Enregistré entièrement à l'atelier du chorégraphe, New York (salle de répétition de l'Arkestra) en Novembre ou Décembre 1961.


Il a fallu attendre jusqu’à l’année 1972 pour que ces enregistrements de 1961 soient enfin diffusés. L’Arkestra est ici réduit à son ossature historique. En effet Sun Ra vient de quitter Chicago, mettant fin à cette étape de sa vie que l’on nommera « la période de Chicago » pour s’installer à New-York, « Bad and Beautiful » est le second enregistrement de l’étape New-Yorkaise.


Seuls les plus fidèles ont suivi cette migration. Jouer avec l’Arkestra est une expérience unique, rien ne peut être comparable. Beaucoup de musiciens sont passés par le grand orchestre, quelques-uns y sont restés la plus grande partie de leur vie, d’autres n’ont fait qu’y passer, mais pour tous, l’expérience est marquante et enrichissante. Faire partie de l’Arkestra était comparable à un engagement, il fallait être extrêmement disponible, jour et nuit, accepter des sacrifices… Pour certains membres, autour de cinq ou six, la vie était même communautaire. Sun Ra prônait le célibat et la discipline ! Ces exigences ahurissantes n’étaient pas sans retour, voici ce que raconte Marion Brown à la suite de son passage chez Sun Ra :
« J’ai joué quelques mois avec Sun Ra. Ce n’était pratiquement que des répétitions et jamais d’engagements, mais, comme tous ceux qui ont joué avec lui pendant un certain temps, il m’a vraiment aidé à me découvrir, à mettre à jour mes propres ressources musicales. Sun Ra vit dans un petit trois pièces, et les répétitions avaient lieu toute la journée, tous les jours. Parfois il y avait bien vingt ou trente musiciens entassés là-dedans. Quand je n’avais nulle part où aller, j’allais passer souvent des journées entières là-bas (…) jouer avec Sun Ra a été l’expérience musicale la plus positive que je n’ai jamais eu ! »


Ce témoignage nous montre le bouillonnement créatif qui régnait autour de la personne de Sun-Ra, la formation musicale et artistique était donc la contrepartie dont bénéficiaient les musiciens participants à ces séances. Financièrement c’était juste un peu mieux que la misère, mais c’est hélas le cas pour tous les jazzmen exerçant pendant cette période. Ces musiciens que l’on admire aujourd’hui, qui ont des discographies pharaoniques, dont on parle avec la plus grande admiration, n’hésitant pas à les comparer à des génies, ces musiciens percevaient des ressources tout juste suffisantes pour vivre : « Il vivait comme un rat » disait David Murray en parlant d’Albert Ayler quand il était à New-York…


En cette année 1962 seuls les fidèles parmi les fidèles sont là, John Gilmore dont les solos illuminent cet album, Marshall Allen, l’héritier, qui prolongera la vie de l’Arkestra après la disparition du Sun, Ronnie Boykins clef de voûte et garant de la solidité de l’ensemble, Pat Patrick, multi instrumentiste et soliste émérite. C’est le moment que choisit Tommy Hunter, batteur et percussionniste, pour rejoindre cet ensemble, il restera pendant une vingtaine d’années aux côtés de Sun Ra. A partir de cette période, il arrivera de temps en temps à Sun Ra de se produire ainsi, en moyenne formation.
La prise de son n’est pas au top niveau, malgré le travail de rénovation effectué, mais ça reste tout de même très écoutable. « Bad and Beautiful » est la chanson thème du film du même nom. C’est une ballade sur laquelle John Gilmore promène son saxophone, bien accompagné par la flûte de Marshall Allen. Sur « Ankh » on entend un beau solo de Pat Patrick au saxophone baryton, sur tempo moyen il explore son instrument en nous délivrant des sonorités belles et rares, pleines de gravité et de solennité.


Un grand nombre de titres sont dévolus au ténor de Gilmore, comme «Just in time », très bop, ancré dans la tradition. « Search light blue » est langoureux, paresseux, le saxophone se love en explorant le thème, puis la pièce s’achève sur une longue improvisation qui se cherche malicieusement à la façon d’un timide bégaiement, les percussions se fraient subtilement un chemin dans un accompagnement en petites touches …


Par contre, sur « Exotic two » les percussions sont au contraire très présentes, ce qui semble annoncer l’importance qu’elles prendront dans la musique de Sun Ra pendant toute la décennie à venir. C’est la pièce la plus innovante de l’album.


Rien d’essentiel ici, « Search light blues » est tout de même renversant et « Exotic two » annonciateur de bien des changements !


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le 31 mai 2018

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