C’est une de ces pièces, un souvenir y est attaché. Comme en surimprimé, comme un souvenir flou dans la buée. Le genre de buée sur les fenêtres de voiture sur laquelle on va venir dessiner du bout du doigt avant que, le temps passant, la buée reprenne ses droits sur notre dessin d’ennui.
Des courbes de choses invisibles trace ainsi des motifs assez frêles, où l’on décèle soit une peur de trop faire, soit même une peur de faire, voire une honte de se mettre en avant. C’est un album qui n’a aucun honneur, « dont on sait qu’on ne retire aucune fierté » dirait Arnaud Michniak (voir Demain, de Programme). Aucun honneur, mais pas pour de mauvaises raisons. Plutôt parce qu’il ne se place pas en avant, toujours sur la défensive, n’ose rien, ne prétend rien. Rien d’autre qu’une émotion particulière, desservie par des choses équivoques : paroles minimalistes, murmurée parfois, des fois déformées comme à travers un téléphone qui capte mal, nostalgiques. Des paysages incomplets sont dessinées, dans une sorte de torpeur mi-avachie, mi-fainéante ; des ébauches, mais les ébauches sont déjà en partie des œuvres. C’est là que tout se passe.


C’est là une sorte de zone floue, où l’on tomberait facilement dans l’ennui, mais l’équilibre fragile tend plutôt vers la tendresse amourachée envers quelque chose de fragile, pas tout à fait une pitié, mais plutôt un attendrissement doux.


A l’image de la pochette, le bassiste d’Expérience, un peu accompagné, n’achève pas son minimalisme. On a affaire à un projet, quelque chose qui pourrait se développer encore et encore…


Et pourtant.


Et pourtant, c’est là, dans sa situation bâtarde, que l’album puisera toute ses forces. L’émotion du sursaut, de l’étincelle dans l’ennui qui disparaît un temps.


C’est à grand coup de bricolages électroniques assez froids, des genres de bourdons aigus qui se perdent, d’une batterie en retrait, de nappes tremblantes qu’on trace ces courbes. Parfois distendues et longues, parfois très brèves et souples, rarement trop tempêtueuses. Des genres de courbes admirables, où l’on croit qu’il ne se passe rien, quand en fait il s’y passe tout.
Tout ce qui obnubile, les petits craquements, les échos glacés en arrière-plan. Un disque-silhouette qu’on entraperçoit plus qu’on saisit. Comme l’impression qu’on pourrait créer son propre album en venant recoller des morceaux de cet immense jeu de collage abstrait.


Finalement, tout ça en fait une expérience très personnelle - ce que j’en retire, ce que je construis sur l’album. Rien que du bruit, rien que des mots.


J’en dis déjà trop, un album aussi réservé, il faudrait le tendre à quelqu’un, lui murmurer qu’il devrait écouter ça, on ne sait jamais, en baissant les yeux et en s’excusant d’avance s’il n’aime pas, qu’au moins on aura essayé.

Rainure

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