L’insoutenable légèreté du folk

Le disque est l’image de sa pochette. Aldous Harding nous regarde, directement, sans artifice ni concession. Une photo d’une banalité presque déconcertante, une photo de statut Facebook sans les filtres Instagram. Dans ses yeux, aucun défi, plutôt une détresse.
La première impression passée, on finit par regarder les détails. Cet arrière-fond étrange de tas de bois mort. Puis sa casquette du « Liquor center ». Alors, dans la tête, s’ouvre la boîte à histoires, celle qui imagine les explications, à défaut de les avoir.

La musique d’Aldous Harding fonctionne de la même façon. Son folk épuré renferme son lot de secrets.

« L’album est ouvertement issu d’une tradition folk, mais j’y ai ajouté un zeste de modernité et une approche plus sombre qu’à l’habitude. » (Aldous Harding)

Stop Your Tears entame le disque avec une intro tout en douceur, puis la voix de la jeune femme nous dévoile son accent si marqué. Cette jeune femme, qui grandi à Lyttelton, petite cité portuaire de la côte est de la Nouvelle-Zélande, arrondit les « r » comme les airs d’une singularité touchante. Dès l’entame du disque, la beauté s’incarne dans sa simplicité et dans sa retenue. Le doigt accroche légèrement la corde, tandis que sa voix apaise. Un apaisement trompeur car les paroles sont porteurs de tragédie.

« Lord, show me my daughter / Show me her before she burned »

Le clip du morceau accentue ce sentiment.

Vient ensuite Hunter, le titre qui m’a emmené vers l’album. La chanteuse nous amène cette fois vers une histoire dont le sens caché reste difficile à cerner. Cette fois encore, le final d’un clip à l’esthétique épurée et d’une beauté froide laisse entrevoir une histoire tragique.

« He's a hunter and a good man, Be brave when he brings you nothing home. »

Dans Two Bitten Hearts, il est difficile de ne pas penser à Beth "Portishead" Gibbons et son Out of Season. La même texture de voix, cette mélancolie doucereuse, la guitare en coup de boutoir et ce son si reconnaissable du thérémine.

Titus Groan apporte une envolée plus joyeuse, un peu de légèreté après une forte charge émotionnelle. Une voix masculine en léger appui apporte de la densité. Le clip est cette fois une véritable invitation au voyage au pays du long nuage blanc. Beast suit la même veine avec une guitare plus légère. Elle est aussi la chanson la plus courte (2’42 contre 5 ‘ en moyenne). Une sorte de grande inspiration avant de replonger la tête sous l’eau.

Car No Peace nous fait retomber dans cette douce mélancolie. Un nouveau palier est atteint avec Merriweather, avec de nouveau une voix masculine et du violon en appui. J’ai pensé à Johnny Cash et June Carter, sauf que June Carter est cette fois au premier plan.

Après la foule musicale de Merriweather, Small Bones of Courage revient à l’intimité voix-guitare.

Une petite hésitation au début de Titus Alone étonne, comme si la chanteuse levait légèrement le voile sur les coulisses, sur cet autre intime artistique. Ce dernier titre conclue l’album par un long murmure qui résonne encore dans le silence à suivre.

Lors de la première écoute, la simplicité et la légèreté de la voix d’Aldous Harding laissent un sillon étonnamment profond. Les écoutes suivantes révèlent au fur et à mesure la force et la nuance de la song writer néo-zélandaise.

Alors que le terme « épuré » revient dans chacun des articles que j’ai pu lire sur cet album, la chanteuse juge qu’elle n’est pas allée assez loin.

« Pour être très honnête, j’ai quelques regrets concernant ce disque. Il m’a demandé plus de temps que prévu car il a été enregistré par intermittences. Ça a clairement compliqué la tâche car je manquais d’expérience en studio. Même si j’aime beaucoup un titre comme “Hunter” qui est ma chanson la plus pop et orchestrée, au fond de moi j’ai toujours voulu que cet album soit enregistré en guitare-voix. Le plus dépouillé possible. Je ne mesurais pas à l’époque l’impact que ces quelques ajouts d’instruments pourraient avoir sur le résultat final. Je voulais juste offrir aux auditeurs quelques titres plus étoffés pour qu’il y ait une partie de l’album plus facile à écouter, en opposition à des titres très intenses et minimalistes qui nécessitent de se concentrer sur le texte. Le résultat ne sonne pas assez pur à mon goût. J’aurais du passer encore plus de temps à l’enregistrer. » (Aldous Harding)

Aussi beau et puissant soit-il, cet album n’a pas montré tout le talent de cette artiste. Dans une vidéo live d’un titre ne figurant pas sur l’album, Horizon, la chanteuse montre une texture de voix plus large et ne présence scénique.

Il est vraiment temps que je prévois un détour par cette de folk qu’est la Nouvelle-Zélande.