr par le son de basse ronflant de Jimi Wheelwright : la production est un coup de maître.


Pour toutes ces raisons, et parce qu’il nous emmène exactement là où ses créateurs l’entendent, l’album aurait de facto été une réussite même avant les dernières pistes. Mais Tigercub se paie en plus le luxe de nous offrir deux titres de très haut niveau en fin de tracklist, à commencer par By Design, sûrement une de leurs meilleures chansons à l'heure actuelle avec son refrain à couper le souffle rappelant les ambiances orientales de System of a Down. La force d’un grand groupe, c’est de sortir des tracks de ce niveau au moment où on ne les attendait même plus ; et d’enchaîner avec la surpuissante outro de l’éponyme Abstract Figures in the Dark, pour parachever l’un des meilleurs albums de l’année.


Tigercub est mort, vive Tigercub. Le virage annoncé est négocié au millimètre et le groupe en ressort nouveau, grandi, avec une personnalité réaffirmée. Mais n’en déplaise à Jamie, Jimi et James, on ne risque pas de les lâcher de sitôt avec QOTSA : ce premier album regorge de la vibe si particulière de Josh Homme, jusqu’à la singulière Black Tides qui conclut l’album dans un effort semi-a capella. En un sens, c'est là la leçon à retenir : on répète si souvent que Queens of the Stone Age est ‘ce’ groupe à qui personne ne ressemble, jouant seuls dans une cour qu’ils ont eux-mêmes inventée. Et sans même essayer de les imiter, en s’inspirant bien plus du post-punk de Fugazi et de The Fall et de la nonchalance provocatrice de Mark E. Smith, Tigercub doit bien être le groupe qui y arrive le mieux. Une de ces choses qui ne s’expliquent pas, un feeling que les (mes) mots ne peuvent pas vraiment décrire. La marque des grands. Alors le mieux à faire, c’est d’écouter.



« I think people will be generally surprised, we found a really good sound we love. It’s hard to describe, so it’s probably best to just hear it. » - J.H.



Citations : The Argus, Thksfrthrvw

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le 16 nov. 2016

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Jambond

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Tikoud
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