Cristal Ballroom
7.2
Cristal Ballroom

Album de Babx (2009)

Le onze juin 2014, au 104, Babx jouait en concert ses deux derniers albums, dans leur intégralité, en deux parties séparées, avec ses copains de toujours, avec ses admirateurs de souvent, avec l'envie de dire “les vrais savent” malgré l'ironie qui perce, mais, voilà, quoi, les vrais savent. Cristal Ballroom a une telle densité, une telle perfection, pas un faux pas, et l'enchaînement ajoute à toute cette jolie somme de qualités.


Surtout (surtout) les trois premières, ce trio d'une rare beauté, avec la rengaine triste de la chanson éponyme, j'suis l'roi, j'suis l'roi, toute cette tristesse dans les reins, et ce bal déserté qui tourne sous nos yeux, puis le long, long et lent, douloureux étirement d'Électrochocs Ladyland, qui finit par s'électriser, ça vient dans tout le corps, je serre les poings et sa voix fait la montée déchirante du refrain, roulement du tambour, on sent qu'on pourrait éclater tout de suite. Ensuite vient la douceur, un peu passée, comme une photographie d'avant-guerre, de Little Odessa, la vieille nostalgie d'un monde qu'on n'a pas connu, le battement des vagues qui revient toujours, à Little Odessa, à Little Odessa. Il y a un parfum de James Gray, évidemment, toute cette misère, cette tristesse, cette beauté.


08h04 arrive. J'ai mis du temps à l'apprécier. Là, les lumières nous éblouissent, nous scrutent, on a envie de fermer les yeux comme il nous le demande, et il ne s'arrête pas, d'une voix monotone, le texte est dit, détaché, sans emphase, puis le refrain nous brûle encore, je ris, c'est nerveux, et un peu aussi parce que je sais ce qui arrive, j'ai hâte.


Une fois par album, parfois plus, Babx devient paranoïaque, suicidaire, désespéré, et le rythme s'accélère, on perd son souffle tandis qu'il débite des paroles au kilomètre, sans faillir, la voix blasée, où perce l'urgence, c'est Secret Professionnel ou bien Despote Paranoïa. Dans cet album, c'est Mourir au Japon. Il l'annonce tranquillement (comme si on ne connaissait pas l'album par cœur, David, enfin, tu devrais mieux nous connaître) : “c'est cool, le Japon” ... Le concert s'anime. Des gens se lèvent. Je trépigne sur ma chaise. J'entends A. se gratter la barbe en chantant à côté de moi. La chanson la plus entraînante qu'il ait jamais écrit, et ça parle de suicide collectif. Tout va bien dans la vie de David Babin, merci.


La salle explose de joie et de soulagement à la fin de la chanson, on sait qu'après cette épreuve, qui a la forme d'une libération, va venir Lady L. Non non, rien à voir avec le bouquin de Gary, moi aussi j'ai cru ça, mais non, c'est la chanson la plus simple du disque, et sans doute une des plus belles de Babx, un petit morceau pur de chanson française contemporaine, qui me ferait hurler au visage des réactionnaires de tout bord. Les deux guitares se cherchent, se trouvent, c'est nerveux et doux, certains chantonnent la mélodie, c'est tout simple pourtant, alors pourquoi ce va-et-vient de la voix pas bien juste de Babx me fout ainsi la chair de poule ? Elle court, sa voix, va jusqu'au bout de la phrase comme d'une rue ou d'un pays, revient comme du bout du monde, apporte avec elle tous les souvenirs d'un voyage, d'une vie. On a tous envie de s'appeler Raphaële.


Il fallait quelque chose de fort pour succéder à Lady L. et c'est peut-être pour ça que je n'aime qu'à moitié Remington Requiem. Ça marche très bien en concert, en revanche, on claque des talons ou des mains selon l'usage, la mélodie nous entraîne, je me surprends même à fredonner, faut dire que les paroles sont parfois du pur style Babx : et vas-y que je te cale des onomatopées, des références, quelques images géniales, des marques, des lieux, des accumulations (parfois sans grand sens, avouons-le), et des personnages, surtout, jamais sans mes personnages. “Marlou dans la ligne de mire, doum doum, pour bien dormir après le boum boum” — je ne sais pas ce que ça veut dire, mais c'est beau.


Là, Babx s'amuse à lancer sa pièce de monnaie, et on a l'envers de Lady L. C'est doux, pourtant, il est méchant mais il s'en excuse, cette Petite Fille Gâtée a toutes les qualités du scandale, c'est un scandale très attirant, très mélancolique (salut Hubert-Félix), et surtout, c'est un texte d'une poésie froide et pure, un peu cruelle. Quand la nuit s'écartèle aux mains des matadors, petite putain pucelle crache l'amour et s'endort... Je me retiens d'écrire ici le reste des paroles, sachez juste qu'y a pas de bénévoles aux plages du désespoir, y a pas de bénévoles aux plages du désespoir.


Fallait bien rehausser tout ça d'un autre voyage, au Pakistan cette fois-ci, avec Bons Baisers d'Islamabad, où les accumulations ont des accumulations, il se joue des mythes modernes, peut-être parce qu'il les aime. Je me souviens toujours, en écoutant cette chanson, que lorsqu'il avait participé à l'émission de radio Pique et Cœur (le soir, l'été, sur France Culture je crois), une des participantes racontait que son fils courait vers elle en chantant à tue-tête “bons baisers d'Islamabad" ... Ça m'émeut, peut-être parce que la première fois que j'ai entendu parler de Babx, c'était un mec que j'admirais, un danseur, qui disait que ses enfants chantaient Cœur Larsen sans trop comprendre.


C'est bientôt la fin de la première partie, on a droit au Babx expérimental, qui se dit que si les gens ont écouté jusqu'ici, il ne craint plus rien, il peut bien leur balancer toute sa lenteur, ses bruits bizarres, l'habituelle captation de l'orage, et deux accords seulement pour L rêve d'Il, de continents inutiles, de Cadillac, d'signes du zodiaque, de villes mauves, rêve d'autre chose, rêve d'autre chose — il a un truc avec les répétitions. Il y a une douceur un peu fatiguée dans sa voix, on sent qu'il a envie de bien la chanter, celle-ci, de lui rendre justice. Petit à petit, l'air se charge de guitares électrifiées, se charge aussi d'émotions, quelques larsens bien tombés, des sons qui nous envahissent. Ça pourrait finir avec ça. D'ailleurs, A., en voyant David prendre sa guitare (pensez donc !) s'étonne... Mais non, c'est bien L'Orage (pas celle de Brassens), qu'il joue, seul, avec un bout de bois tout encordé. C'est étrange. Un peu cliché. Pas désagréable. Une fin en demi-teinte pour un concert d'un bloc. C'est l'entracte. Dans quelques minutes, le temps de pisser un coup ou de boire une bière, il reviendra. Mais pour l'instant, je sens encore tout l'album résonner, je l'ai tant écouté que je pensais le connaître par cœur, peut-être que c'est pour ça que le concert ajoute encore à l'émotion, parce que je ne m'y habitue jamais tout à fait.

Nelken
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le 16 juin 2014

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