Quand tu sors un album tellement dément qu'il fait de l'ombre à ton coming out, c'est que t'as réussi ta carrière d'artiste.
La médiatisation de l'homosexualité de Tyler The Creator aura duré trois jours, la musique sur laquelle aura eu lieu la révélation fera parler d'elle dans 10 ans encore. Pourquoi ? Parce qu'elle est la synthèse de tout ce qu'on a toujours attendu de Tyler The Creator, ce garçon terrible. Certains aimaient la gaminerie attendrissante qui se dégageait du rappeur lorsqu'il a percé au début des années 2010, d'autres avaient rapidement fait de tracer une croix sur ce clown à la grimace facile, et tous, pratiquement, avaient perdu espoir de voir naître un jour un véritable artiste en la personne de Tyler. Jusqu'au jour où : Flower Boy.
Flower Boy est un peu à l'image du morceau Pride de Kendrick Lamar. Doux, expressif, émouvant, luxuriant, avec une part d'agressivité maitrisée, et une part de sensualité assumée. Mais contrairement au fatras indigeste qu'est DAMN. (sorry), Flower Boy est une source fascinante de sonorités envoutantes, un petit coin de paradis discrètement majestueux, paisiblement grandiose. Les beats sont reposants, la voix de Tyler n'a jamais paru aussi peu entêtante, elle laisse de la place à des refrains chantés, le flow continu de l'album ne se précipite pas, Tyler prend le tend de dresser un paysage plein de couleurs et de nuances. On y croise Frank Ocean, Lil Wayne, A$AP Rocky, Jaden Smith et Pharrell Williams, on retrouve Can et Roy Ayers crédités. Autrement dit l'album laissait déjà présager sur le papier un joyeux bordel. Et Tyler the Creator canalise parfaitement les énergies diverses qui ont collaboré à la création de Flower Boy. Le talent de narration et le flow libre de Tyler collent merveilleusement bien aux productions mielleuses et printanières de l'album.
L'album est d'une honnêteté surprenante aussi. On connait enfin un Tyler qui ne se voile pas derrière des productions de bonhomme, impressionnantes et agaçantes. On découvre Tyler sous un nouveau jour, presque à nu, à la manière d'un ami qui vient se confier à nous. Tyler nous parle de ses angoisses, de son succès, de sa sexualité, de son entourage, tout cela avec une simplicité et une franchise déconcertante. Tyler n'est plus un artiste. Dorénavant, c'est un ami.
Par ailleurs, il s'illustre non seulement comme excellent rappeur sur Flower Boy (une critique récurrente qui faisait surface dès que l'on mettait le très polémique Cherry Bomb sur le tapis), mais aussi et surtout il s'illustre comme homme. Un homme grandi et mature, qui rompt avec le passé énervé du collectif Odd Future. Tyler est cependant loin d'avoir perdu le caractère incisif qu'on aime tant chez lui : I Ain't Got Time et Who Dat Boy se glissent excellemment bien dans Flower Boy, et nous rappellent que Tyler a gardé au fond de lui son âme de méchant garçon. C'est à dire qu'il faut rétablir un certain équilibre, nom de nom. Tu peux pas faire chanter Estelle et Anna of the North sur ton album, avec une grosse impression néo-soul ambiance pastel et fleurs bleues, sans sortir un ou deux sons bien abrasifs qui rappellent les belles heures de la OFWGKTA family.
Flower Boy est finalement l'aboutissement de nos attentes. Une réussite. Il est assez complexe pour que l'on passe deux heures à décortiquer les paroles, et assez agréable à écouter pour que l'on puisse hocher ma tête lentement au rythme de ses violons, synthés et guitares, qui parsèment ce tableau hip hop sirupeux et enchanteur. Chapeau bas, le créateur.
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