A l’heure où Frontiers a décidé de rééditer cet album (dans une version remasterisée), sans doute serait-il intéressant de revenir sur sa version de 1998. Souvent présenté comme l’un des albums les moins réussis du groupe, Heaven Forbid est en tout cas son opus le plus heavy et le plus varié, à contre-courant de ce que les Américains ont pu faire par le passé. Sorti dix ans après Imaginos, il est construit sur des paroles en grande partie écrites par l’écrivain John Shirley qui apporte une touche de science-fiction classique à des morceaux basés sur les guitares. Les riffs sont d’ailleurs les plus épais jamais composés par Eric Bloom et Donald Roeser. Le hard rock des débuts s’est transformé en metal progressif, traversé par de belles mélodies qui tranchent avec l’énorme son déversé par les guitares et par la section rythmique en béton, notamment la batterie de Chuck Burgi.
L’album débute par un vrai hymne heavy metal, avec l’excellent « See You in Black », que l’on croirait issu d’un album d’un des piliers du genre. Les riffs sont écrasants, la section rythmique pilonne à tout va et la voix d’Eric Bloom n’a jamais été aussi agressive. Sans connaître le nom du groupe, on pourrait croire que cette chanson est l’œuvre d’Holy Mother ou Judas Priest. S’inscrivant dans l’air du temps, Blue Öyster Cult adapte la musique de son époque à son style, ce qui est encore plus flagrant sur le heavy « Power Underneath Despair » aux faux airs de Dio. A nouveau, la voix d’Eric Bloom surprend par sa puissance, tandis que le refrain est supporté par des chœurs typiquement metal. Plus rapide, à la fois teintée de blues et de metal, « Still Burnin' » est une ode de hard rock groovy, avec un gros son et un refrain qui donne envie de chanter à tue-tête. Mêlant une nouvelle fois metal et hard rock, « Hammer Back » fait la part belle aux guitares, sans pour autant oublier un apport mélodique sur le refrain et dans les arrangements. Etrange, puissant, angoissant, ce morceau est une réussite, avec ses connotations hispanisantes dans le solo de guitares complétement déjanté.
Les fans de la première heure, déroutés par ces morceaux, peuvent se rattraper sur certaines chansons plus typiques du groupe, comme « Harvest Moon », propulsée par un riff gorgé de groove et des lignes mélodiques pleines de nuances. Coincée entre deux titres metal, elle tranche volontairement pour apporter davantage de contrastes sur cet album. Il en va de même, avec la pop-jazz-rock « X-Ray Eyes », à la construction alambiquée, mais au refrain simple et efficace. Tout aussi classique, « Live for Me » est une bonne chanson signée Buck Dharma qui se construit autour de jolies mélodies vocales et d’arrangements subtils, à l’image de ce que le groupe a toujours proposé. Une nouvelle fois, les guitares s’y livrent à de beaux solos.
Plus étrange, « Damaged » est une chanson funk/soul, typique des années 1970, construite sur des rythmiques enjouées et un orgue aigu. Cette chanson contraste avec le blues « Cold Gray Light of Dawn » au refrain pour le moins étonnant, mais qui permet une nouvelle fois aux guitares de nous prouver qu’elles sont au centre des compositions du groupe. Plus delta blues, « Real World » est un superbe titre de classic rock, sans doute pas reconnu à sa juste valeur, qui évoque à la fois Creedence Clearwater Revival et Robert Johnson. Etonnant, mais ô combien réussi. En bonus, une version live du morceau « In Thee », issu de Mirrors, qui n’était pas indispensable.
Heaven Forbid est un album injustement mésestimé, sans doute parce qu’il ne propose pas de direction musicale assez claire et que sa pochette dérange.

DenisLabbe
7
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le 13 janv. 2021

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