Bad Timing
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Bad Timing

Album de Jim O’Rourke (1997)

Jim O'Rourke est né en 1969 à Chicago. Aujourd'hui âgé que 34 ans, il est pourtant déjà responsable d'environ 250 disques, et sans tenir compte de ceux qu'il édite en tant que directeur artistique pour différents labels. Qu'il s'agisse de ses albums solo sortis sous son nom propre, de ceux des nombreux groupes qu'il a formés ou auxquels il participe (les plus célèbres étant Gastr Del Sol ou Sonic Youth dont il est récemment devenu le cinquième membre officiel), des albums sur lesquels il est simplement musicien, de ceux qu'il a produit, qu'il a arrangé, mixé ou remixé, il n'est jamais arrivé d'en entendre un qui ne soit d'une qualité irréprochable, voire même exceptionnelle pour grand nombre d'entre eux. Compositeur, improvisateur, guitariste dès l'âge de six ans, Jim O'Rourke a débuté en fréquentant la scène expérimentale et ses premières œuvres, aussi magnifiques soient-elles, se rapprochent de l'avant-garde, électroacoustique ou musique improvisée, et ne sont pas a priori faciles d'accès. Son premier album solo à marquer un changement radical dans sa carrière est justement Bad Timing, disque pourtant composé de la même main d'orfèvre mais d'une limpidité musicale plus évidente. Jim O'Rourke dit lui-même avoir réalisé cet album « juste dans l'intention de faire un disque de musique, en opposition avec l'idée de faire des choses dans un but conceptuel spécifique ». C'est aussi la première fois qu'il compose un album pour des raisons personnelles, pour exorciser un mal-être. Et pour cela, il va reprendre sa guitare acoustique, qu'il n'avait pas utilisée depuis plusieurs années, et composer 4 longs morceaux lumineux conjuguant les particularités d'être à la fois modernes et traditionnels. Si le contenu de Bad Timing peut se situer entre folk et blues post-moderne, ses références explicites seraient plus à situer du côté des grands noms de l'underground américain qui ont bouleversé ces styles musicaux, de Tony Conrad en passant par Leo Kottke, mais surtout l'immense John Fahey à qui Bad Timing s'adresse comme un hommage direct et revendiqué. Ce bluesman décalé, décédé en février 2001, que Jim O'Rourke lui-même a sorti de l'ombre en collaborant et lui produisant plusieurs albums sur la fin de sa carrière, possédait l'un des jeux de guitare les plus bouleversants et étonnants qu'il ait été donné d'entendre. On dit même qu'il est l'inventeur du finger-picking, cette technique qui consiste à pincer les cordes plutôt que de les frotter. Et tout le jeu de guitare savant d'O'Rourke vient de celui de Fahey, jusque dans ses plus infimes détails, et particulièrement sur Bad Timing. Si la guitare folk est l'élément prédominant du disque, jouée avec une telle délicatesse, une telle retenue, qu'elle suscite une adhésion immédiate, elle n'en est pas le seul. O'Rourke s'accompagne en effet de plusieurs musiciens jouant basse, guitare pedal steel, cor anglais, batterie (c'est John Mc Entire de Tortoise qui s'y colle, comme toujours à la perfection), trombone, trompette et violon. Et lorsque tout ce beau monde joue ensemble, l'orchestration de Bad Timing prend de l'ampleur, sans jamais tomber dans la grandiloquence démonstrative. L'organisation structurelle des couches musicales se rapprocherait alors de l'esprit de certaines compositions des Beach Boys ou de Van Dyke Parks, autre grande référence. L'ambiance se fait tout de suite enjouée, comme si l'on entendait une fanfare composée de musiciens surdoués.
Ce disque marque l'entrée d'O'Rourke dans la musique pop. Cela peut sans doute s'expliquer par le bouillonnement musical qui naît à Chicago lors des années 90, ville qui inventa carrément un nouveau style nommé post-rock par la presse. Proche collaborateur de cette scène, O'Rourke l'intégra naturellement à sa musique. Le virage amorcé par Bad Timing est aussi explicable par l'envie du musicien de rendre hommage à ses pairs, à ceux qui lui ont fait aimer et découvrir la richesse de la musique narrative, à commencer par John Fahey. Et il y a bien sûr ce côté boulimique qui pousse O'Rourke à composer, avec réussite, tous styles de musiques. Depuis, il a continué à écrire de la pop (il faut absolument jeter une oreille sur les albums Eureka, Insignificance et le tout dernier réalisé sous le nom de Loose Fur) parallèlement à ses activités expérimentales (dans le genre, l'album I'm happy and I'm singing and a 1, 2, 3, 4 est sa plus belle réussite récente).
S'il se tient volontairement en marge des courants musicaux mainstream, s'il se protège de la médiatisation à outrance, ce n'est que pour mieux se concentrer sur la seule chose qui l'intéresse vraiment : écrire et jouer de la musique. L'Histoire fera le reste.
FrankyFockers
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le 24 avr. 2012

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