Förmörkelse
7.5
Förmörkelse

Album de Leviathan (2020)

Plus d’étoiles dans le ciel pour guider nos pas, alors que l’on avance au travers d’une nature qui n’est désormais que le reflet des ténèbres. Plus de lune non plus, dont la seule aura rassurante est cachée par quelques nuages en fumée d’encens. L’air est moite, et les racines au sol sur lesquelles on se cogne semblent prêtes à sortir de terre pour nous prendre au cou. Leviathan, c’est l’absence et la plénitude assemblées. D’abord, la plénitude par l’évocation d’une centaine d’images dès les premiers riffs, l’introduction passée. Mais aussi l’absence de lumière, les ténèbres complets, s'ajoutant à la joie de retrouver en 2020 une ambiance si glaçante à nouveau.


Les inconditionnels de France d’Oïl Productions étaient au courant avant l'heure de ce retour, et de cette signature improbable mais tout sauf incohérente. Rien à voir avec le projet de Jef Whitehead, ce Leviathan est Suédois, et revenu cette année après 18 ans d’attente. En 2002 sortait Far Beyond the Light, un premier essai incisif, cru, hypnotique à la Filosofem, avec une double-pédale prégnante mais derrière laquelle se cachaient des patterns de batterie assez techniques, et où les murs de riffs n'étaient que des portes scellées vers des mélodies enfouies, cachées comme derrière quelques glyphes magiques. Trop peu cité au panthéon des albums de Black Metal suédois, le disque forçait le respect, devenu culte pour une petite partie de l’underground admirant cette unique sortie par celui qui fut un temps derrière les fûts d’Armagedda (également de retour cette année) et l'illustre Andreas Petterson (Nordvis et une tonne de projets bien connus). En bref, une musique qui, même sans en avoir les paroles sous les yeux, semblait nous raconter l’histoire des vieilles pierres, nous plongeant en plein brouillard la nuit tombée à chaque fois que l’on osait fermer les yeux lors de l’écoute…


Sous ces ténèbres, les tombeaux se lisaient néanmoins de loin sur l’horizon. Comme ombres parmi les fantômes, inondés de lugubre mais scintillant pourtant, ils semblent maudire un paysage pourtant sain au soleil. Aux côtés de ce vieux cimetière qui brille dans la nuit, un temple de pierres blanches est protégé par un sortilège ancestral.
Bien au-delà de la lumière se trouve l’absence de vie, morne tableau que nous offre cette marche en guise d’ultime récompense. Pourtant, jamais le voyageur n’aura l’impression d’être seul, une certaine magie semblant opérer en silence. Des nappes de brume blanche s’élèvent et s’enroulent autour du sentier, s’égarant parmi les racines et les arbres qui poussent sur ses bords.


Förmörkelse évolue en terrains connus. Les ambiances sont familières aux amoureux de Black Metal, et les thèmes abordés le sont tout autant. Moins dans l’urgence que son prédécesseur, plus mid-tempo et sinistre, plus progressif aussi, il fera néanmoins pour beaucoup figure de disque « old-school ». Mais ne considérons pas ces termes comme de gros mots. Comment, en effet, ne pas succomber à ces arpèges réverbérés, comparables à la vapeur ombreuse qu’émane la nuit elle-même (Babylons Sand) ? À ces nappes de voix et choeurs lugubres se superposant aux riffs menaçants (Avgrundens Återsken) ? À ces solos de guitare perçant la noirceur en nous imposant la chair de poule (Verklighetens Väv) ? En outre, quand l’exécution est magistrale, difficile de ne pas s'abandonner à de telles œuvres ensorcelées.


Dans un élan complètement habité, Leviathan est de retour en solo (mené cette-fois uniquement par Phycon) comme pour statuer sans appel sur l’actuel état de l’art noir. Tout, ici, pue la noirceur dans la plus obscure tradition du genre, avec des morceaux semblant vieillis dans des caves hantées pendant 20 ans. La sincérité des ados découvrant le Metal, les mêmes frissons qui donnent l’impression de voyager quand on est pourtant bloqué dans sa chambre, mais une maturité supplémentaire dans l’élaboration. Traditionnel au possible, quasi rétrograde, l'album réussit néanmoins la prouesse d'être une bouffée d'air frais au milieu d'un paysage saturé. Très ancré dans son terreau national, qui a fait germer Bathory, Dawn, comme Bekëth Nexëhmü, l'opus semble traverser les époques et rendre hommage d'un coup à chacun de ces acteurs.


Alors, et comme avec les plus beaux disques du genre, le goût de « reviens-y » est permanent, inhérent à la musique elle-même. C’est là toute la subtilité d’un tel disque qui, pour l’auditeur qui ne le consommera pas d’une traite avant de l’oublier, prendra le temps de tisser les mêmes ambiances qui le hanteront des mois ensuite. Car le sens de la composition et de la mélodie côtoient ici le besoin de produire une musique drapée de noirceur, on obtient une œuvre fabuleuse et pourtant sans trop de prétentions. Plus que jamais, alors, laissons-nous porter par l’atmosphère de tels disques. Fermer les yeux le temps de quelques pièces, et se plonger dans la musique de l'imaginaire, ça ne fait jamais de mal.


Chronique écrite pour le webzine Horns Up

chevaldeglace
8
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le 7 déc. 2020

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